Certains parlementaires proposent aujourd’hui un allongement du délai légal de l’IVG. Cette proposition est basée sur le fait qu’il y a un nombre important de femmes qui partent à l’étranger pour réaliser une IVG car elles ont dépassé le délai légal en France. On se retrouve dans la même situation que celle nous avons connue en 2000. En effet, comme cela est rappelé dans le rapport relatif à l’accès à l’IVG du Haut comité à l’égalité entre les femmes et les hommes de 2013 (Rapport n° 2013-1104-SAN-009 publié le 7 novembre 2013), le motif de l’allongement du délai de 12 à 14 semaines d'aménorrhée (SA) en 2001 (loi Aubry) était de diminuer le nombre de femmes se rendant à l’étranger pour réaliser une IVG.
À l’époque, le Planning Familial estimait ce nombre à 5 000. L’objectif de la mise en place de cette loi était de réduire de 80 % ce chiffre. Malheureusement, aucun outil n’a été mis en place pour évaluer cet objectif, que ce soit au niveau des agences gouvernementales ou au niveau du Planning familial. On peut regretter que le Planning familial qui aide les femmes dans leurs parcours pour se rendre à l’étranger ne puisse pas produire des chiffres précis et qu’il n’ait pas mis en place des outils permettant une évaluation précise de cette aide.
L’avis que l’on peut donner concernant le délai légal de l’IVG peut être exprimé de deux façons. Il y a l’avis du citoyen qui prend en compte plusieurs composantes, à la fois culturelle, religieuse, politiques et sociales. Il y a ensuite l’avis du médecin que j’exposerai ici.
Le délai légal de l’IVG en France est 14 semaines d’aménorrhées (SA), soit 12 semaines de grossesse (SG). Ce délai est de 22 SA en Espagne, 24 SA en Grande Bretagne et aux Pays Bas. Pour ces raisons, lorsqu’une femme désire une IVG et qu’il n’est plus possible de la réaliser en France, elle se dirige préférentiellement vers ces trois pays.
Pour quoi des femmes vont-elles à l'étranger ?
Il est très difficile de connaître précisément le nombre de femmes françaises réalisant une IVG dans ces trois pays. Concernant la Grande Bretagne, ce chiffre est de 31 en 2018 (Abortion Statistics for England and Wales 2018, disponible en accès libre sur internet) mais la plupart des femmes se rendent en Espagne et aux Pays bas. Des chiffres précis concernant ces deux pays sont difficilement disponibles.
Il existe actuellement un projet européen dont le but est d’évaluer précisément les raisons et le nombre de femmes se rendant en dehors de leur pays de résidence pour réaliser une IVG (European Abortion Access, disponible en accès libre sur internet). Les résultats de ce projet ne sont pas encore disponibles. Ainsi, aujourd’hui, les différents chiffres avancés reposent sur des « remontées de terrain » ou des évaluations grossières sur lesquelles il n’est pas possible de travailler et encore moins de proposer des nouvelles lois.
Il existe effectivement un nombre de patientes qui, quel qu'il soit, est de toute manière trop important pour ne pas être pris en compte. Les raisons qui amènent les femmes à réaliser l’IVG à l’étranger parce qu’elles ont dépassé le délai sont de différents types et doivent être précisées si on veut mettre en place une prise en charge correcte de l’IVG avec les lois déjà existantes.
La première cause est que, lors du diagnostic de grossesse, la date du délai légal est dépassée et il n’est pas légal de la prendre en charge en France dans le cadre de l’IVG. Dans ce cas, il est possible que ces femmes demandent une interruption médicale de grossesse pour raisons psychosociales (IMGPS). Cette demande est le plus souvent acceptée dans des situations spécifiques (viol, situation sociale avec extrême précarité, très jeune âge…). Il n’y a pas de limite d’âge gestationnel. Il est peu probable que cette demande soit acceptée en l’absence de contexte psycho social défavorable. Pour ces patientes, effectivement, il ne reste que la possibilité d’aller à l’étranger car il est difficile de leur conseiller de faire une demande d’IMGPS qui, actuellement, sera probablement refusée et retardera la réalisation de l’IVG à l’étranger.
La seconde raison est que, lors du diagnostic de grossesse, le délai légal n’est pas dépassé mais la prise en charge de l’IVG ne serait possible qu’après le délai légal. Il s’agit d’une situation fréquente qui amène les femmes à réaliser l’IVG à l’étranger. Cette situation serait évitable dans la majorité des cas si la prise en charge de ces femmes était correcte et bienveillante.
En effet, dans les services d’IVG correctement organisés, les patientes qui consultent à un terme près de la limite du délai légal sont prises en charge rapidement. Il est possible de réaliser une IVG dans les 24 heures suivant la demande sous anesthésie locale ou médicamenteuse ou sous anesthésie générale selon le protocole établi avec l’équipe anesthésie (cas considéré comme une urgence ou pas). Sinon, l’IVG chirurgicale sous anesthésie générale peut être réalisée après respect légal entre la consultation pré anesthésie et le geste anesthésie pour toute intervention chirurgicale non urgente, soit 48 heures. Ainsi, dans la majorité des cas, ces situations seraient évitables et ces femmes n’auraient pas besoin d’aller à l’étranger.
Risque d'effets pervers
L’allongement du délai légal pose un problème au point de vue de sa réalisation. En effet, il est connu depuis longtemps que, plus une IVG est réalisée tardivement, plus il existe un risque de complications.
Au point de vue technique, il n’existe pas en France de personne formée à la réalisation d’IVG médicamenteuse ou chirurgicale après 14 SA. Il sera nécessaire de former les médecins motivés pour la réalisation de cette pratique. Nous nous retrouverons donc dans la même situation que lors de l’allongement du délai de l’IVG à 14 semaines d’aménorrhées (SA). En effet, depuis cette époque, il existe des médecins, même des centres, qui ne font pas des IVG au-delà de 12 SA. Il existera donc des médecins qui ne feront pas d’IVG après 14 SA et les femmes seront obligées d’aller dans des centres spécifiques.
Ainsi, le projet d’allonger le délai aura un effet pervers. En effet, au lieu de prendre rapidement en charge les femmes à la limite du délai afin de réaliser l’IVG le plus tôt possible et dans le centre choisi, elles réaliseront l’IVG beaucoup plus tardivement avec un risque de complications plus important. Il est fort probable qu’elles seront dirigées dans des centres plus éloignés que celui qu’elles avaient choisi initialement.
Avant de proposer donc une solution à un problème, il est primordial de bien comprendre le problème. Aujourd’hui, il n’existe aucune donnée permettant d’évaluer les raisons qui amènent les femmes à réaliser l’IVG à l’étranger. La majorité de ces femmes sont orientées à l’étranger par des structures tel que le planning familial. Il serait faisable de mettre en place une enquête sur quelques mois pour connaître précisément les raisons et apporter des solutions correspondantes.
Au total, il n’est pas bénéfique pour les femmes de discuter uniquement de l’allongement du délai de réalisation de l’IVG sans comprendre pourquoi les femmes vont à l’étranger. La discussion de l’allongement du délai doit inclure les autres éléments exposés ci-dessus afin d’élaborer des propositions adéquates et des outils de suivi permettant de les évaluer.
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