Dans les jours qui ont suivi l’attaque du Hamas, de 3 000 à 3 500 ressortissants français ont été rapatriés d’Israël, alors que la plupart des liaisons régulières étaient suspendues. À l’arrivée, les équipes de la cellule d’urgence médico-psychologique (Cump) de Seine-Saint-Denis les ont accueillis dès leur descente d’avion, accompagnées de psychologues et de psychiatres de l’association Ose (Œuvre de secours aux enfants)*.
« Les personnes rapatriées ne sont pas nécessairement les plus affectées. Ceux qui ont perdu un proche ou qui ont un proche pris en otage sont restés en Israël », témoigne le Pr Thierry Baubet, responsable de la cellule. Mais, si ce ne sont pas des victimes directes, « ces personnes ont vécu dans un climat extrême où se mêlent la découverte des horreurs de l’attaque du 7 octobre et les tirs de roquette, avec des effets de stress importants », poursuit-il. Même ceux qui ne résidaient pas près des lieux des attaques ont vécu des situations « très anxiogènes, avec des alertes quotidiennes pour aller se réfugier dans des abris ou des pièces sécurisées », ajoute le psychologue clinicien Éric Ghozlan, directeur général adjoint de l’association Ose.
Anticiper la survenue de troubles du stress post-traumatique
Tous ont reçu une documentation les informant des risques traumatiques et des symptômes à surveiller (hypervigilance, troubles du sommeil, anxiété, etc.) et proposant des contacts de ressources à solliciter en cas de besoin. Les équipes ont mené des entretiens brefs avec 360 adultes et 62 enfants. Des entretiens plus approfondis ont été réalisés avec 115 adultes et 7 enfants « très symptomatiques », précise le Pr Baubet. « Ils étaient en état de choc (un état de stress dépassé) et nécessitaient une prise en charge. L’enjeu était de maintenir le contact et de les orienter pour s’assurer qu’ils bénéficient d’un suivi ».
Si un processus de soins est difficile à entamer quand la situation n’est pas encore stabilisée, la première intervention relève de la « réassurance » par la « création d’un cercle de sécurité » avec l’idée de favoriser une « forme de résilience », explique Éric Ghozlan. « L’accueil et l’intervention initiale sont essentiels pour que les victimes se sentent de nouveau comme des êtres humains », ajoute le Pr Baubet.
Lors de ce premier contact avec les rapatriés, la collaboration avec Ose a été une « aide importante » car « certains de ses membres parlent l’hébreu et tous ont une connaissance de la culture israélienne et nous ont apporté des éléments de contexte », poursuit le psychiatre, soulignant le caractère « innovant » de cette approche pour une cellule pourtant rompue aux interventions d’urgence.
Un risque psy inhérent aux situations de confit
La psychiatrie d’urgence réclame une connaissance de ce qu’est l’effroi traumatique et de ses conséquences immédiates et à long terme. « Il est important de se projeter tout de suite dans la durée, détaille le Pr Baubet. Certains peuvent donner l’impression d’aller bien dans un premier temps, mais s’effondreront après quelques semaines ou mois. D’autres auront une manifestation bruyante au début mais ne développeront pas de troubles chroniques par la suite ». Un suivi d’un mois est ainsi nécessaire. « C’est une période où l’état de santé mentale peut s’améliorer ou s’aggraver. Ce n’est qu’après plusieurs semaines que l’on peut parler de troubles du stress post-traumatique (TSPT) », poursuit-il.
Parmi les personnes exposées aux explosions ou les proches de personnes concernées par les attaques ou les prises d’otages, « entre 10 et 35 % vont développer un TPST », rappelle Éric Ghozlan. Une revue de 129 études, publiée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2022, montre que parmi les personnes ayant vécu une guerre ou un autre conflit au cours des 10 années précédentes, 1 sur 5 (22 %) souffre de dépression, d'anxiété, de TSPT ou de trouble bipolaire.
Une prise en charge est nécessaire pour ne pas laisser les troubles s’installer, d’autant que « les traumatismes ne surviennent pas sur des pages blanches, les troubles antérieurs doivent être pris en compte », insiste le Pr Baubet. Aussi, dans ce cas précis, le traumatisme provoqué est intentionnel, contrairement à ce qui résulte d’une catastrophe naturelle par exemple. « Les personnes ont été attaquées pour ce qu’elles sont. C’est beaucoup plus traumatisant et ça entraîne plus de complications psychiatriques », poursuit-il. Pour la communauté juive française, l’évènement peut aussi « réveiller une histoire traumatique transgénérationnelle, avec des conséquences psychologiques plus complexes ».
Un risque aussi pour la communauté juive française
Pour les Français revenus par d’autres moyens, un poste d'urgence médico-psychologique (Pump) et une hotline ont aussi été mis en place par l’association Ose. Ce service a été sollicité dans les jours qui ont suivi les attaques par des membres de la communauté juive en France. Les « nombreux appels reçus » rapportaient de « violentes crises d’angoisse » et le « sentiment d’être seuls, abandonnés », indique le Pr Baubet. « Ces derniers jours, beaucoup d’appels étaient liés à l’antisémitisme », complète Éric Ghozlan. L’association est aussi intervenue dans des écoles juives dans une logique de prévention, alors que certains enfants ont pu être exposés à des images choquantes.
Pour limiter l’impact psychologique, le psychologue clinicien recommande d’éviter les contenus violents, de favoriser l’écoute, le débat, la discussion et de maintenir les activités de routine. « Il est important de ne pas modifier ses habitudes et de demander de l’aide si des troubles apparaissent », conseille-t-il.
Plusieurs initiatives sont en cours de préparation pour proposer un accompagnement psychologique en français afin de soulager le système de soins israélien. L’association Ose collabore à cette fin avec la Fondation des Amis de l’hôpital Tel Hashomer, présidée par le psychiatre Pierre Angel, et l’Association des médecins israélites de France (Amif) pour proposer une plateforme de visio consultations aux 200 000 francophones résidants en Israël, avec des relais côté israélien : l’association franco-israélienne Copelfi qui mobilise un réseau de psychologues et psychiatres francophones. Et l’alliance Kia (Kol Israël Havérim) qui coordonne un réseau d’une trentaine de professionnels bénévoles pour la prise en charge sur place des patients suivis pour des troubles au long cours, avec ou sans lien direct avec les récents évènements.
* Une association à caractère médico-social qui vient au secours des enfants et porte une assistance médicale ouverte à tous et qui s’inscrit dans l’appartenance à la communauté juive française
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