Après les opioïdes, la prégabaline ? L’usage abusif et/ou détourné de ce produit de la famille des gabapentinoïdes, autorisé depuis 2004 dans l’indication de douleurs neuropathiques, d’épilepsie et de trouble anxieux généralisé, se répand. Une tendance suffisamment marquée pour que les addictologues, échaudés par la crise des opioïdes, la surveillent de très près. En 2016, l'ANSM avait déjà alerté sur ce phénomène. Il fait aujourd'hui l’objet d’un chapitre de la dernière publication annuelle de l’OFDT, consacrée aux tendances récentes et nouvelles drogues (TREND), évaluées sur l’année 2019 et les deux premiers mois de 2020.
Ordonnances falsifiées
Depuis 1999, ce dispositif, qui s’appuie sur les données collectées par les réseaux d’addictologie de huit grosses agglomérations françaises, assure une veille des phénomènes émergents. « Depuis 2017, observe le rapport, le dispositif TREND fait état d’un développement hors cadre médical du Lyrica ® (et ses génériques, NDLR). En 2019, ce phénomène qui se manifeste notamment à travers la hausse (parfois très importante) de demande de prescriptions (en CSAPA, CAARUD, centre de santé communautaire, service médico psychologique et unités sanitaires en milieu pénitentiaire) s’accentue dans l’ensemble des agglomérations où le dispositif est implanté. » Le recueil des Ordonnances Suspectes Indicateur d'Abus Possible (OSIAP) mené par le réseau d’addictovigilance révèle par ailleurs qu’en 2019, la prégabaline est devenue le médicament qui fait le plus fréquemment l’objet d’ordonnances falsifiées.
De la région parisienne à Marseille en passant par Lyon, Bordeaux ou Toulouse, les addictologues identifient les mêmes profils de consommateurs. L’usage se répand essentiellement « au sein de certaines populations précaires et poly-usagères ». On l’observe « notamment chez des personnes originaires des pays de l’Est ou d’Afrique du Nord, qui l’ont soit rencontré comme un produit de rue, ou se la sont vue prescrire depuis l’adolescence », confirme le Pr Nicolas Authier, pharmacologue-addictologue et directeur de l’observatoire Français des médicaments antalgiques (OFMA). Or, « comme tout produit psychoactif, la prégabaline peut engendrer une pharmacodépendance ».
D’autres publics, non suivis par les observations de TREND pourraient aussi être concernés : à Lyon, Paris et Bordeaux, des cas d’hospitalisations en urgence ont été rapportés, de jeunes actifs ou étudiants qui en avaient consommé, l’associant à d’autres produits.
Un dépresseur du SNC qui potentialise les effets des opioïdes
Quel que soit le profil, tous recherchent les mêmes effets : ressentir une sensation d’ébriété, réduire l’anxiété et/ou booster les sensations fortes procurées par l’absorption concomitante d’autres drogues (alcool mais aussi héroïne ou méthadone). Un usage détourné qui s’appuie sur les propriétés pharmacologiques de la prégabaline, explique le Pr Authier : « dépresseur du système nerveux central, plus puissant que la gabapentine, elle abaisse la tolérance aux opioïdes et ce faisant en potentialise les effets. »
Outre le risque d’overdose, le danger est aussi d’accroître une dépression respiratoire, elle-même provoquée par les opioïdes. Un risque « encore peu connu » mais non négligeable relève le rapport TREND. « Plusieurs cas ont été rapportés aux États-Unis », confirme le Pr Authier. La FDA s’en est alarmée fin 2019, réclamant même un nouvel étiquetage qui avertisse des potentiels effets respiratoires chez des patients âgés ou présentant une anomalie respiratoire et de nouveaux essais cliniques pour évaluer les risques en combinaison avec des opioïdes. Si ces effets n’étaient pas apparus lors des essais cliniques, « les patients n’étant pas suivis assez longtemps », souligne le Pr Authier, ils justifient de manier la prégabaline avec prudence même dans ses usages thérapeutiques.
Des recommandations plus strictes pour les douleurs neuropathiques
Dans un avis de sa commission de la transparence de 2017, la HAS notait que 1 624 468 prescriptions de Lyrica® avaient été faites en 2016, et que son utilisation, principalement pour le traitement de la douleur, était « large et en partie hors AMM », y compris pour des sciatiques ou dorsalgies (14,9 %) et parfois des fibromyalgies. « En psychiatrie elle est assez peu utilisée mais pour les douleurs neuropathiques, elle est devenue depuis des années la prescription de première intention, souvent avec du tramadol », observe le Pr Authier, qui prévient : « la douleur neuropathique nécessite un diagnostic précis et confirmé. Avant d’être d’abord traité par d’autres produits, antidépresseurs ou gabapentine. » Les dernières recommandations de la SFETD, publiées en 2020 dans la revue Neurologies ont formellement rétrogradé la prégabaline au traitement de seconde intention. Et si elle est prescrite, « elle n’a pas vocation à être associée avec un opioïde, insiste Nicolas Authier : aucune étude n’a prouvé que cela avait du sens de l’associer à du Tramadol. »
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