A l’initiative d’Anne-Sophie Joly, la présidente et porte flambeau du CNAO (Collectif National des Associations d’Obèses), la salle Victor-Hugo de l’Assemblée Nationale a fait le plein ce 29 mars 2017 lors du Colloque pour l’engagement présidentiel contre l’obésité et devant tous les candidats à l’élection présidentielle ou leurs représentants. Ce fléau de santé publique, parmi les plus importants et des plus couteux, est emblématique. L’OMS prédit une épidémie sans précédent et une crise immense après un doublement du problème depuis 20 ans. Il est plus que temps de se saisir de ce problème au plus haut niveau de l’Etat. Explications politiquement incorrectes.
L’obésité, un silence assourdissant
Selon les chiffres de la cohorte Inserm, Paris-Descartes et de l’Hôpital européen Georges-Pompidou (Bulletin épidémiologique 10/2016), le surpoids touche 33 millions de Français (45 millions probables en 2030), l’obésité 11 millions. Si l’épidémiologiste Marie Zins (Université Simone-Veil de Versailles) se veut « rassurante » au moins partiellement sur « la fin de l’explosion de l’obésité », on peut critiquer l’étude au motif qu’elle est biaisée géographiquement (16% du territoire, sur quels critères ?) et qu’elle ne prend en compte que des données concernant des individus entre 30 et 69 ans. Dommage quand on sait que la prévalence de l’obésité est la plus importante entre 65 et 74 ans, que 18,1% des enfants de 9-10 ans sont en surpoids et que les 18-30 compte pour 12% du total (Eurostat 2016).
Sébastien Czernichow, professeur de nutrition à l’Université Paris-Descartes et chef du service de nutrition de l’Hôpital européen Georges-Pompidou est moins optimiste qui indique que « Ces chiffres montrent que l’obésité reste un problème sanitaire majeur (…) et que les seniors, « au pic du risque », cumulent les problèmes liés au surpoids et ceux liés au vieillissement ». Parmi les dommages collatéraux de l’obésité et pour voir l’ampleur des dégâts on peut citer les maladies cardio-vasculaires, le diabète, les pathologies ostéo-articulaires, les troubles respiratoires, la dépression ou les cancers de plusieurs types, notamment du foie, de l’utérus ou du sein après la ménopause entre autres et une espérance de vie réduite autour de dix ans.
Asservissement, inégalité, ostracisme
Le taux d’obésité est inversement proportionnel au niveau socio-économique. Il existe plus de 27,9 % d’obèses chez les femmes avec un revenu mensuel inférieur à 1 500 euros pour 7 % au-delà de 4 200 euros. C’est le même cas chez les hommes avec 20,6 % à 9,1 % d’obèses selon le même écart de ressources financières. Un adolescent sur 5 est en surpoids. Injustice suprême, l’obésité touche 4 fois plus les enfants de la population défavorisée (1,3 % des enfants de cadres contre 5,5 % des enfants d’ouvriers). D’autre part, on compte un taux de surpoids chez 25 % des personnes non diplômées contre 8,8 % pour les diplômés du supérieur.
Au travail, selon un rapport (2016) du Défenseur des droits et de l’OIT (Organisation internationale du travail), les femmes sont 8 fois plus discriminées en fonction de leur apparence et ce, deux fois plus que les hommes. Au total, un calcul rapide montre que 8 % des chômeurs sont stigmatisés en fonction de leur poids. C’est-à-dire 526 000 citoyens discriminés dans un pays si fier de « ses » droits de l’Homme.
Les causes et les conséquences
L’obésité est une pathologie plurifactorielle au moins dépendante de 4 variables que sont le comportement alimentaire soumis au marketing industriel, la sédentarité, le déficit d’information éclairée et transparent ainsi que la prédisposition génétique. Il serait intéressant de savoir qui, parmi nos concitoyens, sont les individus les plus à risques et de les prévenir. Voilà peut-être une vocation utile pour la génomique préventive eu égard au volume de l’épidémie et de l’effondrement des coûts de séquençage. Ici la médecine n’est pas l’Alpha et l’Omega des solutions. On rappellera à tous ceux qui s’enorgueillissent de l’efficacité systémique de la médecine d’excellence sur l’accroissement de l’espérance de vie les conclusions d’études du NIH (USA) et du NIH (UK) qui démontrent que celle-ci décolle seulement à compter de 1850. Cette date charnière est celle de l’avènement de l’énergie et des machines à vapeurs, des combats pour un niveau de vie correct, de l’éducation pour tous, de l’hygiène et de l’interdiction du travail (15 heures par jour) des enfants de moins de 8 ans dans les mines de charbon en France (1 880). Jules Ferry en 1892 interdira leur embauche avant 12 ans.
Cher, très cher gras
Selon les études internationales les plus pertinentes (OMS, McKinsey Global Institute) l’impact de l’obésité et du surpoids sur le PIB est de l’ordre de 54 à 59 milliards par an (Trésor-Eco 179-2016), là où le tabac compte pour 64,3 milliards, les violences pour 47,7 milliards et l’alcool pour 45,7 milliards. Ces chiffres incluent les coûts directs, les pertes de productivité, les coûts indirects de surmorbidité et de surmortalité. Il est à craindre que les coûts réels soient sous-estimés car nous manquons d’instruments fiables que des analyses smart data structurées pourraient affiner.
Mobilisation au plus haut niveau requise
Benoit Vallet, Directeur Général de la Santé, rappelle que « La nutrition est un des déterminants majeurs de la survenue des principales pathologies chroniques en France : cancers, maladies cardio-vasculaires, diabète, obésité. . En 2001, pionnière dans ce domaine, la France a lancé le Programme national nutrition santé (PNNS). Depuis 2006, une tendance à la diminution de la prévalence du surpoids et de l’obésité chez les enfants a été montrée par plusieurs études. Les inégalités sociales et territoriales restent cependant importantes. Plusieurs axes d’action doivent être renforcés afin d’améliorer la situation : développer les mesures d’éducation à la santé et de prévention auprès des populations, faciliter la décision par le consommateur, sur le lieu de vente, du produit le plus favorable pour sa santé, avec un étiquetage nutritionnel simplifié, améliorer le parcours de santé et la prise en charge des patients par la formation des divers soignants et la prescription d’activité physique adaptée pour les patients atteints d’affections de longue durée. L’action en matière de nutrition est plurisectorielle. La cohérence et l’articulation des programmes mis en œuvre par les ministères de la santé, de l’agriculture, de l’éducation et des sports seront renforcées pour une meilleure efficience. La France doit jouer un rôle moteur, en Europe et au niveau international en promouvant les orientations développées, fondées sur une approche qui conjugue santé, culture et plaisir gastronomique ».
Et si le numérique pouvait aider ?
Nul doute que l’information dématérialisée peut et doit avoir un impact. Encore faudrait-il que les services de l’Etat et ses agences se parlent mieux, qu’ils se saisissent de la puissance de l’innovation numérique, qu’ils se dotent de conseils-patients seuls à même d’éclairer les besoins, les usages, les aspects psychologiques en fonction des situations et des âges. Dans tous les cas, l’action doit être encourageante, positive, ludique, mesurable. La simplicité et la coopération sont de mises entre associations de patients, médecins et administrations au lieu de réinventer l’eau chaude chaque matin avec des recettes belles comme l’Antique. Pourquoi l’assurance maladie, la mutualité et les agences ne coopèrent-t-elles pas mieux ensemble en allant au-devant des patients via les médecins et/ou un guichet unique d’informations qualifiées et vérifiées. Les intérêts doivent diverger sans doute.
Tentatives, commerce et cynisme
Le 15 septembre 2009, 59 députés déposaient un simple article de proposition de loi ainsi libellé « La lutte contre l’épidémie d’obésité et de surpoids est déclarée grande cause nationale 2011 ». On rappelle le doublement de l’obésité entre 1984 et 2004. Las ! ce fut la lutte contre la solitude qui fut choisie cette année-là. Une autre tentative vit le jour en 2012. Sans suites. Allez comprendre !
Les industriels du secteur agro-alimentaire quant à eux sont passés maîtres dans le « responsive borderline marketing » (marketing adaptatif limite) - tenant bien peu compte des conséquences sanitaires - qui prennent bien soin d’éviter la transparence. On le voit dans le combat mené et heureusement perdu sur l’affichage nutritionnel cette année - mais hélas facultatif -.
Pour ne prendre qu’un exemple, mais ils sont légion », la promesse d’Actimel (Danone), copiée sur celle du Japonais Yakult (1950) de considérer l’un des composants naturels du lait fermenté, le Lactobacillus Casei DN114001, comme probiotique sous le nom évocateur de Lactobacillus Casei Defensis en oubliant les effets dose-dépendances. Pour mieux vendre, Danone, roi du marketing segmenté, fait évoluer le nom de son produit miracle (jusqu’à 1 milliard d'euros de chiffre d’affaires en 2005) en Lactobacillus Casei Immunitas. Actimel défend mais aussi immunise ! Il faudra attendre 2004 et un avis de l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), une class action américaine de 2008 – et un règlement « amiable » de 35 millions de dollars payé à la Justice américaine par Danone pour tromperie et pour éviter un procès par trop médiatique -, puis une interdiction de l’ASA anglaise en 2009 (Advertising Standards Authority) et enfin une publication dans Nature par Didier Raoult pour que Danone retire toute mention sanitaire du produit. L’AFP relaya l’information en ces termes : « Danone a annoncé jeudi 15 avril 2010 le retrait en Europe de toutes allusions aux bénéfices pour la santé de ses laitages Activia et Actimel dans ses campagnes publicitaires déjà modifiées en France, aux États-Unis, et en Grande-Bretagne, où elles ont été jugées trompeuses. » Mais que contient l’ex-produit miracle ? Pour 100 g, on compte 15 g de sucre, 1,7 g de lipides et 3 g de protides soit 150 % de sucres, 70 % de lipides en plus et 25 % de protéines en moins mais pour un prix 8 fois plus cher à volume équivalent de lait. Ce qui fait dire à Bruno Meurisse, ancien directeur marketing et directeur du European Medical Nutrition de Danone : « Je n’en reviens pas d’avoir vendu autant de lait aussi cher » (Libération 10/11/2004). Ce qui fait dire aux mauvaises langues qu’avec Actimel, au moins Danone est en « bonne santé ». Heureusement, les ventes se sont, depuis, effondrées, mais après vingt ans de fausses promesses. En attendant, il n’est pas sûr que l’absorption inutile de 15 à 30 g de sucre par jour soit bien utile. On pourrait cibler bien des géants industriels (Nestlé, Mars, General Mills, Procter, Coca-Cola, Kraft, etc.) qui manipulent le goût et/ou ajoute, qui du sucre, qui du sel pour gonfler le poids de leurs ventes et contribuer au surpoids et ses conséquences (Fat, Walter Willet, Nutrition Dept, Harvard Univ, Am. Cancer. Soc, Am. Heart. Ass). C’est Henry Ford qui disait qu’il fallait « tondre les moutons en prenant bien garde de ne pas les écorcher pour le pouvoir mieux retondre ».
Pour bien comprendre, à quel point les industriels prennent en compte la santé, on se rapportera avec bénéfice à l’équation du Snack Idéal « « P = A G + A C + A F – B $ – B S –B Q » où P est l’acte d’achat et où l’attrait pour le gras et le sel dépasse le S pour santé (Michael Ross, New York Times, 2010).
Au pinacle de de la logique humaniste et de l’efficacité, la Belgique, par la voix de l’indépendantiste bourgmestre d’Anvers et un tantinet négationniste, Bart de Wever, et le Royaume-Uni par celle de David Cameron ont trouvé la clé du problème. Réduire les indemnités de chômage des obèses. Ils ont justifié leur vision ainsi, pour le premier « pour ramener un peu de justice sociale » et « pour « aider » les obèses, réduire les coûts de l’Etat-nounou et mettre fin à « l’injustice » de faire payer les contribuables « qui travaillent dur » pour ceux qui refusent d’essayer de se sortir de leur ornière » pour le second. Einstein affirmait que deux choses pouvaient prétendre à l’infinitude, l’univers et la bêtise humaine. Il conservait cependant un doute certain s’agissant de la première hypothèse.
Une promesse est une dette (Confucius 497 BC)
Le CNAO, profitant du momentum des élections présidentielles a interpellé les candidats 2017 sur la problématique du surpoids et de l'obésité et une évolution caractérisée par l’OMS comme « une crise immense et sans précédent en Europe » à iso conditions pour 2030. Face aux chiffres et aux différents constats catastrophiques, tous les présidentiables majoritairement ont compris et accepté la mise en place, au lendemain de leur élection, d’un nouveau plan obésité interministériel (travaux en profondeur, élaboration de solutions sur l’offre l'alimentaire (moins de gras, moins de sel, moins de sucre, 15 minutes activité physique dès la crèche et l'école maternelle, remboursement des vitamines pour les patients opérés par chirurgie bariatrique). L’acquisition par le CNAO du statut d’association utilité publique offrirait une reconnaissance indispensable de l'obésité comme mère de bon nombre de pathologies associées. La prévention avec une inscription de ligne budgétaire dans les dépenses de l'État pour lutter contre l'obésité doit être engagée. Mais ce à quoi le CNAO tient avant tout, c'est que ces promesses deviennent réalité dans l'intérêt de la population. Les 45 associations du CNAO et ses dizaines de milliers de citoyens adhérents sauront rappeler leurs promesses à ceux qui les ont tenues avec deux armes aussi puissantes qu’elles sont simples et de droit : le réseau social numérique et le bulletin de vote.
Décidemment, il vaut mieux être jeune, riche et en bonne santé que vieux, pauvre et malade. N’en déplaise à tous ceux qui manient le verbe et les faux-fuyants.
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