LE QUOTIDIEN : Les autorités s’alarment de l’impact des écrans sur la santé des enfants, très peu sur celle des adultes. Pourquoi cet angle mort ?
MICHEL DESMURGET : Nous nous focalisons sur les enfants car le cerveau en bas âge est vulnérable. Mais nous commençons à mesurer l’impact de l’usage excessif des écrans sur les adultes. La sédentarité induite par les écrans a un effet dévastateur sur l’espérance de vie, sur le risque cardiovasculaire, sur la létalité. Entre une personne qui passe deux heures par jour devant un écran récréatif et une autre qui en passe quatre, le risque de décès toutes causes confondues augmente de 50 % et le risque d’accident vasculaire est multiplié par deux. Une autre étude a estimé que chaque heure de télévision correspondait à une perte de 22 minutes d’espérance de vie. Ces chiffres ne sont pas anodins.
Pourquoi les effets de la sédentarité sur la santé ne nous alertent-ils pas davantage ?
Les gens pensent qu’ils peuvent compenser le temps d’écran par un footing, le soir, mais la sédentarité, ce n’est pas un manque d’activité. Les Anglo-Saxons parlent d’ « active couch potatoes » pour parler de gens qui ont une activité physique satisfaisante mais sont sédentaires, avec des risques accrus dans tous les domaines. Rester assis longtemps endort le métabolisme musculaire, c’est un facteur majeur d’obésité. Nous dormons moins longtemps, avec des troubles de la qualité du sommeil. Cela a une incidence sur la santé mentale, avec une surchauffe cognitive constante et ce n’est pas un hasard si on assiste à une épidémie de burn-out au travail.
Les médecins ne sont pas formés à la problématique des écrans
Manque-t-on d’études sur l’impact des écrans sur la santé ?
Non, cet argument, utilisé par les marchands de doutes, est d’un autre âge ! Il manque en revanche une réelle volonté politique de s’attaquer à ce problème. Quand on entend parler de l’impact des écrans, il est très rare que l’on nous parle de sédentarité, de sommeil, d’obésité. Ces problèmes sont passés sous le boisseau. Aux États-Unis, les choses sont en train de bouger. Meta est la cible d’une plainte monumentale portée par 40 États, après qu’une ex-employée de Facebook, Frances Haugen, a lancé l’alerte sur les pratiques de son ancien groupe. Cette ingénieure a démontré que le géant des réseaux sociaux faisait passer ses profits avant la santé des enfants qui les utilisent.
Les médecins sont-ils suffisamment attentifs à la place des écrans dans la vie de leurs patients ?
Non car ils ne sont pas formés à cette problématique. Le sujet commence à émerger chez les pédiatres et en addictologie. Mais j’ai peur que l’on se retrouve d’ici à quelques années avec des problèmes majeurs de santé publique difficiles à juguler. On observe déjà de plus en plus d’accidents vasculaires cérébraux précoces chez les jeunes adultes et les écrans en sont l’un des facteurs.
*La fabrique du crétin digital, réédité au format poche aux éditions du Seuil, 570 pages, 10,40 euros
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