Julia Eychenne (volcanologue) : « Connaître l’impact des volcans sur la santé permettra de mieux se protéger »

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Publié le 31/10/2024
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Docteure en volcanologie à Clermont-Ferrand, Julia Eychenne travaille depuis six ans à décrire l’impact des éruptions volcaniques sur la santé à travers des collaborations avec les Outre-mer et des pays d’Amérique du Sud.

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LE QUOTIDIEN : Pourquoi s’intéresser aux liens entre volcans et santé ?

JULIA EYCHENNE : Il se produit entre 50 à 70 éruptions dans le monde chaque année, une fréquence stable dans le temps. Si l’on considère l’ensemble des aléas, les volcans explosifs produisant des panaches et des nuées ardentes sur les flancs sont les plus destructifs. Mais sur l’impact sanitaire seul, l’effet des volcans n’est pas très bien connu. Pourtant, les volcans actifs émettent dans l’atmosphère des gaz toxiques, comme le dioxyde de soufre (SO2), le dioxyde de carbone (CO2) ou l’hydrogène sulfuré (H2S), et/ou des particules très fines qui sont remises ensuite en suspension avec le vent. Ainsi, le volcan de la Soufrière, en Guadeloupe, dégaze en permanence, et l’Islande connaît des brouillards de poussière lors de tempêtes. Quel est l’impact sur les populations d’une exposition à ces gaz et/ou particules pendant des décennies ? Il n’y a pas encore de réponses claires.

Entre émissions de gaz et de particules, il est difficile de dire à ce stade lesquelles sont a priori plus dangereuses. Sans compter qu’il existe une forte variabilité dans la composition des émissions d’un volcan à l’autre et que chaque éruption est unique. Mais en savoir davantage permettra de mieux se préparer.

Quelles sont les données disponibles sur le sujet ?

Les premières études datent des années 1980 aux États-Unis, après le choc causé par l’éruption du mont Saint Helens qui a entraîné la mort d’une cinquantaine de personnes. Le nuage de cendres a même atteint la côte est du pays. Les institutions américaines ont alors lancé des études et une association entre cet événement et le développement de maladies respiratoires aiguës dans les populations vulnérables (enfants, pathologies préexistantes) a été mise en évidence. Sont aussi rapportés des problèmes oculaires, dermiques et intestinaux.

Pour la santé à long terme, il y a peu d’études. Un risque de silicose est suspecté en cas d’émission de silice cristalline, mais les travaux sont difficiles à mettre en place. Des cancers de la thyroïde ont été décrits aux Açores et en Sicile mais il y a beaucoup de facteurs confondants, les résultats sont donc à prendre avec des pincettes.

Notre laboratoire, à l’interface entre santé et sciences volcanologiques, caractérise les gaz nocifs et les particules

Comment travaillez-vous pour caractériser les risques associés ?

En métropole, il n’y a pas de volcan actif mais il y en a trois en Outre-mer : à La Réunion, avec le piton de la Fournaise, et deux de type explosif, en Guadeloupe et en Martinique. Les plus actifs sont à l’étranger. Pour travailler à l’échelle des populations, notre laboratoire a mis en place des collaborations avec les équipes locales en Outre-mer et en Amérique du Sud, en particulier au Pérou, et notre personnel part aussi en mission sur place. À La Réunion et en Guadeloupe, où il existe un dégazage permanent de H2S à la Soufrière, les observatoires volcanologiques ont mis en place des réseaux de surveillance spécifiques, dont les données sont croisées avec celles des réseaux de la qualité de l’air.

Notre laboratoire, à Clermont-Ferrand, qui étudie d’un point de vue fondamental les processus moléculaires et cellulaires, a développé un consortium pour une approche translationnelle, en particulier avec le CHU et un département de sciences cognitives à l’université. Nous travaillons à la caractérisation des gaz nocifs et des particules, en particulier leur minéralogie et leur fonctionnalité de surface. Les modèles biologiques nous permettent d’étudier les voies inflammatoires possiblement impliquées. Nous sommes à l’interface entre santé et sciences volcanologiques.

Dans cinq ans, notre laboratoire pense pouvoir fournir une description des mécanismes physiopathologiques de l’agression des cellules pulmonaires. D’ici à dix ans, nous serons à même d’identifier, dans certains environnements volcaniques, les effets sur les populations, s’il en existe. Plusieurs projets épidémiologiques sont en cours, notamment en Guadeloupe ; à Tenerife, des médecins de santé publique commencent à traiter les données recueillies il y a deux ans dans une étude de cohorte à La Palma. Au-delà de l’exposition à des toxiques, une éruption peut entraîner des problèmes de santé mentale : quelles traces laisse une éruption avec la peur de mourir et parfois la perte de tous ses biens ?

Existe-t-il des similitudes avec les mégafeux ?

Certaines éruptions entraînent des feux de forêt. Mais si les volcans et les mégafeux sont des sources d’émissions toxiques, il y a une différence fondamentale : les particules volcaniques sont inorganiques et celles des mégafeux organiques, et la nocivité des résidus de combustion est déjà bien établie.

Ce qui se rapproche le plus des particules volcaniques, ce sont les poussières des déserts, comme celles du Sahara, qui commencent à atteindre le continent européen. Mais si les produits volcaniques sont stériles, les poussières désertiques contiennent des micro-organismes qui pourraient concourir au développement de maladies respiratoires.

Propos recueillis par Dr Irène Drogou

Source : Le Quotidien du Médecin