« Pourquoi certaines personnes ayant vécu un traumatisme souffrent-elles de trouble de stress post-traumatique (TSPT), alors que d’autres ne développent jamais ce trouble ? Qu’est-ce qui, au niveau cérébral, explique que certaines personnes se remettent après avoir souffert de TSPT et que d’autres en sont atteintes de manière chronique ? » Telles sont les questions auxquelles tente de répondre l’équipe de Pierre Gagnepain, chercheur Inserm (laboratoire neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine)*, à travers l’étude Remember qu’il dirige. De nouveaux résultats publiés dans Science Advances ce 8 janvier mettent en lumière la plasticité des mécanismes cérébraux face aux traumas et montrent comment ils se transforment avec le temps, pour aboutir à une diminution des symptômes de stress post-traumatique.
Portée par l’Inserm, Remember a été lancée dans les mois qui ont suivi les attentats du 13 novembre 2015, à Paris et Saint-Denis, dans le cadre du programme transdisciplinaire 13-Novembre**. L’étude compare les résultats d’imagerie cérébrale menée chez 120 participants exposés aux attentats et 80 non-exposés qui ont été suivis depuis 2015. L’objectif : observer les effets d’un événement traumatique sur les structures et le fonctionnement du cerveau, identifier des marqueurs neurobiologiques du stress post-traumatique et de la résilience, et à terme, déboucher sur de nouvelles pistes thérapeutiques, complémentaires à celles déjà existantes (thérapies cognitivo-comportementales, EMDR…).
Normalisation des mécanismes de contrôle de la mémoire chez les résilients
Dans leurs précédents travaux publiés en 2020 dans Science, les chercheurs mettaient en évidence un dysfonctionnement des réseaux cérébraux de contrôle de la mémoire chez les personnes souffrant de TSPT : ces mécanismes ne parviennent pas à inhiber l’activité de l’hippocampe, ce qui ouvre la voie à l’intrusion de souvenirs visuels, olfactifs et sensoriels, associés au trauma vécu. À l’inverse, le fonctionnement de ces mécanismes est très largement préservé chez les individus sans TSPT, qui parviennent à lutter efficacement contre les souvenirs intrusifs.
Dans ce nouveau travail, l’équipe de Pierre Gagnepain a voulu savoir si ces mécanismes pouvaient se moduler dans le temps, jusqu’à éventuellement une guérison du trouble.
Au total 100 personnes exposées aux attaques terroristes du 13 novembre ont été incluses : parmi elles, 34 souffraient de TSPT chronique, alors que 19 s’étaient remises d’un trouble initial. Le groupe contrôle comprend 72 participants non exposés aux attentats. Tous ont participé à deux reprises à des études d’imagerie cérébrale (en 2016-2017 puis en 2018-2019) afin d’étudier les évolutions structurelles et fonctionnelles de leur cerveau au cours du temps. Ils ont également répondu à un questionnaire sur leurs éventuels symptômes de TSPT en 2020-2021.
Les chercheurs observent que, chez les personnes remises du TSPT, les mécanismes de contrôle de la mémoire se refaçonnent au cours du temps et finissent par se normaliser, pour ressembler à ceux du groupe contrôle. Concrètement, cela se traduit en imagerie cérébrale par une action plus efficace des régions préfrontales pour inhiber l’activité hippocampique et empêcher l’accès aux souvenirs intrusifs. Chez les participants qui souffrent de TSPT chronique, ces phénomènes sont toujours altérés. Néanmoins, l’apparition d’un début de plasticité des mécanismes de contrôle de la mémoire, observée lors de la seconde étape d’imagerie chez certains d’entre eux, prédit une future réduction des symptômes intrusifs rapportés dans la troisième partie de l’étude, dans le questionnaire.
« Notre étude permet de montrer que rien n’est inscrit dans le marbre. La résilience humaine aux traumatismes est caractérisée par la plasticité des circuits de contrôle de la mémoire, notamment ceux qui régulent l’activité de l’hippocampe. Elle souligne également que l’altération des mécanismes de contrôle est bien plus probablement la cause que la conséquence du TSPT », souligne Giovanni Leone, premier auteur de l’étude, dans un communiqué.
La résilience « n'est pas innée, même s'il y a des facteurs qui la favorisent. Elle peut se développer et s'acquérir », résume Pierre Gagnepain auprès de l’AFP. « Initialement on avait des gens qui n'étaient pas résilients et qui le sont devenus en quelque sorte par le biais de la mobilisation de ces mécanismes de contrôle ».
D’un point de vue clinique, « on pourrait imaginer de nouvelles thérapies pour venir stimuler les mécanismes de contrôle de la mémoire et encourager la plasticité. L’avantage de cette approche serait d’agir sur les réseaux cérébraux sans agir sur le système émotionnel et sans faire revivre les émotions traumatiques au patient », précise encore Pierre Gagnepain.
L’équipe poursuit les travaux sur le sujet : la prochaine étape consistera à étudier le rôle d’un récepteur cérébral particulier (appelé « Gaba alpha 5 »), principalement localisé au sein de l’hippocampe, et qui pourrait être impliqué dans l’oubli et la mise sous silence des souvenirs.
* Unité 1077 Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine (Inserm/Université de Caen Normandie/École pratique des hautes études/CHU Caen/GIP Cyceron)
** codirigé par le neuropsychologue Francis Eustache, directeur du laboratoire Inserm Neuropsychologie et imagerie de la mémoire humaine, et l’historien Denis Peschanski, directeur de recherche au CNRS, le programme étudie la construction et l’évolution de la mémoire, individuelle et collective, de ces événements traumatiques.
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