Si les immunothérapies font leurs preuves dans les cancers de l’adulte, ceux de l’enfant n’y répondent que peu. Développer de nouvelles stratégies d’immunothérapie spécifiques est un défi auquel s’attelle aujourd'hui la recherche.
Alors que le succès de l’immunothérapie est incontestable dans les cancers de l’adulte, le constat est plus nuancé chez l’enfant. Décrits comme faiblement immunogènes, les cancers pédiatriques présentent peu d’accroches pour ce type de stratégie thérapeutique : la plupart présentent moins de mutations, moins d’infiltration par des cellules inflammatoires et des lymphocytes T, et les cibles PD-L1/PD-L2 y sont peu impliquées. Pourtant, les immunothérapies pourraient répondre à plusieurs problématiques qui se posent en oncopédiatrie.
Cette approche permettrait de diminuer la toxicité aiguë à long terme à laquelle la chimiothérapie expose, et représenterait une alternative potentielle pour les cancers en rechute ou réfractaire. Et dans certains types de tumeurs, l’immunothérapie serait une option pour éviter les allogreffes et les radiothérapies. « Le cancer acquiert des résistances et des addictions aux chimiothérapies comme pour les thérapeutiques ciblées développées ces dernières années. Les immunothérapies sont une voie de développement tout à fait intéressante pour y remédier », commente le Pr Pierre Rohrlich, hémato-pédiatre au CHU de Nice. La recherche doit ainsi se pencher sur de nouvelles stratégies, par exemple, les thérapies par CAR-T cells de nouvelle génération ou d’autres ciblant les macrophages au rôle délétère, en grand nombre dans les cancers de l’enfant.
Un boom dans les cancers hématologiques
Les lymphomes et les leucémies bénéficient depuis quelques années de l’immunothérapie, de par leur immunogénicité intrinsèque. « À l’exception des leucémies aiguës lymphoblastiques (LAL) des précurseurs T, je dirais qu’il y a désormais des immunothérapies efficaces pour toutes les leucémies », se réjouit le Pr Rohrlich. Si la plupart d’entre elles sont associées à une chimiothérapie et dédiées au traitement des cancers en rechute ou réfractaires aux chimiothérapies de 1re ligne, certaines, comme le blinatumomab ou le gemtuzumab, ont prouvé leur efficacité en néoadjuvant, et même en monothérapie. « La rechute de LAL est la première cause de décès par cancer chez l’enfant, avec un taux de rechute estimé entre 10 et 15 % et un taux de cancer réfractaire de 1 % », déplore le Pr Pierre Rohrlich.
« Dans l’absolu, la chimiothérapie guérit très bien, mais nous avons la possibilité, avec les immunothérapies, d’améliorer plus encore la survie globale et sans récidive, et de diminuer un peu la chimiothérapie », précise-t-il. C’est ainsi que le projet européen IntReALL est né il y a plus d’une quinzaine d’années, avec l’idée d’investiguer les secondes lignes de traitement dans les LAL de l’enfant et d’explorer des thérapies pouvant s’adapter au mieux aux multiples sous-types moléculaires. « À l’époque de notre premier protocole (IntReALL 2010), il n’y avait pas beaucoup d’immunothérapies disponibles, et notamment pas de CAR-T cells. Dans le second protocole que nous lançons en 2025 (IntReALL 2020), nous allons pouvoir évaluer une immunochimiothérapie (un anticorps monoclonal anti-CD22 associé à la calichéamicine) et également une thérapie par CAR-T cells dans les groupes à haut risque, notamment les rechutes très précoces ou celles avec une mutation p53 », détaille l’hémato-pédiatre.
Tout comme les leucémies de l’enfant, les lymphomes de l’enfant et de l’adolescent guérissent en grande majorité (85-90 %) grâce aux chimiothérapies. Cependant, là aussi, de nouvelles thérapies sont nécessaires pour s’attaquer aux cancers résistants, diminuer la toxicité à court et long terme, ainsi que le besoin en allogreffe de moelle qui s’accompagne d’une morbi-mortalité encore importante.
Les inhibiteurs des checkpoints immunitaires, les anti-PD-1, sont une vraie révolution dans le traitement des lymphomes de Hodgkin : ils permettent de limiter le recours à la radiothérapie et de réduire l’intensité de la chimiothérapie en première ligne mais aussi de contrôler les maladies en rechute ou réfractaires, souvent en association avec le brentuximab védotin, cet anti-CD30 conjugué. Dans le lymphome anaplasique à grandes cellules ALK+, qui touche une cinquantaine d’enfants et adultes par an en France, l’anti-PD-1 nivolumab a montré également son activité après échec des anti-ALK.
Pour les tumeurs solides, il va falloir développer des immunothérapies qui prennent en compte les nouvelles connaissances sur le système immunitaire
Pr Véronique Minard-Colin, pédiatre onco-hématologue à Gustave Roussy
« Les traitements conventionnels fonctionnent très bien, mais les patients requièrent une greffe de moelle par la suite en cas de rechute. Le nivolumab a montré, dans l’essai international Nivo-ALCL promu par Gustave Roussy, son efficacité chez un certain nombre de patients pour éviter la greffe ou quand la maladie résiste aux traitements disponibles », explique la Pr Véronique Minard-Colin, pédiatre onco-hématologue responsable du programme immunothérapie en pédiatrie à Gustave Roussy et vice-présidente de la Société française de lutte contre les cancers et les leucémies de l'enfant et de l'adolescent (SFCE).
« Nous ne pouvons pas encore communiquer nos résultats, car l’analyse finale est en cours, mais nous avons observé des réponses remarquables chez un certain nombre de patients. Nous avons même eu des cas de patients ayant eu une réponse, avant une progression de la maladie, puis une réponse secondaire spontanée alors que le traitement était arrêté ! Cela suggère qu’une immunité contre le lymphome s’est développée grâce à l’immunothérapie », relate la Pr Minard-Colin. Par ailleurs, l’oncologue est l’investigatrice principale pour la France d’une étude internationale qui sera lancée courant 2025 dans le lymphome B en rechute. Appelée GLO-BNHL, elle évaluera l’efficacité de plusieurs thérapies, dont des immunothérapies utilisant des anticorps bispécifiques, des CAR-T cells et des chimiothérapies associées à des anticorps conjugués. « Pour les lymphomes, nous avons beaucoup d’options et il faut les développer au mieux. Mais pour les tumeurs solides, il va falloir développer des immunothérapies qui prennent en compte les nouvelles connaissances sur le système immunitaire », explique l’onco-hématologue.
Le rôle des cellules myéloïdes
C’est ainsi que la Dr Claudia Pasqualini, oncologue pédiatre et chercheuse à Gustave Roussy s’intéresse à des cancers dans lesquels des macrophages sont retrouvés massivement et pour lesquels des cibles thérapeutiques sont encore à trouver. C’est le cas de tumeurs du cerveau, en particulier le gliome diffus de la ligne médiane, mais aussi des neuroblastomes et des rhabdomyosarcomes. « Pour le gliome diffus de la ligne médiane, les traitements arrivent à contrôler un peu la maladie, mais malheureusement celle-ci reprogresse par la suite. L’immunothérapie est une approche complémentaire, pas encore assez explorée, qui pourrait redistribuer les cartes. Mais nous devons d’abord trouver comment agir sur les cellules immunitaires de ce cancer, les macrophages. En tout cas, c’est une très bonne piste qui me donne de l’espoir », explique la Dr Pasqualini.
Des thérapies par CAR-T cells ont fait leurs preuves dans le neuroblastome. « C’est une stratégie qui gagne à être explorée. Une étude va pour la première fois évaluer une thérapie par CAR-T cell GD2 dans le neuroblastome en France à partir de 2025 », commente-t-elle. Sachant que déjà l’immunothérapie par anticorps anti-GD2 est aujourd’hui efficace en association avec la chimiothérapie en première et seconde lignes de traitement pour des tumeurs réfractaires ou en récidive. « Aujourd’hui, cette combinaison nous permet d’avoir des patients guéris ou en survie longue alors qu’il y a quelques années qu’il n’y avait pas de traitement curateur pour les neuroblastomes qui récidivaient ».
L’équipe, dont fait partie la Dr Claudia Pasqualini à Gustave Roussy, mène des travaux en immunologie sur le rôle des cellules myéloïdes (macrophages) dans les cancers de l’enfant, notamment grâce à des mini-organes cultivés in vitro. « L’idée est de comprendre comment les cellules tumorales, saines et immunitaires interagissent entre elles, comment réveiller une réponse immunitaire contre les cellules cancéreuses et pourquoi le système immunitaire des enfants régule mal le cancer », détaille-t-elle.
Des questions sur lesquelles se penchent d’autres chercheurs. L’équipe du Pr Petter Bodin du Karolinska Institutet a ainsi publié dans la revue Cell (1) une étude sur les facteurs influençant les réponses immunitaires dans les cancers solides en pédiatrie. Conclusion : les réponses des cellules T CD8+ sont rares chez l’enfant, mais régulées comme chez l’adulte, tandis que l’âge et le type de tumeurs « façonnent différemment les réponses immunitaires » et « sont en corrélation avec le taux de mutation et l’infiltration des cellules immunitaires ». Selon les auteurs, ces données permettront de « prédire la réponse aux traitements et de les ajuster à chaque patient pour faciliter le développement d’immunothérapies de précision ».
Imagine for Margo, un appui pour la recherche
L’association Imagine for Margo, créée en 2011, collecte des fonds destinés à financer la recherche fondamentale, translationnelle et surtout clinique. En 2020, l’association a cofondé, aux côtés de plusieurs organisations européennes, l’appel à projets Fight Kids Cancer pour soutenir des programmes transfrontaliers. Imagine for Margo souhaite accélérer l’accès à la médecine de précision et aux thérapies innovantes porteuses d’espoir, telles que l’immunothérapie. L’association a ainsi affecté 3,75 millions d’euros dans neuf projets translationnels et cliniques dont Nivo-ALCL, GLO-BNHL, Mini kids (mini-organes)… Ces projets visent à déployer l’immunothérapie là où elle peut offrir des résultats immédiats et significatifs afin d’en faire une thérapie de pointe pour traiter des cancers encore très complexes, comme le gliome infiltrant du tronc cérébral.
(1) Chen Q. et al., Cell, 2025. DOI : 10.1016/j.cell.2024.12.014