Le Généraliste. Le rapport Daudigny-Deroche* recommande une augmentation annuelle du prix du tabac de 10 % pendant cinq ans. Qu’en pensez-vous ?
Pr Bertrand Dautzenberg. Toute augmentation du prix du tabac, à partir du moment où elle est significative, fait diminuer la consommation. On a eu l’expérience d’une petite augmentation du prix de 5,5 % qui a été, à six reprises, totalement inefficace. En revanche, toute augmentation de 10 % est efficace et fait diminuer de 4 % environ les ventes de tabac et la consommation. Et pourtant, bien que sachant cela, le secrétaire d’État au Budget, Christian Eckert a décidé délibérément, a priori sur ordre de l’Élysée, de supprimer, à l’automne dernier, l’augmentation systématique des taxes qui étaient indexées sur le prix moyen de vente du tabac de l’année précédente. Depuis, on a observé qu’au cours des quatre premiers mois de l’année, la diminution de consommation de tabac constatée les mois précédents a disparu. Soit un cadeau de 100 millions d’euros, pris dans la poche des Français, aux multinationales du tabac. Il s’agit donc d’un scandale absolu.
Quelle était la logique de cette décision ?
Pr B.D. Je ne vois d’autre explication que celle des promesses émanant des lobbies du tabac.
Comment faire pour que l’augmentation de 10 % par an des prix du tabac soit effectivement mise en œuvre ?
Pr B.D. Cette politique est nécessaire et doit être conduite par le ministère de la Santé qui doit être autonome sur ce dossier et non par le ministère du Budget. On assiste, en effet, à une bataille entre le premier qui voudrait conduire une bonne politique et le second qui considère le tabac comme un produit de perception de taxes, alors que c’est une denrée qui constitue un véritable problème de santé publique. Non seulement, le tabac tue 78 000 Français par an mais en plus il ruine le pays : s’il rapporte 15 milliards de taxes, son coût annuel est de 45 milliards.
Quid de la contrebande qui serait induite par les hausses du prix du tabac ?
Pr B.D. Les industries du tabac (Phillip Morris, Japan Tobacco, British American Tobacco) payent chaque année depuis dix ans à la France et à l’Europe des dizaines de millions d’euros pour éviter les procès pour organisation de la contrebande de tabac et blanchiment de l’argent. Cette situation concerne toute l’Europe. Par exemple, en vendant leurs paquets de contrebande en Europe de l’Est moins cher que le prix normal, ils attirent des jeunes et des nouveaux clients désargentés. Puis, quand ces nouveaux consommateurs sont bien accrochés à une marque, ces sociétés se mettent à lutter contre la contrebande.
Quel est le rôle des professionnels de santé dans la lutte anti-tabac ?
Pr B.D. Les professionnels de santé doivent accompagner tout patient fumeur vers l’arrêt, mais ils ne sont pas aidés par les dernières recos de la HAS. Celles-ci préconisent d’abord le conseil au malade, la motivation. En cas d’échec, les substituts nicotiniques et, en dernier recours, le Champix®. Les médicaments les plus efficaces sont donc préconisés en dernier. Ces recos sont donc des conseils de mauvaise pratique qui désorientent les médecins. L’association de substituts nicotiniques oraux et en patchs triple le taux de succès. Tout comme le Champix® qui donne des effets secondaires rares, et qui reste banni du remboursement. Les évaluations ne prennent plus en compte le rapport risque/efficacité pour le patient mais le risque pour les agences sanitaires et le gouvernement.
Que doit faire le médecin face à un patient fumeur ?
Pr B.D. Le médecin doit expliquer au patient que s’il fume, c’est parce que, dans la partie basse de leur cerveau, des récepteurs nicotiniques crient famine de nicotine. Ensuite, il faut saturer le malade de nicotine par des patches ou par cigarette électronique. L’apport de nicotine doit être permanent pendant la journée. Dès que cet apport est permanent, et non plus par pics, comme avec la cigarette, le nombre de récepteurs cérébraux à la nicotine diminue de 1 % par jour. Chez les malades qui se mettent à la cigarette électronique, on constate qu’au début, ils achètent de grosses concentrations de nicotine, puis de moins en moins. Quant aux patches, ils sont arrêtés au bout de 3 à 6 mois. La toxicité d’un an de cigarette électronique dans ces conditions est celle d’un jour de vraie cigarette.
**« Fiscalité et santé publique, état des lieux des taxes comportementales ».
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