Comment interpréter et comprendre les différentes décisions judiciaires rendues ces dernières semaines autour de Vincent Lambert ?
Augustin Boulanger Devant les juridictions nationales, la question était celle de l’obstination déraisonnable. L'enjeu était de savoir si pour Vincent Lambert, les traitements qui étaient poursuivis, notamment l’alimentation et l’hydratation, le maintenaient artificiellement en vie. Le Conseil d’État a répondu le 24 avril en jugeant qu’il y avait une « obstination déraisonnable ». Les parents et leurs avocats ont alors invoqué des conventions européennes et internationales afin de neutraliser la décision du Conseil d’État. La convention européenne a estimé qu’il n’y avait pas de manquement à la vie. Au contraire, la Cour d’appel de Paris a considéré que la France aurait dû prendre des mesures provisoires, le temps que le Comité international sur les droits des personnes handicapées de l’ONU (CIDPH) se prononce sur la situation de Vincent Lambert. Car la France est liée par cette convention internationale.
Que peut-il se passer à partir de maintenant ?
A. B. Les traitements ont repris. C’est donc la fin de la sédation profonde et continue et le retour des soins de substitution aux fonctions vitales. Ils devront être maintenus le temps pour le CIDPH de vérifie que les droits des personnes handicapées prévus par la convention internationale, sont respectés par la France. Il pourra y avoir un recours devant la cour de cassation mais vraisemblablement pas avant six mois, le temps que le comité de l’ONU étudie le cas de Vincent Lambert.
Les décisions juridiques rendues dans l’affaire Lambert peuvent-elles faire jurisprudence dans d’autres cas similaires ?
A. B. En 2014, le Conseil d’État s’était déjà prononcé dans le même sens mais cette décision présente un intérêt particulier car depuis, il y a eu l’adoption de la loi Claeys-Leonetti, le 2 février 2016. Les dispositions législatives et réglementaires ont été revues. Les textes prévoient notamment que l’alimentation et l’hydratation artificielles sont des traitements susceptibles d’être arrêtés, ce qui n’était pas le cas dans la loi précédente. D’un point de vue juridique, cette décision vient éclairer la loi et d'aucuns pourront effectivement s’appuyer sur elle. Mais attention, la jurisprudence concernant des personnes incapables de s’exprimer indique qu’il convient que le médecin en charge du patient s’appuie sur des éléments médicaux et non médicaux propres à la situation. Cela signifie que la justice peut se référer à d’autres décisions pour trancher mais il faut avant tout s’intéresser à la situation d’espèce.
Cette affaire pourrait avoir une incidence plus importante sur le plan politique et c'est peut-être plus inquiétant. On le voit depuis hier soir, les hommes politiques s’appuient sur cette affaire pour défendre leurs propres idées.
Cette affaire semble montrer les limites de la décision médicale et de son poids dans des situations exceptionnelles comme celle-ci.
A. B. Ce qui a posé énormément de problèmes ici et a conduit à son enlisement, c’est le fait que Vincent Lambert n’ait pas rédigé de directives anticipées ni désigné de personne de confiance, nous permettant de connaître sa réelle volonté. Son médecin s’est appuyé sur les témoignages des uns et des autres, c’est ce qui ressort dans la décision du Conseil d’État.
En 2016, Rachel Lambert s’est vue confier la tutelle de son mari. Pourquoi cela ne lui-a-t-il pas permis d'obtenir gain de cause ?
A. B. La raison est simple. Le code de la santé publique prévoit lorsqu’un arrêt des traitements est envisagé, et lorsqu’un patient est hors d’état de s’exprimer et n'a pas laissé de directives anticipées, de recueillir l’avis des proches et le cas échéant du tuteur. Mais cet avis n’est pas contraignant pour le médecin en charge du patient.
Faudrait-il mettre en place une hiérarchie des proches comme c’est le cas en Belgique ?
A. B. Cela me semble très compliqué. Je ne suis pas sûr que ce soit très satisfaisant. Cela pourrait rendre les choses plus simples en pratique mais cela n’irait pas dans le sens de la paix des ménages.
Existe-t-il aujourd’hui en France beaucoup d’autres cas comme celui de Vincent Lambert ?
A. B. Dans l’immense majorité des cas, ces situations sont traitées en bonne entente avec l’entourage. La situation est exceptionnelle avec un déchirement au sein de la famille.
Est-ce que cette affaire souligne des manques de la loi Claeys-Leonetti ?
A. B. Ici nous avons affaire à des circonstances particulières. La loi Claeys-Leonetti est très précise. Elle ne permet pas de résoudre totalement cette situation. La loi ne doit pas non plus chercher à tout envisager et il faut qu’elle puisse s’adapter au plus grand nombre de situations. Une loi qui serait trop précise ne le permettrait certainement pas.
Aujourd’hui le problème est-il davantage une méconnaissance de la loi ?
Effectivement, la loi n’est pas suffisamment connue du grand public mais aussi des soignants. Le rapport récent de la HAS sur la sédation profonde et continue a permis de le constater. Dans une grande majorité des cas, les procédures collégiales ne sont pas engagées. Les professionnels de santé et le grand public doivent se familiariser avec cette loi qui va dans le sens d’une plus grande autonomie de la personne malade. Le danger serait le maintien d’un paternalisme médical qui, depuis les lois successives, n’est plus notre modèle.
* attaché temporaire d'enseignement et de recherche en droit privé à l'Université d'Aix-Marseille et
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