Voilà 30 ans, presque jour pour jour, que Science faisait paraître en mai 1983, l’article annonçant que des chercheurs et cliniciens français avaient isolé le rétrovirus responsable du Sida, prélevé dans les ganglions de deux malades. Trois grands témoins, éminents spécialistes de l’épidémie, reviennent sur ces 30 années qui allaient faire trembler le monde, bouleverser les agendas politiques et ébranler à jamais les certitudes d’une médecine triomphante.
Le Généraliste. Quel fut votre sentiment il y a 30 ans, quand vous avez su que le VIH avait été identifié ?
Pr Willy Rozenbaum. Quand l’équipe de l’Institut Pasteur, a mis en évidence un rétrovirus chez deux patients dont j’avais prélevé les adénopathies, notre première réaction fut de douter. Le virus qui avait été isolé était-il bien responsable de la maladie ? Il ne s’agissait que de deux patients, l’un d’entre eux ayant en plus une co-infection au HTLV-1, ce qui brouillait un peu l’interprétation. à cette époque, la bataille sur la paternité de cette découverte entre l’équipe de Pasteur et celle de Robert Gallo faisait rage, et les débats tournaient autour de considérations d’hyperspécialistes, avec des enjeux politiques importants. Il a fallu attendre fin 1983, date de la mise au point des tests sérologiques, et 1984, celle de leur publication, pour que nos certitudes s’affirment. Ce fut une grande satisfaction pour moi d’avoir contribué à cette découverte.
Pr Jean-François Delfraissy. J’avais trouvé cette publication importante mais à vrai dire je ne m’étais pas rendu compte à l’époque de l’impact majeur qu’elle aurait. Je commençais à m’occuper alors de malades du Sida et je ne participais pas alors à l’aventure de la découverte du VIH.
Pr Michel Kazatchkine. Je n’avais pas porté à cette découverte toute l’attention qu’elle aurait méritée. Je commençais tout juste à prendre en charge des malades infectés et on ignorait tous les millions d’individus qui étaient déjà alors séropositifs.
Quelles ont été les trois avancées médicales majeures ?
J.-F. D. La connaissance du génome du virus a permis de découvrir les enzymes impliquées dans la réplication virale. Deuxièmement, dans les années 94-96, la prévention de la transmission materno-fœtale du vih par l’AZT et l’arrivée des trithérapies deux ans plus tard. Et, ces dernières années, la mise à disposition des outils biomédicaux dans le domaine de la prévention tels la circoncision, les microbicides et la prescription d’antirétroviraux à visée préventive. J’ajouterai un dernier point ordre sociologique, la place du milieu associatif en tant qu’acteur auprès des organismes de recherche et qui leur apporte une dimension sociétale très nouvelle, en particulier en France. C’est le malade debout par rapport au malade couché.
W.R. La découverte du virus reste l’élément fondateur. Les résultats d’efficacité – même partielle - des traitements par AZT en 1986 et l’avènement des thérapies puissantes en 1996 sont certainement les trois avancées majeures des trente dernières années.
M.K. Plus encore que les découvertes scientifiques, telle l’identification de la molécule CD4 comme porte d’entrée du virus dans les lymphocytes, l’immense avancée est politique et internationale avec la création de l’Onusida et du Fonds Mondial permettant aux antirétroviraux de parvenir à tous les malades qui en ont besoin dans le monde.
Quelles sont vos plus grandes déceptions ?
W.R. Je suis navré de constater qu’encore aujourd’hui les politiques de lutte contre le Sida butent sur les préjugés et les valeurs morales inadaptées. On retire des droits aux personnes plutôt qu’on ne leur en donne, y compris en France. Les droits des migrants ne sont pas respectés et les politiques en faveur des toxicomanes sont quasi inexistantes pour ne citer que ceux-là. Les progrès médicaux ont été énormes, mais, en revanche, les évolutions sociétales sont loin d’avoir été à la hauteur.
J.-F. D. Trente ans après, le Sida n’est toujours pas une maladie comme les autres. Il y a une connotation sociale qui reste majeure : un malade atteint de Sida n’est pas considéré comme un malade atteint de cancer. On a fait bien plus de progrès médicaux que de progrès sociaux dans cette maladie. Je suis aussi déçu qu’on n’ait toujours pas de vaccin car aucune maladie infectieuse n’est véritablement réglée sans vaccin.
M.K. Mon plus grand regret date de 2001, quand aucun malade des pays pauvres ne pouvait accéder aux antirétroviraux alors qu’ils étaient disponibles depuis six ans dans les pays du Nord.
Parmi les images ou événements qui ont marqué ces trente ans, quels sont ceux que vous retenez ?
W.R. J’ai vécu des années de guerre absolue. Je retiens les images de ces milliers de patients décédés prématurément et que j’ai accompagné à partir. Mais le premier patient chez qui j’ai diagnostiqué un Sida en 1981 est, lui, toujours vivant.
J.-F.D. Je retiens les images très fortes des années 85 de l’impuissance de la médecine à traiter des malades jeunes condamnés alors que j’avais été formé à une médecine puissante. L’autre image que je retiens est celle d’un Nelson Mandela à Durban dans les années 2000, vieilli et fatigué, qui a porté ce message très puissant qui a entraîné toute l’Afrique dans la lutte contre le Sida.
M.K. Les images de malades occupent terriblement ma mémoire et le souvenir de notre incapacité à faire autre chose que les accompagner à mourir. Je me souviens aussi très nettement d’une nuit passée avec le directeur général de l’Assistance Publique où il était question de sélectionner les malades à traiter car nous ne disposions pas du budget suffisant pour soigner tout le monde. Au bout de cette nuit, les finances ont fort heureusement été débloquées. Je me souviens aussi de mes premiers voyages en Afrique et des images dévastatrices de cette épidémie.
Quelles sont selon vous les idées courtes ou les préjugés qui persistent ?
W.R. Penser que vivre en couple stable protège du Sida est un aujourd’hui une idée très courte. La majorité des transmissions ont lieu au sein d’un couple régulier, habituel. Y compris chez les homosexuels masculins.
J.-F. D. Le Sida n’est pas une maladie de la pauvreté uniquement dans les pays du sud. C’est aussi vrai en France.
M.K. Croire que le Sida « c’est réglé et qu’il faut passer à autre chose » comme je l’entends trop souvent dire ici, à Genève.
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