Traitement néoadjuvant total

Tumeur rectale : le boom du TNT

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Publié le 19/11/2021
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Deux études PRODIGE 23 et RAPIDO ont récemment confirmé l’intérêt d’un traitement néoadjuvant total (TNT) dans les cancers du rectum localement avancés, en termes de survie sans rechute à trois ans. Cette stratégie pourrait également étendre les indications de préservation rectale : d’autres essais sont en cours.

Crédit photo : SPL/PHANIE

« Depuis les années 2000, aucune avancée majeure n’avait vraiment marqué la prise en charge des cancers du rectum localement avancés. La stratégie de traitement néoadjuvant total (TNT) validée notamment par deux grandes études PRODIGE 23 et RAPIDO, est aujourd’hui une nouvelle option thérapeutique, qui permet une amélioration de la survie sans rechute et sans métastase », explique le Dr Jérôme Durand-Labrunie (Gustave Roussy, Villejuif).

L’étude française PRODIGE 23 (1) a été menée chez 461 patients ayant un cancer du rectum localement avancé (T3-4Nx). Ils ont été randomisés pour recevoir soit la polychimiothérapie néoadjuvante FOLFIRINOX (oxaliplatine, irinotécan, 5-fluouracle et acide folinique) suivie du protocole de radiochimiothérapie (RCT) de référence (RCT préopératoire, puis exérèse totale du mésorectum et chimiothérapie adjuvante), soit la RCT de référence seule. La durée totale de traitement dans le groupe TNT était identique à celle du groupe traitement standard, mais l’ordre des traitements était modifié. De plus, dans le bras TNT, la chimiothérapie préopératoire était renforcée (quatre agents anticancéreux au lieu de trois) effectuée pour moitié avant l’opération, l’autre moitié étant réalisée après.

Moins 31% de risque de rechute

Les résultats à trois ans étaient en faveur du groupe TNT avec une amélioration significative de la survie sans rechute (75,7 % versus 68,5 %, HR = 0,69, p = 0,034) et de la survie sans métastase (78,8 % versus 71,7 %, HR = 0,64, p = 0,017). Il n’y avait pas de différence significative sur le taux de récidive locale (4,3 % versus 5,7 %), ni sur la survie globale. « En fait, les traitements adjuvants ou néoadjuvants n’ont jusqu’à présent jamais montré de bénéfice en termes de survie globale, mais ils démontrent un meilleur contrôle de la maladie. Nous verrons peut-être à cinq ans ce qu’il en est ...», ajoute le Dr Jérôme Durand-Labrunie. Les résultats anatomopathologiques mettaient en évidence des taux de réponses complètes nettement supérieurs dans le groupe TNT (27,8 % versus 12,1 %, p < 0,001). Le TNT s’est avéré être un traitement sûr avec des toxicités gérables et il n’affecte pas la qualité de vie.

L’étude RAPIDO (2) a également évalué l’intérêt d’un TNT avec une population et un schéma un peu différents. Les patients ayant un cancer localement avancé (cT4, invasion vasculaire extramurale, atteinte du fascia recti ou N2) ont été randomisés entre le bras expérimental TNT (radiothérapie courte 5x5Gy suivi d’une chimiothérapie néoadjuvante par six cycles de CAPOX ou neuf cycles de FOLFOX 4, puis chirurgie) et le bras contrôle (RCT CAPSO suivi d’une chirurgie puis chimiothérapie adjuvante optionnelle). Le critère principal d’évaluation était l’échec du traitement lié à la maladie (récidive locorégionale, métastase à distance, nouveau cancer colorectal, décès lié au traitement). La probabilité cumulée à trois ans d’échec du traitement était significativement abaissée dans le groupe TNT (23,7 % versus 30,4 %, HR = 0,75 ; p = 0,019), principalement lié à une diminution du risque d’apparition de métastases (20 % versus 26,8 %). Le taux de réponse histologique complète était plus important dans le groupe TNT (28 % versus 14 %, p < 0,0001). Mais aucune différence n'était observée entre les deux bras sur le taux de récidives locales et la survie globale. La tolérance et la qualité de vie étaient comparables dans les deux groupes. « Ces deux études sont un grand pas en avant pour la validation du TNT. Il reste à mieux définir la population cible. Dans les deux études, l’âge médian était de 60 ans. Mais qu’en est-il pour une population plus âgée (> 75 ans) dans la mesure où ce traitement plus lourd que le protocole standard n’améliore pas la survie globale ? Comparer ces deux essais est hasardeux, leurs méthodologies sont différentes. On a très peu d’éléments pour pouvoir choisir l’un ou l’autre des schémas. Le choix se fera selon les habitudes : le FOLFIRINOX est une chimiothérapie très française… », précise le Dr Durand-Labrunie.  

La préservation rectale : nouveau paradigme

La stratégie de préservation d’organe dans la prise en charge de l’adénocarcinome rectal est une tendance forte. Elle permet de surseoir à la chirurgie chez les patients atteints de tumeurs à un stade précoce, en réponse clinique complète après un traitement néoadjuvant. Le TNT pourrait permettre d’étendre cette stratégie à des tumeurs plus avancées. Les résultats préliminaires de l’essai OPRA ont montré qu’une stratégie de surveillance et d’attente, en cas de réponse clinique complète au TNT, permettait la préservation des organes pour une proportion élevée de patients sans compromettre la survie. De plus, les résultats des essais OPERA et GRECCAR 12 sont attendus prochainement. 

(1) Conroy T et al. Lancet Oncol. 2021 May;22(5):702-715.
(2) Bahadoer RR et al. Lancet Oncol. 2021 Jan;22(1):29-42.

Christine Fallet

Source : lequotidiendumedecin.fr