Un beau jour survient l’élément déclencheur. Yves, gastro-entérologue, PU-PH à l’AP-HP, se met à hurler sur l’une de ses chefs : « J’en ai ras le cul, je n’ai qu’à me jeter par la fenêtre. » Cette phrase alerte ses collègues, qui préviennent alors sa femme. Aujourd’hui il reconnaît qu’il s’était plusieurs fois interrogé sur la manière qui permettrait de mettre fin à tous ses problèmes d’un coup. À cette époque, il voyait le suicide presque comme « une méthode professionnelle de régler les choses ».
Tout se déclenche en plein processus de nominations. Dossiers éreintants, oraux, jamais de repos… Et tout ceci amplifié par le Covid. « Les malades en état grave occupaient mes nuits. C’était une charge mentale énorme. Au bout d’un moment, vous devenez cynique, irritable, vous n’y arrivez plus », se remémore le quarantenaire. Yves se trouve vite submergé par tous les devoirs afférents à ses fonctions vis-à-vis des malades, mais aussi des étudiants. « Quand vous encadrez des étudiants en thèse, il faut qu’ils l’obtiennent. La charge mentale s’impose, permanente, écrasante, sans qu’aucun temps organisationnel n’y soit dédié », se remémore-t-il.
Une prise en charge dédiée
À ce moment-là, le professeur décide de s’arrêter deux semaines et de consulter à l’Unité de pathologie professionnelle et de l’environnement à Garches (Hôpital Raymond-Poincaré, AP-HP). « Une équipe m’a accueilli sur une demi-journée. J’avais l’impression d’être en formation continue sur le burn-out. À chaque fois que les intervenants décrivaient les symptômes, je me reconnaissais », témoigne-t-il. Il rencontre une psychologue clinicienne, une aide sociale, un médecin dit de pathologie professionnel, et une psychiatre. Au préalable, un questionnaire permet à l’équipe de cet hôpital de situer le patient et de pouvoir l’accompagner au mieux durant les quatre entretiens individuels. Pour finir, une séance de psychoéducation permet d’expliquer à l’ensemble du groupe les mécanismes du burn-out et les clefs pour s’en sortir.
« Sur un moteur quand tous les voyants sont allumés, continuer à rouler ne sert à rien »
Durant cette séance, la vision d’une consœur qu’il estime « grillée », lui fait pleinement prendre conscience de la nécessité de se reprendre en main « pour ne pas finir comme elle ». Accepter d’être pris en charge ne posa pas de difficulté, il avait déjà vu « des collègues brillantissimes finir avec le cerveau cramé ». Il se remémore ce grand professeur qui partait chez lui tous les matins sans jamais arriver à son lieu de travail.
Le Pr Yves a appris que la fierté ne pouvait entrer en considération et qu’il fallait bien admettre le moment où on dépasse ses limites. « Sur un moteur, quand tous les voyants sont allumés, continuer à rouler ne sert à rien. Il faut être débile », ajoute-t-il avec autodérision.
Revoir son organisation
Grâce au travail attentif de cette équipe et « de l’assistante sociale », Yves prend conscience de la nécessité de garder un certain équilibre dans sa vie. Il décide de réorganiser son travail, de se créer un équilibre entre les obligations, les urgences et ce qui reste à faire. Rester occupé, ne pas perdre le rythme mais en permanence se recentrer. En quelque sorte, conclut-il avec humour, « dire oui aux uns, et merde à d’autres ».
Ancien suractif, ex-addict au travail, aujourd’hui il arrive à ne pas stresser quand il n’a rien à faire avant 10 heures. Désormais, il va chercher ses enfants, prend le temps. Côté patients, cette expérience lui a permis de mieux se rendre compte quand un patient ne va pas bien et d’avoir plus d’empathie. « Dans mon exercice, un certain nombre de pathologies fonctionnelles sont reliées au stress. Depuis mon burn-out, j’arrive à déceler quand un patient a besoin de vider son sac. »
* Le prénom a été modifié