Symboles de la « société addictogène », les tablettes et smartphones ont généré des comportements particuliers au sein de la génération montante des « digital natives ».
Selon l'enquête « Les addictions chez les jeunes »* rendue publique vendredi par le Fonds actions addictions, la Fondation Gabriel Péri et la Fondation pour l'Innovation politique, 26 % des jeunes estiment passer plus de 5 heures par jour sur les réseaux sociaux et 10 % affirment y passer plus de 8 heures. De même, 24 % des 18-22 ans jouent plus de 2 heures par jour sur les jeux vidéo et 4 % plus de 8 heures. Concernant la consommation de pornographie, principalement en streaming sur Internet, 21 % des jeunes (dont 15 % des 14-17 ans) en consomment au moins une fois par semaine et 9 % au moins une fois par jour. La confrontation à la pornographie « alors même que la sexualité psychique se développe peut provoquer des crises d'anxiété, des troubles du sommeil, nourrir un sentiment douloureux », précisent les auteurs de l'enquête.
Des outils mal maîtrisés
« La surconsommation d'écran n'est pas un phénomène très ancien, commente le Pr Michel Reynaud, président du Fonds actions addictions et co-directeur l'étude. Il a émergé avec l'apparition de nouveaux outils comme le smartphone, que la société ne sait pas encore bien utiliser au mieux de ses bénéfices. » Des propos complétés par le Dr Laurent Karila de l'Hôpital universitaire Paul Brousse, qui aborde la question des écrans dans son livre « Tous addict, et après ? » : « On est plus dans des comportements d'allure addictive que dans des addictions proprement dites, explique-t-il, mais cela se traduit par une moindre disponibilité des jeunes pour les devoirs, le sommeil, les hobbies, la famille… »
L'enquête du Fonds actions addictions se veut être un « signal d'alarme », prévient le Pr Reynaud : « La grande quantité de porno disponible va modifier la sexualité des jeunes les plus fragiles. La sexualité du porno est violente, brutale, et dangereuse si à côté de cela il n'y a pas de modèle de relations amoureuses de qualité chez les parents. » Le Dr Karila, ne souhaite pas pour sa part « diaboliser le porno » mais « sa consommation, de plus en plus facilitée, est de plus en plus précoce. Un jeune de 8 à 10 ans exposé à la pornographie vit ça comme un équivalent à du sadomasochiste ». Dans sa consultation, le Dr Karila reçoit depuis 2008 des adultes victimes d'addiction sexuelle. « L'addiction sexuelle est très marginale chez les adolescents, mais tous les adultes de ma consultation ont été exposés précocement à de la pornographie », souligne-t-il.
Des adolescents conscients
Les risques ne sont pas ignorés par les jeunes, au contraire, puisque 66 % des jeunes interrogés estiment que la consultation fréquente des réseaux sociaux est associée au risque d'isolement social, et 56 % y voient même un risque de dépression et de suicide. Le risque de dépendance à la pornographie, consécutif à une trop grande consommation de films pour adultes, est quant à lui jugé probable par 66 % des jeunes interrogés. Ils sont également 57 % a estimé que cela augmente le risque d'agresser quelqu'un physiquement ou sexuellement et 41 % lie ce type de comportement au risque d'échec scolaire ou professionnel.
Filles et garçon n'ont pas le même profil de consommation. Les premiers consacrent plus de temps aux jeux vidéo, et les secondes sont plus présentes sur les réseaux sociaux. La pornographie reste une activité à dominante masculine, mais les écarts de genre se comblent : 12 % des filles de 14 à 17 ans (contre 18 % des garçons) regardent de la pornographie au moins une fois par semaine. Au-delà de 18 ans, 33 % des femmes consomment du porno toutes les semaines contre 16 % des femmes. « Les femmes adultes consomment de la pornographie avec leur partenaire, dans le cadre de pratiques qui ne sont plus hors normes, commente le Pr Reynaud. Mais chez les jeunes filles, cela interroge sur la modélisation qu'elles vont se faire de la relation sexuelle. » Un avis partagé par le Dr Karila, qui précise que les jeunes filles puisent des « modèles esthétiques » chez les stars du X : tatouage, épilation, etc.
L'obésité, un facteur de risque
Qu'il s'agisse de surconsommation des écrans, des réseaux sociaux ou de la pornographie, les facteurs de vulnérabilité sont les mêmes que dans les addictions plus « classiques » : environnement, fragilité sociale, antécédents familiaux et… obésité. « Les obèses sont ceux qui passent beaucoup plus de temps devant les écrans et qui ont une sous-évaluation du risque d'addiction car ils sont sans arrêt soumis à des stimulus, explique le Pr Reynaud. Un jeune issu d'un foyer défavorisé a aussi 2 fois plus de risque d'addiction qu'un autre issu d'un foyer relativement riche. »
Le Dr Karila entrevoit plusieurs moyens pour contrer la marée montante de ces nouvelles pratiques addictives : « Les parents doivent parler à leurs enfants de l'usage des écrans et de la pornographie, martèle-t-il. Il faut contrôler l’accès aux tablettes et aux smartphones. L’industrie du film pour adultes aussi doit se positionner sur ces questions-là. Enfin, l’État doit financer des mesures de prévention et d'information dans des collèges, énumère-t-il. La pornographie et l'activité sexuelle en ligne doivent être incluses dans la prévention sexuelle. J'aborde moi-même la question avec les étudiants en médecine que je forme dans le cadre du service sanitaire avant qu'ils soient envoyés dans les collèges. »
Pour l'heure les parents semblent sous-estimer la consommation de leurs jeunes. Selon les données de l'enquête : ils sont 52 % à penser que leurs enfants en ont déjà visionné, ce que déclarent 37 % des jeunes interrogés, mais ils sont 7 % à penser que leurs enfants regardent du porno, alors que ceux-ci sont 3 fois plus nombreux.
*L'enquête a été menée auprès 3 échantillons différents : 1 000 jeunes âgés de 14 à 24 ans, 402 parents d'enfants de 14 à 24 ans et 2 005 individus représentatifs de la population française âgée de 18 ans et plus.
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