Faut-il limiter la prévention des fractures aux personnes les plus à risque ? C’est la question que posent des chercheurs néo-zélandais dans une étude évaluant l’administration sporadique de zolédronate chez des femmes âgées de 50 à 60 ans au début de leur ménopause. Leur conclusion sur le critère principal (survenue d’une fracture vertébrale radiographique à 10 ans) rebat les cartes : deux injections par voie intraveineuse espacées de cinq ans du biphosphonate à longue durée d’action ont permis de diminuer significativement le risque de fracture vertébrale à 10 ans. Les résultats de cet essai de phase 3 randomisé, en double aveugle et contrôlé contre placebo (1) ont été publiés dans The New England Journal of Medicine.
Trois quarts des fractures de fragilité à la ménopause surviennent chez des femmes non ostéoporotiques
Le rationnel repose sur le fait que seuls 20-25 % des fractures de fragilité (c’est-à-dire spontanées ou de faible cinétique) à la ménopause surviennent chez des femmes avec ostéoporose à l’ostéodensitométrie, citent les auteurs. Autrement dit : environ 75 % de ces fractures sont constatées chez des femmes avec une densité minérale osseuse (DMO) normale ou subnormale (ostéopénie). Environ une femme ménopausée de moins de 65 ans sur 10 aura une fracture au cours d’une période de dix ans ; et les fractures chez les 50 à 65 ans comptent pour un quart de l’ensemble des fractures après 50 ans.
Élargir à des populations à risque peu élevé
Or la plupart des stratégies en prévention visent des sujets âgés et des personnes avec une DMO basse ou des antécédents fracturaires. En France, l’ostéodensitométrie par méthode biphotonique est réservée : – en population générale, quel que soit l’âge ou le sexe, en cas de fracture (vertébrale ou périphérique) sans contexte traumatique ou tumoral, de corticothérapie systémique de longue durée (au moins trois mois consécutifs, à une dose ≥ 7,5 mg/jour d'équivalent prednisone), d’endocrinopathie (hypogonadisme prolongé, hyperparathyroïdie primitive, hypercorticisme, etc.) et d’ostéogenèse imparfaite ; – pour un premier examen chez la femme ménopausée avec facteur de risque (antécédent de fracture du col fémoral sans traumatisme majeur chez un parent au 1er degré ; indice de masse corporelle < 19 kg/m2 ; ménopause avant 40 ans ; antécédent de prise de corticoïdes d'une durée d'au moins trois mois consécutifs, à une dose ≥ 7,5 mg/jour équivalent prednisone).
Administré une fois tous les douze à dix-huit mois dans l’ostéoporose, l’effet du zolédronate sur la DMO persiste au-delà de cinq ans et ce pour une sécurité satisfaisante à neuf ans, que les auteurs considèrent même « excellente ». Pour les chercheurs, il était tentant de tester le zolédronate dans une population à risque peu élevé.
DMO normale ou ostéopénie
Dans ce travail financé par le Conseil pour la recherche en santé de Nouvelle-Zélande, ont été incluses 1 054 femmes âgées en moyenne de 56 ans ayant une DMO avec un T-score compris entre 0 et -2,5 (sachant qu’une valeur comprise entre -1 et plus indique une DMO normale et qu’une valeur comprise entre -1 et -2,5 une ostéopénie). Les patientes avec ostéopénie peuvent ainsi présenter un risque fracturaire variable selon la DMO, allant de faible à relativement élevé. Les participantes étaient randomisées en trois groupes : groupe zolédronate (5 mg) à l’inclusion et à cinq ans (groupe zolédronate-zolédronate), groupe zolédronate à l’inclusion et placebo à cinq ans (groupe zolédronate-placebo) et groupe placebo- placebo. Des radiographies vertébrales étaient réalisées à l’inclusion, à cinq ans et à dix ans. Une fracture à l’imagerie était définie par une perte de hauteur d’un corps vertébral d’au moins 20 %. Le suivi à dix ans a été mené à bien chez 95,2 % des femmes incluses.
L’étude rapporte la survenue d’une fracture chez 22 femmes (6,3 %) du groupe zolédronate-zolédronate, 23 (6,6 %) du groupe zolédronate-placebo et 39 (11,1 %) du groupe placebo-placebo. Le risque relatif de fracture, par rapport au groupe double placebo, est ainsi diminué de 44 % pour le groupe double zolédronate (risque relatif [RR] = 0,56) et de 41 % pour le groupe zolédronate-placebo (RR = 0, 59). Concernant les critères secondaires, les risques relatifs de fractures de fragilité, de toute fracture et de fracture ostéoporotique majeure étaient diminués respectivement de 28 %, 30 % et 40 % pour le groupe double zolédronate comparé au groupe double placebo ; de 21 %, 23 % et 29 % pour le groupe zolédronate-placebo (toujours par rapport au groupe double placebo).
Un bénéfice significatif en population
Les résultats de l’étude néo-zélandaise confirment les observations des essais précédents menés chez des sujets âgés traités avec une injection tous les douze-dix-huit mois : les effets du zolédronate semblent persister à long terme et se traduire par une diminution des fractures. « Les femmes récemment ménopausées qui souhaitent réduire leur risque de fracture pourraient envisager une stratégie reposant sur l’administration de zolédronate tous les cinq ou dix ans », avancent les auteurs.
L’option pourrait trouver une place, alors que le traitement hormonal substitutif en prévention de l’ostéoporose a été « largement abandonné », rappelle le Pr Roland Chapurlat, rhumatologue à l’hôpital Édouard Herriot à Lyon dans un éditorial associé (2). Les patientes candidates sont à faible risque individuellement, mais si les stratégies sont déployées à une large échelle, le nombre d’événements évités, comme les fractures, peut être élevé. « Les stratégies de prévention peuvent avoir un effet majeur sur la population malgré un petit bénéfice à l’échelle individuelle, alors que traiter seulement les femmes avec ostéoporose n’a que peu d’effets sur le nombre total de fractures », développe le spécialiste lyonnais.
La molécule remplit les deux conditions nécessaires pour qu’une mesure de prévention soit déployée à large échelle en prévention : un coût faible pour les patientes et le système de santé (générique, fréquence faible) et un profil de sécurité acceptable. Avec un atout pour la mise en œuvre et l’observance : l’administration très espacée.
(1) M. Bolland et al., N Engl J Med, 2025;392:239-48
(2) R. Chapurlat et al., N Engl J Med, 2025. DOI: 10.1056/NEJMe2415376
Que disent les dernières recommandations américaines ?
Le dépistage de l’ostéoporose est reconduit quasiment à l’identique aux États-Unis par rapport aux recommandations de 2018, dans une mise à jour publiée mi-janvier par l’US Preventive Services Task Force (USPSTF). En prévention primaire (absence d’antécédent fracturaire), il est ainsi toujours préconisé de réaliser une ostéodensitométrie : aux femmes de 65 ans et plus (bénéfice modéré du traitement) ; aux femmes ménopausées de moins de 65 ans avec un ou plusieurs facteurs de risque (idem). Pour les hommes, l’USPSTF indique que « les données actuelles sont insuffisantes pour évaluer les bénéfices et les risques du dépistage ».
(1) L. Kahwati et al., Jama, 2025. DOI:10.1001/jama.2024.21653
(2) US Preventive Task Force, Jama, 2025. DOI:10.1001/jama2024.27154
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