Un patient de 66 ans d’origine algérienne hémodialysé est hospitalisé pour une mono-arthrite du genou droit évoluant depuis 3 mois. Le patient est hémodialysé depuis 20 mois dans une clinique pour une insuffisance rénale terminale secondaire à une sarcoïdose multiviscérale diagnostiquée en 1985. Ses autres antécédents sont une tuberculose pulmonaire et neuroméningée, une bactériémie à S. aureus méti-R sur une dermite de l’avant-bras droit, une hypertension artérielle, un diabète cortico-induit ainsi qu’une artériopathie périphérique sévère responsable de nécroses digitales et ayant conduit à une amputation transmétatarsienne gauche. En janvier 2017 au centre d’hémodialyse, le patient présente un sepsis sur une mono-arthrite du genou droit pour lequel il n’a pu bénéficier d’une ponction articulaire. En l’absence de germes identifiés sur les hémocultures, une antibiothérapie probabiliste associant vancomycine, ceftazidime et gentamycine est débutée. L’arthrite persiste malgré cette antibiothérapie. À la demande du centre d’hémodialyse, le patient est hospitalisé dans notre service début avril 2017 pour la prise en charge de cette monoarthrite.
À l’examen clinique, le genou droit est inflammatoire et le siège d’un important épanchement. Il présente également des ténosynovites des fléchisseurs du 3e et 4e doigts gauches ainsi que des lésions nodulaires violacées abcédées sur la jambe droite (cf photos 1 et 2). La biologie montre un syndrome inflammatoire avec une CRP à 350 mg/l. La sérologie VIH est négative.
[[asset:image:7249 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["photo 1 : Le patient a b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 d\u2019une amputation transP2 du 5e doigt gauche au cours de l\u2019hospitalisation en raison d\u2019une n\u00e9crose s\u00e8che."]}]][[asset:image:7250 {"mode":"full","align":"","field_asset_image_copyright":[],"field_asset_image_description":["Photo 2 : Nodule violac\u00e9 sur la jambe droite avec abc\u00e9dation secondaire"]}]]Après une fenêtre antibiotique d’une semaine, une ponction articulaire est réalisée au bloc opératoire (simultanément à des amputations du 5e doigt gauche et 3e doigt droit) et ramène un liquide hémorragique. Le liquide est inflammatoire, riche en polynucléaires neutrophiles. La culture du liquide est positive au troisième jour et permet d’identifier une mycobactérie, Mycobacterium chelonae. L’antibiogramme indique que la souche est sensible à la clarithromycine, la tobramycine, la tigécycline et l’imipénème. Une ponction échoguidée de la ténosynovite du fléchisseur du 4 doigt gauche est réalisée et permet d’identifier la même souche. Les hémocultures à la recherche de cette mycobactérie sont négatives et l’échographie transthoracique ne retrouve pas d’endocardite. Les radiographies des mains montrent une ostéolyse diffuse, des appositions périostées et des pincements articulaires diffus. Le TEP scanner retrouve des foyers hypermétaboliques péri-articulaires du genou droit, une ostéolyse de la patella droite ainsi que des foyers hypermétaboliques sous cutanés de la jambe droite. Des prélèvements des circuits d’eau de dialyse sont effectués et sont stériles.
Le diagnostic est une infection disséminée à Mycobacterium chelonae avec monoarthrite du genou droit, ténosynovites des fléchisseurs des doigts et lésions cutanées, sur une porte d’entrée cutanée. Après avis des infectiologues et la réalisation d’un audiogramme, une antibiothérapie associant clarithromycine (500 mg matin et soir), tobramycine (5 mg/kg avant les séances de dialyse) et imipénème (1 g matin et soir) est débutée pour une durée d’un mois. Cette antibiothérapie sera réévaluée lors d’une hospitalisation de jour en maladies infectieuses.
Des infections multiples et variées
Appartenant aux mycobactéries atypiques ou non tuberculeuses (MNT) à croissance rapide, Mycobacterium chelonae est un saprophyte de l’environnement (se trouvant dans les eaux de distribution, les sols et les poussières), parfois commensal transitoire de la peau et des muqueuses (1). Si les infections à M. chelonae sont rares (2/100 000 habitants dans les pays développés), elles concernent aussi bien les personnes immunodéprimées, davantage sujettes aux atteintes disséminées, que les patients immunocompétents (1-4).
La contamination peut se faire directement par voie cutanée sur peau lésée (1,5) ou, chez les patients dialysés, via les circuits d’eau de dialyse, les cathéters et les fistules artério-veineuses. Le délai d’incubation est variable allant de une semaine à plusieurs mois. Si l’atteinte cutanée est la plus fréquente (papules et nodules violacés pouvant s’abcéder et fistuliser) [1], les infections ostéo-articulaires et oculaires sont multiples et variées (6–8). Les atteintes pulmonaires et cardiaques sont plus rares (8).
Des prélèvements essentiels au diagnostic
Le diagnostic d’une infection à M. chelonae repose sur des prélèvements de bonne qualité. Réalisés dans des tubes stériles, ils doivent être acheminés au laboratoire dans un délai maximum de 2 heures ou conservés à 4°C le cas échéant. Les prélèvements doivent être répétés : le nombre de prélèvements positifs est corrélé à la pathogénicité de la bactérie. Ils concernent le patient et la source potentielle de contamination.
L’examen direct repose sur les colorations à l’auramine (fluorescence jaune vert) et Ziehl-Nelsen (morphologie). Les milieux de culture sont identiques au Bacille de Koch : milieux solides de Lowenstein Jensen et milieux liquides à une température de 30°C. La croissance est rapide en 3 à 7 jours (8). L’identification précise de la mycobactérie repose sur des techniques de biologie moléculaire : PCR ARNr 16 S et ARNr 23S ainsi que des PCR spécifiques des gènes rpoB et hsp65. La sensibilité des antibiotiques (CMI) doit être testée en milieu liquide. Les antibiotiques testés sont la clarithromycine, l’imipénème et la céfoxitine, les fluoroquinolones (ciprofloxacine, moxifloxacine), les cyclines (tigécycline, doxycycline) et les aminosides (tobramycine, amikacine). Tous ces antibiotiques ont un effet bactériostatique sur M. chelonae. Il est inutile de tester les antituberculeux classiques (rifampicine, isoniazide, pyrazinamide, éthambutol et spectomycine) car M. chelonae y est naturellement résistant. Il est important de comparer par séquençage génétique les souches issues du patient et celles issues de la source de contamination (8).
Traiter par tri-antibiothérapie
Le traitement de l’infection à M. chelonae dépend du terrain et de l’étendue des lésions. La clarithromycine a été le premier antibiotique ayant démontré son efficacité pour le traitement des formes cutanées (500 mg 2 fois par jour pendant 6 mois) [9]. La monothérapie par clarithromycine n’est plus recommandée en raison de l’apparition de résistance acquise (mutations ponctuelles de l’ARNr 23S). La durée de l’antibiothérapie n’est pas consensuelle. Pour les infections ostéo-articulaires, la durée recommandée est de 6 mois, avec initialement une tri-antibiothérapie associant clarithromycine, tobramycine et imipénème (10). Le retrait du matériel contaminé est fondamental et la chirurgie peut parfois être nécessaire. L’évolution des infections à M. chelonae traitées de manière adéquate est longue, en moyenne de 6 mois chez des sujets immunocompétents avec une atteinte cutanée. La guérison est difficile à prédire chez les sujets immunodéprimés (1).
La prévention est une part importante de la prise en charge. La prévention primaire repose avant tout sur des procédures adéquates de désinfection des matériels, le contrôle bactériologique des circuits d’eaux de dialyse et une antisepsie cutanée bien conduite (respect du temps de contact). Enfin le dépistage des cas annexes doit être réalisé afin d’éviter toute épidémie (1).
CHU Rouen
(1) Marsollier L, Aubry A, Carbonnelle E, et al. Mycobactérioses cutanées dues à Mycobacterium ulcerans, M. marinum, M. abscessus, M. chelonae et autres mycobactéries non tuberculeuses in l'Encyclopédie Médico-chirurgicale, édition 2010.
(2) Winthrop KL, Iseman M. Bedfellows: mycobacteria and rheumatoid arthritis in the era of biologic therapy. Nat Rev Rheumatol 2013;9:524–31
(3) Winthrop KL, McNelley E, Kendall B, et al. Pulmonary nontuberculous mycobacterial disease prevalence and clinical features: an emerging public health disease. Am J Respir Crit Care Med 2010;182:977–82
(4) Yeh J-J, Wang Y-C, Sung F-C, et al. Rheumatoid arthritis increases the risk of nontuberculosis mycobacterial disease and active pulmonary tuberculosis. PloS One 2014
(5) Carbonne A, Brossier F, Arnaud I, et al. Outbreak of nontuberculous mycobacterial subcutaneous infections related to multiple mesotherapy injections. J Clin Microbiol 2009;47:1961–4
(6) Jousse-Joulin S, Garre M, Guennoc X, et al. Skin and joint infection by Mycobacterium chelonae: rescue treatment with interferon gamma. Jt Bone Spine Rev Rhum 2007;74:385–8
(7) Mateo L, Rufí G, Nolla JM, et al. Mycobacterium chelonae tenosynovitis of the hand. Semin Arthritis Rheum 2004;34:617–22
(8) Guglielmetti L, Mougari F, Lopes A, et al. Human infections due to nontuberculous mycobacteria: the infectious diseases and clinical microbiology specialists point of view. Future Microbiol 2015;10:1467–83. doi:10.2217/fmb.15.64
(9) Wallace RJ, Tanner D, Brennan PJ,et al. Clinical trial of clarithromycin for cutaneous (disseminated) infection due to Mycobacterium chelonae. Ann Intern Med 1993;119:482–6
(10) Griffith DE, Aksamit T, Brown-Elliott BA, et al. An official ATS/IDSA statement: diagnosis, treatment, and prevention of nontuberculous mycobacterial diseases. Am J Respir Crit Care Med 2007;175:367–416
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