La prise en charge médicamenteuse de l’ostéoporose manque encore de cohérence, faute d’agents anaboliques en nombre suffisant et de données robustes sur les séquences thérapeutiques.
Stratégie et séquence thérapeutique : quelles évolutions ?
Le « treat-to-target » est un objectif louable… mais encore lointain dans notre domaine… Il a d’ailleurs fait l’objet du débat annuel ECTS/ASBMR – les bretteurs étaient respectivement Celia Gregson (Université de Bristol, Grande Bretagne) et Michael McClung (Oregon Osteoporosis Center, États-Unis) : après un débat animé et bien documenté des deux côtés, McClung a emporté le vote sur la motion « contre », défendant l’idée que les éléments de preuve en faveur d’une telle stratégie étaient encore insuffisants alors même que le concept est séduisant.
D’autre part, le romosozumab (Romo) poursuit son développement, notamment dans une perspective d’utilisation séquentielle. Même si la transition vers le Romo après 12 mois de traitement par dénosumab permet de poursuivre l’augmentation de la DMO lombaire et de maintenir la DMO totale de la hanche (1), l’évaluation de différentes séquences indique que la réponse biologique et densitométrique est meilleure en commençant par le Romo (2).
Éviter l’effet rebond à l’arrêt du dénosumab
Les principales données concernent l’effet de l’arrêt du Dénosumab (Dmab) et les moyens d’éviter le rebond de résorption, de perte osseuse et de fractures. Le fait est maintenant bien établi. Un nouveau travail de l’équipe de Lausanne souligne les facteurs de risque de fracture vertébrale (FV) à l’arrêt du Dmab dans une analyse rétrospective de près de 800 cas (3). Le nombre de FV après l'arrêt du Dmab n'était pas corrélé avec les facteurs de risque d'ostéoporose, ni avec le nombre d'injections de Dmab, ni avec la DMO lombaire ou fémorale pré-Dmab. Mais il y avait une relation avec les FV prévalentes, une faible DMO fémorale à la fin du traitement, des marqueurs de résorption élevés, l’absence de traitement par un bisphosphonate avant Dmab ou après avant Dmab. Dans l’étude DATA-HD, les patientes ont été traitées par tériparatide (TPTD) en association avec du Dmab, administré aux mois trois et neuf. Dans l’extension de cette étude, une perfusion d’acide zolédronique (Zol) a été administrée de 24 à 35 semaines après la dernière dose de Dmab (4). Cette perfusion unique maintient efficacement l’augmentation de DMO lombaire et fémorale obtenue avec le traitement combiné TPTD/Dmab, et ce pendant au moins 27 mois après la transition. L’analyse du timing de la perfusion de Zol indique une tendance à un effet bénéfique sur la DMO fémorale d’une administration tardive (plus de 30 mois par comparaison à moins de 26 mois ou entre 26 et 30 mois) mais avec une faible puissance due aux faibles effectifs de ces sous-groupes. Cette perfusion unique est cependant insuffisante pour maintenir à plus long terme la DMO. Ces données sont corroborées par une analyse de microarchitecture par microscanner périphérique (5). Les paramètres de microarchitecture trabéculaire et corticale sont préservés 12 mois après la perfusion de Zol mais une détérioration corticale est constatée 27 mois plus tard, suggérant la nécessité de renouveler ce traitement.
Dans l’étude danoise D→Z conduite chez des femmes ménopausées et des hommes traités par Dmab pendant 4,6 ± 0,2 ans, l’administration de la perfusion de Zol a été planifiée à six ou neuf mois après la dernière injection de Dmab (6). Ces deux groupes thérapeutiques ont été comparés à un groupe d’observation de patientes non traitées par Zol après l’arrêt du Dmab ; cependant, une procédure de « rattrapage » était prévue dans les deux derniers groupes, avec administration de Zol en cas d’élévation anormale du marqueur CTX (dosage mensuel), de fracture vertébrale, de hanche ou de perte osseuse ≥ 5 %. Dans le groupe observation, les patientes étaient traitées par Zol au plus tard à six mois, soit 12 mois après la dernière injection de Dmab. Le suivi après la perfusion de Zol était de deux ans et dans cette période, avec perfusion de Zol en cas de résorption élevée ou de perte osseuse. Dans cette étude, une perfusion unique de Zol six ou neuf mois après la dernière injection de Dmab ou lorsque la résorption est de nouveau élevée ne permet pas de prévenir complètement le rebond de résorption ni la perte osseuse : deux ans après cette perfusion de Zol, la perte osseuse est de 4,2 % au rachis lombaire et 3,8 % à la hanche totale, sans différence significative entre les trois groupes. Plus longue est la durée de traitement par Dmab et plus élevée est la résorption initiale, plus importante est la perte osseuse. Deux fractures ont été observées dans chaque groupe. Ces données contrastent avec ceux de l’équipe grecque, publiés récemment (7), suggérant qu’une perfusion unique de Zol administrée six mois après la dernière injection de Dmab (durée 2,4 ± 0,2 ans) maintient pendant trois ans les gains de DMO chez la majorité des patients… La stratégie reste donc incertaine mais l’ensemble des données invite à traiter assez rapidement après l’arrêt du Dmab et à continuer de suivre la résorption et la DMO pour retraiter en cas de rebond.
J’ai aussi été impressionné par une très belle conférence de Michelle McDonald, chercheure à Sydney, qui a utilisé un modèle expérimental chez la souris pour élucider les mécanismes cellulaires de l’échappement à la suppression de RANKL, reproduisant ainsi les effets de l’arrêt d’un traitement par Dmab. Ainsi, elle met en évidence une augmentation importante du nombre des ostéoclastes, précédée dans le temps par une élévation du marqueur biochimique TRAP qui anticipe la perte osseuse et pourrait servir de marqueur biologique d’un signal de rebond. Une approche technologique innovante très sophistiquée lui permet de visualiser de façon dynamique in vivo les événements cellulaires de la résorption ostéoclastique. La suppression de RANKL induit une rapide et complète déplétion en ostéoclastes mais sans apoptose et avec une augmentation du nombre de cellules multinucléées. Ceci est dû à une augmentation de la fission des ostéoclastes matures et à une diminution de la fusion de leurs précurseurs mononucléés. Inversement, l’arrêt du traitement supprimant RANKL remet en place rapidement les mécanismes cellulaires de la résorption osseuse, conduisant au rebond.
Risques liés aux bisphosphonates à long terme
Pas de donnée nouvelle sur les ostéonécroses de mâchoire mais des précisions sur les fractures fémorales atypiques et l’arythmie.
Dans une cohorte de registre danois, le risque de fracture fémorale atypique (FFA) a été réévalué (8). Il est très lié à la prise de bisphosphonate, à la durée de traitement (risque relatif de près de 40 pour un traitement de plus de sept ans) mais il diminue aussi après l’arrêt du traitement. Ces données confirment dans l’ensemble celles déjà connues.
Plus intéressant : le premier essai contrôlé contre placebo du TPTD pour accélérer la consolidation de ces fractures atypiques lorsqu’elles sont au stade de fissure incomplète (9). Malheureusement, l’administration de 20 µg/jour de TPTD n’améliore aucun des critères évalués, fonctionnels, structuraux ou densitométriques. Cette utilisation, parfois préconisée, ne peut être actuellement recommandée…
Les fractures atypiques peuvent aussi toucher l’ulna. Elles sont aussi liées à un traitement par bisphosphonate, sont toujours complètes et font suite à une FFA (10).
Le risque d’arythmie complète a été évalué dans des études de cohortes de patients traités par bisphosphonates ou dénosumab pour ostéoporose ou ostéolyse tumorale. L’analyse des données avec appariement du score de propension permet de tenir compte des covariables. Le risque relatif est ainsi supérieur pour les bisphosphonates par comparaison au dénosumab chez les ostéoporotiques (1,25 [1,04 – 1,5]). Pour les ostéolyses tumorales, la tendance n’est pas significative (1,20 [1,00 – 1,44]). Le nombre de patient à traiter par bisphosphonates pour provoquer un événement arythmique est respectivement de 325 et 242.
Service de rhumatologie, hôpital Lariboisière.
(1) McClung et al, Abstr P642
(2) Cosman et al, Abstr 1042
(3) Lamy et al, Abstr P638
(4) Ramchand et al, Abstr #1037
(5) Ramchand et al, Abstr #1038
(6) S lling et al, Abstr 1065
(7) Makras et al, Bone, mai 2020
(8) Bauer et al, Abstr 1061
(9) Tile et al, Abstr 1062
(10) Soo Min Cha et al, Abstr 1063
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