Plus de 1 600 documents scientifiques publiés ces dix dernières années et le travail d’une quinzaine d’experts — chercheurs, médecins, spécialistes des sciences humaines et associations de patients — constituent le socle de la dernière expertise collective de l’INSERM. Ce travail collégial et multidisciplinaire réalisé à la demande de la Direction générale de la santé est destiné à fournir des repères à la construction des politiques de santé publique, a expliqué Gilles Bloch, PDG de l’INSERM.
Qu’il s’agisse d’un syndrome ou d’une maladie, la fibromyalgie, classée dans les « douleurs chroniques généralisées » de l’édition 2018 de la Classification internationale des maladies (CIM), est une réalité clinique complexe, indiscutablement hétérogène et d’autant plus difficile à étudier qu’elle n’a pas de biomarqueur. Cette absence de signes biomédicaux, associée à une prévalence rapportée élevée dans la population (de 1,4 à 2,2 % de la population française), fait que sa réalité, son diagnostic et sa prise en charge demeurent sujets de controverses.
Douleurs chroniques diffuses, fatigue persistante (pour 75 % des patients), troubles du sommeil (de 62 à 95%), symptômes anxieux dépressifs (60 à 85 %), troubles cognitifs, condition physique altérée, l'hétérogénéité clinique reflète probablement des mécanismes physiopathologiques variables. « Alors qu’elle est avant tout une constellation de symptômes, les recherches physiopathologiques sur la fibromyalgie se sont concentrées sur les douleurs et peu sur les autres symptômes », déplore le Dr Didier Bouhassira, neurologue.
Pistes étiologiques
Des altérations de la réactivité au stress, mais aussi des systèmes de modulation de la douleur avec sensibilisation centrale (état d’hyperexcitabilité), sont encore hypothétiques mais demeurent un schéma d’explication cohérent. De même que l’atteinte des petites fibres périphériques, voire les lésions musculaires mises en évidence chez certains patients. Mais ces pistes restent à confirmer et ces mécanismes ne sont pas exclusifs les uns des autres.
Même les données de la neuro-imagerie sont « transitoires et inconstantes », rapporte l’un des experts, Ron Kupers, chercheur en neuro-imagerie. Reste donc un vaste champ d’explorations possibles dans ce syndrome. En attendant, souligne ce rapport, il importe de rattacher la fibromyalgie à un modèle médical biopsychosocial, qui permette « de ne plus considérer comme “psychosomatiques” les souffrances pour lesquelles on ne connaît pas (encore) d’altération biologique ».
Traitement individualisé et prudent
Améliorer les procédures diagnostiques (utiliser les critères 2016 de l’American College of Rheumatology et approfondir les diagnostics différentiels) est essentiel pour le Dr Jean-Jacques Dubost, rhumatologue. Et cet expert déplore que les praticiens fassent parfois plus confiance à leur intuition clinique qu’à des éléments objectifs.
Limiter le déconditionnement physique engendré en grande partie par la kinésiophobie, s’assurer de l’adhésion du patient à la prise en charge et au programme d’activité physique, réduire le mésusage des antalgiques et proscrire les opioïdes, s’appuyer sur les thérapies cognitivo-comportementales, telles sont les pierres angulaires du traitement de la fibromyalgie. Compte tenu des résultats médiocres de la thérapie médicamenteuse, celle-ci doit être le plus encadrée possible, souligne la pharmacologue Gisèle Pickering. Et toujours être associée à des thérapies non médicamenteuses en fonction de l’impact de la maladie sur la qualité de vie et les capacités fonctionnelles. Le collège d’experts suggère d’ailleurs à la Haute Autorité de santé d’ajouter aux référentiels de prescription d'activité physique et sportive établis dans 11 pathologies chroniques un outil spécifique pour la fibromyalgie.
En plaidant pour une prise en charge multimodale et interdisciplinaire du patient, intégrant les aspects psychiques, somatiques et sociaux de la fibromyalgie, les experts espèrent réduire l’errance médicale et permettre une prise de conscience au sein du médico-social. Reste à mettre en œuvre concrètement et à financer ces projets, souligne Carole Robert, présidente de l’association Fibromyalgie France. Laquelle, de concert avec Nadine Randon (association FibromyalgieSOS), déplore explicitement les carences concernant la recherche étiopathogénique et, plus particulièrement, l’exploration de la piste environnementale au sein de cette expertise.
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