Plus de la moitié des patients souffrant d'une maladie auto-immune systématique rapporte des symptômes dépressifs ou anxieux, entre autres troubles psychiques bien plus fréquents chez ces patients qu'en population générale, met en lumière une étude observationnelle publiée dans « Rheumatology ». Les chercheurs de l'Université de Cambridge et du King's College de Londres soulignent combien ces symptômes neuropsychiatriques sont sous-estimés par les médecins.
Alors que les études existantes se concentrent sur un petit nombre de symptômes psychiatriques, la particularité de ce travail tient à ce qu'il explore la prévalence d'une trentaine d'entre eux. Ceci chez 1 853 patients souffrant de maladie auto-immune systémique (lupus, arthrite inflammatoire, vascularite, polymyalgie rhumatismale, syndrome de Sjögren, myopathies inflammatoires, sclérodermie systémique…) à travers des questionnaires et des échelles. Leurs données ont été comparées à celles de 463 cas contrôles et 289 médecins rhumatologues, neurologues, psychiatres ou généralistes. Par ailleurs, des entretiens approfondis ont été conduits auprès de 67 patients et 46 médecins.
Fatigue, insomnie, dysfonction cognitive, dépression, anxiété…
Les personnes souffrant de maladie auto-immune systémique déclarent au cours de leur vie davantage de symptômes neuropsychiatriques que le groupe contrôle, à commencer par la fatigue (89 % versus 34 % chez les contrôles), l'insomnie (76 % versus 49 %), la dysfonction cognitive (70 % versus 22 %). Des symptômes dépressifs sont rapportés par 55 % des patients (versus 30 % de cas contrôles), et différents niveaux d'anxiété par 57 % (versus 33 %). Les pathologies les plus concernées par ces troubles sont le lupus et la connectivité indifférenciée (Undifferentiated Connective Tissue Disease, UCTD), tandis que la polymyalgie rhumatismale l'est moins.
L'étude britannique souligne en outre la grande différence de perception de ces troubles entre patients et médecins. Par exemple, 47 % des personnes souffrant de lupus rapportent des pensées suicidaires, alors que les médecins estiment cette proportion à hauteur de 15 %. Quelque 85 % des patients se plaignent de faiblesse, alors que les médecins la perçoivent chez 25 % de leurs patients. À noter, les estimations des psychiatres sont plus proches de celles des patients que les chiffres donnés par les neurologues ou rhumatologues - ce qui peut s'expliquer par une meilleure empathie et prise en compte du discours du patient, mais aussi par une durée de consultation plus longue.
Plus de la moitié des patients n'évoque pas ces troubles
Les réactions des médecins et patients face à ces différences sont elles-mêmes contrastées, les premiers reconnaissant être surpris, les seconds l'étant beaucoup moins. Et de préciser que les médecins ne les questionnaient, écoutaient ou croyaient que rarement. Près de 75 % des patients disent n'avoir jamais été interrogés sur leur santé mentale ; seulement 4 % des médecins assument ne pas s'en acquérir. Plus de la moitié des malades disent ne pas partager leurs symptômes psys à leur médecin.
La majorité des praticiens se concentrent sur les symptômes articulaires, estimant que les maladies auto-immunes n'affectent pas l'activité cérébrale. Selon les auteurs, ce manque de formation et de connaissances du fardeau neuropsychiatrique des maladies auto-immunes explique cette sous-estimation de la part des soignants. Et d'insister sur l'importance de la pluridisciplinarité des prises en charge et un meilleur dialogue entre patients et professionnels. Le cercle vicieux du silence repose aussi sur la stigmatisation qui pèse sur la santé mentale, et sur les malentendus entre médecins et malades, les premiers se gardant de poser des questions précises, les seconds ne se dévoilant pas spontanément, analysent les auteurs.
« Tous les professionnels de santé devraient systématiquement poser des questions sur le bien-être mental, et les patients devraient être encouragés à s'exprimer sans craindre d'être jugés. Aucun patient ne devrait souffrir en silence », commente le Dr Tom Pollak de l'Institut de psychiatrie du King's College de Londres.
Les auteurs se veulent néanmoins optimistes, en soulignant la motivation des médecins à prendre en compte les dimensions psychiatriques et neurologiques des maladies auto-immunes, d'autant que la recherche se penche davantage sur les effets comportementaux et cognitifs de l'inflammation chronique et les biomarqueurs potentiels.
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