Diagnostic et suivi via des biomarqueurs, définition d’un objectif clinique et stratégie thérapeutique « à marche forcée » : les évolutions de la prise en charge de la maladie de Still ont été présentées le 10 janvier à Paris, lors de la 7e journée de recherche sur les maladies auto-immunes du réseau CRI-Imidiate (F-Crin). Elles sont au cœur des recommandations des deux sociétés savantes de rhumatologie européennes*, coordonnées par le Pr Bruno Fautrel, rhumatologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) et co-animateur du réseau F-Crin CRI-Imidiate, et le Pr Fabrizio De Benedetti, professeur de rhumatologie pédiatrique et d’immunologie à l’hôpital pédiatrique Bambino Gesù à Rome (Vatican), et dévoilées en congrès en juin 2023.
Le premier défi reste le diagnostic précoce de ce rhumatisme inflammatoire rare (incidence établie à un ou deux cas par million de personnes chez l’adulte, un à cinq cas pour 100 000 chez l’enfant), explique le Pr Fautrel. « D’emblée », le tableau clinique va « alerter », poursuit-il. Sont observés des pics de fièvre récurrents et quotidiens avec une température jusqu’à 40 °C pendant au moins sept jours ; des éruptions cutanées transitoires, principalement érythémateuses, coïncidant avec les pics de fièvre ; des douleurs articulaires (arthralgies et myalgies) souvent similaires à un syndrome grippal, mais pouvant évoluer vers une authentique polyarthrite ; ainsi que des niveaux élevés d'inflammation identifiables par une hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles, une hausse de la protéine C-réactive (CRP) et de la ferritine.
Les signes cliniques peuvent évoquer une infection. Seules des investigations hospitalières assez larges pourront les éliminer
Pr Bruno Fautrel, rhumatologue à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP)
Face à ce tableau, le diagnostic ne repose pas tant sur les épaules des généralistes que sur celles des spécialistes hospitaliers à qui ces patients sont adressés. Plusieurs diagnostics alternatifs sont à éliminer : pathologies malignes, infections bactériennes ou virales, autres maladies inflammatoires à médiation immunitaire. « Les signes cliniques peuvent évoquer une infection. Seules des investigations hospitalières assez larges pourront les éliminer », insiste le Pr Fautrel.
Des dosages biologiques pour diagnostiquer et suivre la maladie
Pour les aider, des critères de classification ont été établis, mais aussi des dosages biologiques : l’élévation de la ferritine est un bon indicateur, tout comme le niveau de certaines cytokines, principalement l’interleukine IL-18. Le dernier protocole national de diagnostic et de soins (PNDS) rédigé à l’initiative de la filière Maladies rares FAI2R liste les investigations pertinentes. « Ces dosages et leur répétition font progresser vers le diagnostic, encourage le rhumatologue. La photo à un instant T est informative, mais le film (c’est-à-dire l’évolution des biomarqueurs sur la période d’observation du patient) l’est encore plus. C’est la dynamique qui est importante à suivre ». La répétition des bilans permet notamment d’identifier les patients qui n’évoluent pas « dans le bon sens » après l’introduction d’un traitement. « Une ferritine, une CRP, des transaminases ou des triglycérides qui continuent à augmenter ou à l’inverse un fibrinogène et des globules blancs qui se mettent à baisser anormalement doivent faire redouter une complication de la maladie de Still », détaille-t-il.
Si établir ce diagnostic peut être grisant tant la maladie est rare, la possibilité d’une évolution sévère rapide, avec engagement du pronostic vital, doit être constamment présente à l’esprit de l’équipe médicale. Les complications graves, qui affectent 10 à 15 % des malades, peuvent prendre la forme d’un syndrome d’activation macrophagique (SAM), d’atteintes hépatiques avec des hépatites fulminantes ou d’atteintes pulmonaires.
Dans ce processus diagnostique, le Pr Fautrel incite à « faire preuve d’humilité » en n’hésitant pas à contacter l’un des centres de référence de la filière FAI2R experts de la maladie. Ce sont « vos meilleurs alliés » pour discuter des dossiers, compléter les investigations, se concerter sur le traitement et ainsi éviter les « catastrophes », juge-t-il. « Les patients doivent se rendre dans un centre de référence, mais, dans de nombreux cas, l’initiation des traitements et le suivi peuvent se faire sans déplacement », ajoute-t-il.
Parvenir à une maladie cliniquement inactive
Côté prise en charge, l’enjeu actuel des recommandations est l’homogénéisation des parcours autour d’un objectif clinique désormais défini. Il s’agit de la maladie cliniquement inactive : « les patients n’ont plus de fièvre, les lésions cutanées disparaissent, les articulations ne sont plus douloureuses, elles dégonflent et il n’y a pas d’inflammation biologique », décrit le Pr Fautrel. On parle de rémission quand la maladie reste cliniquement inactive au moins six mois.
Pour y parvenir, une stratégie thérapeutique « à marche forcée » est introduite, avec des étapes aux objectifs clairs. À sept jours, la fièvre doit avoir disparu, ainsi que les éruptions cutanées ; la CRP doit avoir diminué de moitié et les articulations connaître une amélioration. À un mois, les douleurs articulaires doivent être dissipées et la CRP normalisée. À trois mois, le stade de la maladie cliniquement inactive doit être atteint, avec des doses faibles de glucocorticoïdes. À six mois, l’inactivité doit être maintenue et les corticoïdes arrêtés. « Si à chaque étape, les objectifs ne sont pas atteints, il faut envisager une alternative thérapeutique », avertit le rhumatologue.
Dans les formes sévères, les corticoïdes restent indispensables, en respectant l’objectif d’une dose faible à trois mois et d’un arrêt à six mois
Pour le traitement, l’arrivée des biothérapies a constitué un « changement de paradigme », poursuit-il. Les inhibiteurs de l’IL-6, et surtout de l’IL-1, plus spécifiques de la maladie de Still, offrent un « réel bénéfice » et leur introduction précoce est un gage d’efficacité. Dans les formes sévères, les corticoïdes restent indispensables, en respectant l’objectif d’une dose faible à trois mois et d’un arrêt à six mois. « Pour ces patients, on associe une biothérapie à de fortes doses de cortisone, par voie intraveineuse éventuellement », précise le Pr Fautrel.
Dans les formes moins sévères, l’objectif doit être d’éviter au maximum les corticoïdes et leur lot d’effets indésirables sur la peau, l’équilibre du diabète, la santé cardiovasculaire. « Ces traitements entraînent des effets rares mais définitifs comme des vergetures ou des ostéonécroses de hanche, de genou ou d’épaule. Les corticoïdes comptent parmi les rares thérapeutiques à avoir une toxicité cumulée. » Cet objectif de réduction des effets indésirables des glucocorticoïdes est atteignable grâce aux biothérapies bloquant les voies de l’IL-1 et de l’IL-6.
*L’Eular (European Alliance of Associations for Rheumatology) et la Pres (Pediatric Rheumatology European Association).
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