Pr Pascal Richette, Hôpital Lariboisière (Paris)

L’inflammation entre rhumatologie et cardiologie

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Publié le 26/02/2021

De nombreuses études épidémiologiques ont montré le lien entre inflammation et athérosclérose, et mettent en évidence une augmentation de la morbimortalité cardiovasculaire dans les rhumatismes inflammatoires, en particulier la polyarthrite rhumatoïde (PR) et la goutte. Une molécule prescrite dans cette dernière, la colchicine, a récemment fait son apparition dans les essais thérapeutiques cardiovasculaires, confirmant cette corrélation entre inflammation chronique et maladie athéromateuse.

Crédit photo : www.webtvsante.fr

On sait depuis quelques années qu’une inflammation systémique importante, mais aussi une inflammation chronique de bas grade, constituent des facteurs favorisants le développement d’une athérosclérose et de ses complications. Chez les coronariens comme en population générale, un taux de CRP élevé est corrélé au risque de MACE (Major Adverse Cardiac Events). Les pathologies inflammatoires chroniques comme la PR ou la goutte sont maintenant reconnues comme des facteurs de risque cardiovasculaires, même s’il existe certains facteurs confondants, comme les traitements tels que la corticothérapie ou les AINS qui peuvent être délétères sur le plan cardiovasculaire.

L’inflammation, facteur de risque de l’athérosclérose et de ses complications

L’hypothèse d’une origine inflammatoire de l’athérosclérose avait été soulevée depuis longtemps, mais elle n’a connu de véritable démonstration qu’avec l’étude CANTOS (Canakinumab Anti-Inflammatory Thrombosis Outcomes Study), où un anticorps monoclonal anti-IL-1, le canakinumab, réduisait significativement de 15 % des évènements cardiovasculaires versus placebo. L’essai a été mené en prévention secondaire chez plus de 10 000 personnes ayant un antécédent d’infarctus du myocarde, traitées de façon optimale et dont la protéine C réactive ultrasensible (CRP-us) était élevée (> 2 mg/L). La baisse significative des MACE était uniquement liée à l’effet anti-inflammatoire de l’inhibiteur de l’IL-1, puisqu’on ne constatait aucun impact sur le LDL cholestérol. Par contre, on observait une réduction de la CRP, et la diminution du risque cardiovasculaire était corrélée à celle de la CRP-us. En prouvant l’implication de l'inflammation dans le développement de l'athérosclérose et dans la rupture de plaque, CANTOS ouvrait la voie à des thérapeutiques baissant les évènements cardiovasculaires indépendamment de la prise en charge des facteurs de risque classiques, en ciblant certains médiateurs inflammatoires.

La colchicine en prévention secondaire des complications cardiovasculaires

« Les résultats de CANTOS ont amené à deux grandes études de prévention cardiovasculaire ciblant l’IL-1 avec la colchicine, précise le Pr Pascal Richette. La colchicine inhibe le réarrangement des microtubules dans les cellules, bloquant la formation de l’inflammasome et donc de la production d’IL-1, en particulier celle liée aux monocytes macrophages, dont on sait qu’ils sont recrutés au niveau de la plaque athéromateuse et qu’ils favorisent la formation de la plaque et sa rupture ».

Dans COLCOT (COLchicine Cardiovascular Outcomes Trial), près de 4 800 patients (dont un peu plus de 1 000 en France) ont été randomisés dans le mois suivant un infarctus du myocarde pour recevoir soit 0,5mg de colchicine, soit un placebo en plus du traitement habituel. L’étude confirme l’hypothèse de l’implication de l’inflammation chronique dans l’athérosclérose et en particulier dans la déstabilisation des plaques, puisque qu’après un suivi moyen de 22,6 mois, les complications cardio- et cérébro-vasculaires sont très significativement diminuées de 23 % (p = 0,02), avec en particulier une baisse de 74 % des AVC et de 50 % des revascularisations coronaires en urgence.

L’essai LODOCO 2 (Low Dose Colchicine in Patients with Chronic Coronary Disease) a utilisé le même schéma thérapeutique, toujours en prévention secondaire mais chez des coronariens stables (5 522). Après un suivi médian de 30 mois, la colchicine réduit le risque d’évènements cardiovasculaires majeurs de 30 % (p < 0,001).

En attendant les résultats d’essais en prévention primaire et des recommandations des sociétés savantes de cardiologie, le recours à la colchicine réaffirme tout son intérêt chez les patients goutteux souvent atteints de comorbidités cardiovasculaires.   

Ridker Paul M et al, The Canakinumab Anti-Inflammatory Thrombosis Outcomes Study, August 27, 2017DOI: 10.1056/NEJMoa1707914
Ridker Paul M et al, Effect of interleukin-1β inhibition with canakinumab on incident lung cancer in patients with atherosclerosis: exploratory results from a randomised, double-blind, placebo-controlled trial, 27 August 2017, DOI: http://dx.doi.org/10.1016/S0140-6736(17)32247-X
Tardif et al,  Efficacy and Safety of Low-Dose Colchicine after Myocardial Infarction. New England Journal of Medicine 2019, https://www.nejm.org/doi/full/10.1056/NEJMoa1912388
Nidorf et al, LOw DOse Colchicine in Patients with Chronic Coronary Disease. NEnglJMed. doi:10.1056/NEJMoa2021372.

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : lequotidiendumedecin.fr