« À l'hôpital, en ce qui concerne les biosimilaires administrés par voie intraveineuse, l'Agence générale des équipements et produits de santé de l'AP-HP (AGEPS) nous impose un biosimilaire, à la suite d'appels d'offres tous les deux ans », déclare le Pr Frédéric Lioté (hôpital Lariboisière, Paris).
Ainsi, un patient peut recevoir le médicament princeps (originator), puis un premier biosimilaire et un autre…
« Cela me pose un problème que, pour des raisons financières et d'appel d'offres, il y ait autant de rotations de biosimilaires. Il peut toujours y avoir des variations sur le plan immunologique… dont on ne connaît pas en toute objectivité les conséquences ».
Même si les autorités poussent les praticiens à passer systématiquement au biosimilaire (à l'AP-HP, l'objectif est de 90 % de prescriptions de biosimilaire de Remicade), la prescription doit se faire avec l'accord du patient. Les incitations des administrations ne doivent pas empêcher les professionnels de santé de mettre en place le processus de décision partagée et de tracer les accords ou refus des patients. La traçabilité des biosimilaires est aussi à prendre en compte.
Un possible effet nocebo
Et, comme pour les génériques, certains patients adhérent tandis que d'autres sont réticents et refusent. « Parmi ceux qui acceptent, globalement 20 % des patients se trouvent moins bien », souligne le Pr Frédéric Lioté.
« Il est certain que notre discours a énormément d'importance pour le patient que nous connaissons bien depuis des années, surtout dans le cadre d'une maladie inflammatoire chronique, et qui nous fait généralement confiance. La façon dont nous allons expliquer va faciliter l'acceptation du switch ou peut-être, au contraire, chez certains patients, avoir un effet contre-productif et générer un effet nocebo… ».
Il est bien établi qu'il faut associer le patient à la décision si l'on veut que le biosimilaire soit accepté : cela a été prouvé dans une première grande étude menée à l'hôpital Cochin et confirmé par une autre étude observationnelle au CHU de Bordeaux : le poids de la perception des patients est très important, même si toutes les grandes études, notamment NOR-SWITCH, ont montré la non-infériorité et la sécurité du biosimilaire du Remicade (infliximab) [1]. Dans l'étude de Bordeaux, 20 % des patients se sont trouvés « moins bien » avec le biosimilaire, avec un retour à l'état normal après reprise du Remicade, ce qui va dans le sens d'un effet nocebo (2).
« J'ai pu observer dans mon expérience personnelle un effet délétère. À Lariboisière, nous avons eu un patient qui avait une spondylarthrite stable à qui j'avais prescrit un biosimilaire de Remicade et qui a fait une poussée extra-articulaire (uvéites). Tout est rentré dans l'ordre avec le princeps, cela interpelle… Un effet délétère est donc toujours possible » (3).
Une expérimentation pour les biosimilaires délivrés en ville
De nouvelles dispositions ont été mises en place par l'article 51 de la loi de financement de la Sécurité Sociale pour 2018, notamment une expérimentation nationale pour la prescription hospitalière de biosimilaires par voie sous-cutanée délivrée en ville.
Globalement, moins de 10 % des patients seraient passés au biosimilaire d'Enbrel (étanercept). Une incitation directe auprès des services prescripteurs, favorisant un plus grand recours aux médicaments biosimilaires pour l'étanercept (Benepali et Erelzi) au sein de certains établissements sélectionnés, a ainsi été commencée. Cet intéressement renforcé peut aussi inclure, outre les services cliniques concernés, la pharmacie hospitalière. Les 45 euros de rémunération marginale, pris en compte dans le calcul de l'intéressement, correspondent à 30 % de l'écart de prix existant entre le biosimilaire et le médicament de référence. Pour cette expérimentation d'une durée de 3 ans maximum à compter du 1er octobre 2018, 26 CHU ont été retenus dont 4 à l'AP-HP.
Il a été décidé une attribution directe aux services concernés d'une incitation dont la valeur totale doit être majoritaire dans la rémunération versée à l'établissement.
« Or, que veut dire majoritaire ? s'interroge le Pr Frédéric Lioté. Ce taux peut aller de 50 % à… 100 %. Il y a des interprétations variables de la direction des finances d'un hôpital à l'autre… 51 % pour cet article 51 ! Par ailleurs, si cette expérimentation ne se montre pas suffisamment efficace, on peut craindre une décision autoritaire ou encore le droit de substitution aux pharmaciens qui le réclament… Notre liberté de prescrire serait remise en question ».
Pour le moment, le décret d'application de la loi de financement de la Sécurité Sociale de 2017 n'étant - fort heureusement - toujours pas paru, les switchs entre biomédicament de référence et biosimilaire ne peuvent être réalisés par les pharmaciens d'officine.
Enfin, l'arrivée des biosimilaires d'Humira (adalimumab) dont le brevet est tombé dans le domaine public en octobre dernier, et qui est le traitement anti-TNF le plus prescrit dans différentes indications, risque encore de changer la donne.
Y aura-t-il aussi un « article 51 » pour l'adalimumab ?
(1) J rgensen KK, Olsen IC, Goll GL, et al. NOR-SWITCH study group. Switching from originator infliximab to biosimilar CT-P13 compared with maintained treatment with originator infliximab (NOR-SWITCH): a 52-week, randomised, double-blind, non-inferiority trial. Lancet 2017;389(10086):2304-16.
(2) Scherlinger M, Germain V, Labadie C, et al. FHU ACRONIM. Switching from originator infliximab to biosimilar CT-P13 in real-life: The weight of patient acceptance. Joint Bone Spine 2018;85(5):561-7.
(3) Scherlinger M, Schaeverbeke T, Truchetet ME. Fédération HospitaloUniversitaire ACRONIM. Serum sickness-like disease after switching to biosimilar infliximab. Rheumatology (Oxford) 2017;56(11):2032-4.
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