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Dossier

Congrès Eular 2021

Les rhumatologues questionnent leurs pratiques

Par Dr Maia Bovard Gouffrant - Publié le 06/09/2021
Les rhumatologues questionnent leurs pratiques


SPL/PHANIE

Cette année encore, le congrès européen de rhumatologie (Eular 2-5 juin) a fait la part belle aux nouveaux «  umab » et aux « inib ». Mais cette édition 2021 a aussi été l’occasion de questionner certaines pratiques comme les corticothérapies au long cours, non dépourvues de risque même à faibles doses. Dans le rhumatisme psorasique, le traitement standardisé tend à céder la place à une approche plus individualisée, tandis que la prise en charge de l’ostéoporose masculine manque encore de consensus.

Corticoïdes : faibles doses ne rime pas forcément avec faible risque

Comme l’a rappelé le Pr Andrea Rubbert-Roth (Suisse), les corticostéroïdes (CS) en cure courte présentent un réel intérêt en rhumatologie, en particulier dans la polyarthrite rhumatoïde (PR) lorsqu’on débute ou qu’on modifie un traitement de fond conventionnel, et dans l’arthrose de la main où ils améliorent la douleur et la fonction. À condition de les arrêter le plus rapidement possible ! Or, en pratique, les cures courtes tendent à se prolonger. Ainsi, une étude allemande montre que, parmi 669 patients atteints de PR confirmée, 75 % sont toujours sous méthotrexate (MTX) et corticostéroïdes à 3 mois !

Par ailleurs, des corticothérapies à faibles doses sont fréquemment prescrites au long cours dans la PR et d’autres rhumatismes chroniques, mais leur sécurité sur la durée reste incertaine. Une étude montre que, dans la PR récente, l’association de la prednisone au MTX réduit les lésions articulaires érosives vs MTX seul après 2 ans de traitement, ainsi que l’activité de la maladie et l’incapacité physique, et permet d’obtenir une rémission durable et d’éviter l’ajout de cyclosporine ou d’un traitement biologique sans surcroît d’effets indésirables. Mais d’autres études soulèvent des doutes sur leur innocuité. Ainsi, chez des patients atteints de PR sous traitement conventionnel, les CS s’associent à une augmentation dose-dépendante du risque d’infection grave, un risque faible mais significatif même pour des doses inférieures à 5 mg/j.

L’analyse à 10 ans de la cohorte française Espoir – 397 patients atteints d’arthrite multiple débutante recevant en moyenne 1,9 mg/j de CS, pour une durée moyenne de 45 mois et une dose moyenne cumulée de 8 468 mg –, a relevé 95 complications, 10 décès, 18 évènements cardiovasculaires, 32 fractures et 35 infections sévères. L’ensemble de ces critères est significativement augmenté (18 % vs 12 % sans CS) et le taux d’infections a plus que doublé (8 % vs 3 %). Ces risques sont corrélés à la dose cumulée. Mêmes résultats sur une cohorte aux USA, où le risque d’infection sévère est majoré, y compris pour des doses inférieures à 5 mg/j.

Éviter les traitements prolongés

La pandémie de Covid-19 a aussi mis en évidence qu’un traitement par pred­nisone à des doses ≥10 mg/j était associé à une augmentation du risque de forme sévère de Covid. On n’a pas encore de données sur l’efficacité du vaccin chez les personnes sous CS.

La question se pose donc de savoir si on doit arrêter les CS quand on a obtenu un faible niveau d’activité de la maladie. Les auteurs de l’étude Semira ont conclu, dans une PR ancienne (9 ans en moyenne) stabilisée par tocilizumab et prednisone 5 mg/j, que ceux qui continuent les CS pendant 24 semaines ont un meilleur contrôle de leur maladie avec 77 % des patients en rémission vs 65 % chez ceux qui ont arrêté. Ce que le Pr Rubbert-­Roth interprète différemment, à savoir que « 2/3 des patients qui ont arrêté les CS sont en rémission même dans une pathologie ancienne et que la réduction d’1 mg par mois est faisable sans exposer à un risque d’insuffisance surrénalienne à l’arrêt ». Ainsi, « il est évident qu’il faut éviter le traitement prolongé par CS et les doses supérieures à 5 mg/j », conclut la rhumatologue.

Ostéoporose masculine, à quand un consensus international ?

Le diagnostic d’ostéoporose (OP) est encore plus tardif chez l’homme que chez la femme. Or on estime que 30 % des fractures ostéoporotiques surviennent en population masculine, avec une morbimortalité supérieure à celle de la femme, puisque 37 % décèdent dans l’année qui suit une fracture de hanche. Et si les hommes ne connaissent pas la perte brutale de la masse osseuse observée à la ménopause, ils ont à 70 ans une perte osseuse et une diminution de l’absorption du calcium identiques à celles des femmes.

Pour autant, on manque encore d’un consensus international sur le dépistage et la prise en charge de l’OP masculine. Le dépistage systématique n’est recommandé aux USA que chez les hommes âgés avec antécédents fracturaires, risque de chutes, pathologies ou traitements favorisant une ostéoporose secondaire. L’Académie européenne d’andrologie le préconise (2018) chez les hommes souffrant d’hypogonadisme ou devant être traités par privation androgénique. En France, on dispose depuis cet été de recommandations dédiées qui prônent une démarche pro-active en cas de fracture.

Facteurs de risque L’OP masculine est souvent secondaire, ce qui doit amener à rechercher ses causes spécifiques pour un traitement optimal. Les étiologies sont multiples, endocriniennes, médicamenteuses, associées à des pathologies chroniques, inflammatoires en particulier, etc. Des facteurs de risque de fracture chez l’homme ont aussi pu être identifiés : âge >70 ans, antécédents de fracture après 50 ans, grande taille, tabagisme, divorce, alimentation pauvre en protéines, traitements par antidépresseurs tricycliques, hypoglycémiants, hyperthyroïdie, Parkinson, incapacité à réaliser le test du lever de chaise, troubles cognitifs.

Au niveau pharmacologique, les essais randomisés contrôlés (RCT) spécifiques à l’homme sont inexistants et, une fois n’est pas coutume, les traitements résultent d’une extrapolation à partir de ce qu’on connaît chez la femme. En ce qui concerne l’alendronate, seule une méta-analyse montre un effet favorable vis-à-vis des fractures vertébrales (FV) ; pour le risédronate, un essai mené en ouvert montre son efficacité sur le risque de fractures vertébrales ou non. Seul l’acide zolédronique a fait l’objet d’un RCT chez l’homme avec un bénéfice dans les FV. Le dénosumab n’a été étudié dans un RCT que dans l’OP secondaire à la privation androgénique, avec un impact sur le risque de FV. Il n’y a pas non plus de preuve formelle pour le tériparatide, mais une étude de suivi indique qu’il réduit de moitié le risque de FV à 18 mois, qu’il ait ou non été suivi d’un traitement anti-résorptif.

Rhumatisme psoriasique : tout dépend de la clinique

L’envolée du nombre de molécules disponibles dans le rhumatisme psoriasique (PsA) a rendu plus complexe le choix thérapeutique, « qui ne relève pas encore tout à fait de la médecine personnalisée mais permet de l’adapter au plus près du patient », souligne le Dr Laura Coates (Royaume-Uni). Le Grappa (Group for Research and Assessment of Psoriasis and Psoriatic Arthritis) vient de mettre à jour ses recommandations en se basant sur des critères très cliniques (type de l’atteinte rhumatismale, association ou non à une atteinte cutanée, digestive ou oculaire inflammatoire, comorbidités). On sait par exemple que les traitements de fond conventionnels synthétiques (csDMARD) sont efficaces dans les formes périphériques mais pas axiales, que les IL-23 ont fait leurs preuves dans le psoriasis, que l’étanercept n’est pas efficace dans les MICI et que les anti-IL-17 pourraient même les favoriser. Ainsi, « nous avons des arguments plus forts maintenant pour savoir quel médicament privilégier par exemple en cas de maladie de Crohn ou d’uvéite associée, souligne le Dr Coates. Par contre, concernant les comorbidités cardiovasculaires, métaboliques, etc., les données sont bien moins nombreuses. »

En substance, dans l’atteinte périphérique, on donnera, en première ligne, soit un traitement de fond conventionnel synthétique, soit une biothérapie – anti-TNF, anti-IL –, soit un traitement synthétique ciblé – inhibiteurs de JAK (iJAK), inhibiteur de PDE4, éventuellement associés à des AINS ou des corticoïdes. Dans l’arthrite axiale, en dehors de la physiothérapie et des AINS, on privilégiera les anti-TNF, les anti-IL-17 ou les iJAK. Les csDMARD sont contre-indiqués et on manque de preuve pour les anti-IL-23. En cas d’association à une MICI, on aura plutôt recours aux anti-TNF (sauf l’étanercept) et aux anti-IL-12/23 mais pas aux anti-IL-17. En cas d’uvéite, il existe une recommandation conditionnelle pour des anti-TNF (sauf l’étanercept) et la cyclosporine A.

Désescalade

À noter, deux nouveautés dans ces recommandations, avec des prises de position sur les biosimilaires et sur les possibilités de désescalade thérapeutique. À ce titre, on peut envisager d’arrêter le traitement si la maladie est en rémission, voire, si son activité est basse, pour limiter les effets secondaires et les coûts, mais après avoir informé le patient que le PsA peut se réactiver ; avec dans ce cas la possibilité de reprendre le traitement. Le problème est qu’on ne peut pas identifier les malades susceptibles de rechuter et il faut prendre en compte les conséquences potentielles de l’inflammation systémique, en particulier cardiovasculaires. Concernant les biosimilaires, qui, rappelle le Dr Coates, ne sont pas bio-identiques, la position est nuancée. On peut les utiliser dans le PsA, même si on ne dispose pas d’études spécifiques, à condition que le patient soit impliqué, que le traitement soit réévalué régulièrement, en évitant les changements multiples.

En bref

PR et troubles cognitifs, plus qu’un mauvais souvenir ? Dans la polyarthrite rhumatoïde (PR), le surrisque de troubles cognitifs et de pathologies cardiovasculaires a été réduit par l’instauration des biothérapies pour rejoindre le niveau de risque de la population générale.

Du tabagisme à la polyarthrite Une étude menée sur une cohorte de femmes françaises montre un lien entre le tabagisme actif ou passif et le risque de survenue de PR.

Biothérapies, un risque infectieux à relativiser Chez les patients âgés atteints de PR, plus vulnérables aux infections, le risque d’infection sévère n’est pas plus élevé sous biothérapie que sous traitements de fond conventionnels synthétiques.

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