La goutte est associée de façon indépendante à une augmentation de la mortalité globale et cardiovasculaire (CV). Ce surrisque de mortalité n’a pas changé depuis quarante ans, malgré une meilleure compréhension de la physiopathologie de la maladie et la disponibilité de traitements efficaces permettant la guérison de la maladie. Par conséquent, le nombre de décès liés à la goutte augmente dans la mesure où la prévalence de la maladie a doublé au cours des trente dernières années, touchant désormais environ 45 millions de personnes dans le monde (1).
Le risque relatif (RR) de mortalité globale est 1,20 (IC95 % 1,03-1,40) dans les cohortes américaines et de 1,61 (IC95 % 1,47-1,75) dans la base de données britannique UK Biobank. Celui de la mortalité CV est estimé à 1,45 pour les deux cohortes (2).
Ce surrisque peut être expliqué par les comorbidités CV comme l’obésité, l’HTA, le diabète, les dyslipidémies et la maladie rénale chronique. Les patients goutteux ont en effet un risque accru de 58 % de développer des maladies CV (RR 1,58; IC95% 1,52-1,63) (3).
Crises, inflammation et athérosclérose
Cette mortalité accrue peut aussi être liée directement à la maladie goutteuse et à l’inflammation déclenchée par les dépôts de cristaux d’urate de sodium (UMS). L’inflammation de bas grade secondaire aux dépôts d’UMS et l’inflammation aiguë des crises favorisent l’athérosclérose et la rupture des plaques d’athérome. Les facteurs qui sont associés à un risque de crise sont la quantité de cristaux déposés, qui peut être évaluée par échographie ou scanner double énergie (DECT), les taux élevés d’uricémie et ses variations brutales comme lors de l’initiation ou de l’arrêt du traitement hypo-uricémiant (THU) (4, 5). Nous avons récemment identifié, sur une cohorte prospective, 21 médiateurs inflammatoires dont la concentration sérique est augmentée pendant la crise par rapport à la période intercritique. Les concentrations sériques de l’interleukine (IL)-6 et du TNFSF14 étaient les plus augmentées (6). Ces deux cytokines sont aussi impliquées dans l’athérosclérose.
Deux travaux récents montrent que les crises de goutte sont associées à un risque augmenté de 57 à 70 % d’événements CV graves (infarctus du myocarde (IDM), accident vasculaire cérébral (AVC), insuffisance cardiaque et décès) et ce risque persiste pendant quatre mois (7, 8). Le rôle de l’inflammation dans les événements CV a été démontré par de nombreux essais cliniques ainsi que par une méta-analyse récente (9).
Celle-ci montre que l’inhibition de l’IL-6 diminue de 17 % les IDM, que l’inhibition de l’IL-1β réduit de 62 % les décompensations d’insuffisance cardiaque et qu’une faible dose de colchicine diminue de 53 % les AVC et de 29 % la mortalité CV (10). Ces résultats suggèrent que diminuer l’état inflammatoire des patients goutteux pourrait réduire leur risque CV.
Des arguments pour prolonger la prophylaxie par colchicine
La colchicine à faible dose est efficace pour prévenir les crises de goutte lors de l’initiation du THU. Elle diminue d’environ 40 % le risque de crise (10). Les recommandations internationales et françaises préconisent une prophylaxie par la colchicine pendant six mois lors de l’initiation du THU. Cependant, 17 à 50 % des patients continuent à faire des crises deux ans après l’initiation du THU alors que la plupart ont une uricémie à la cible. Une analyse récente montre que la fréquence des crises est plus importante dans les trois premiers mois du THU et lors de l’arrêt du traitement prophylactique par colchicine (5). Ces résultats incitent à prolonger la durée de la prophylaxie par colchicine. Une durée de prophylaxie trop courte pourrait augmenter le risque CV des patients goutteux en raison du rebond des crises lors de son arrêt. Il est logique de la maintenir jusqu’à la disparition des tophus cliniques, voire la disparition des dépôts détectés par échographie ou DECT.
La piste des iSGLT2
La diminution des événements CV et des crises inflammatoires pourrait aussi être obtenue par l’utilisation des inhibiteurs du co-transporteur sodium-glucose de type 2 (iSGLT2). Ces nouveaux anti-diabétiques oraux sont indiqués pour le diabète de type 2, l’insuffisance cardiaque et la maladie rénale chronique. Ils ont aussi un effet anti-inflammatoire. En particulier, ils inhibent l’activation de l’inflammasome NLRP3 qui joue un rôle majeur dans la crise inflammatoire goutteuse. Ils diminuent de façon modeste l’uricémie (d’environ 50 µmol/L), la goutte incidente et les crises inflammatoires chez des patients goutteux de 21 à 34 % (11, 12). Cette diminution des crises est associée à une diminution de 48 % des consultations aux urgences et des hospitalisations, de 31 % du risque d’IDM et de 19 % celui des AVC. Ces traitements sont à privilégier chez des patients diabétiques et goutteux.
1. Jeong YJ, et al. European Journal of Clinical Investigation 2023
2. Han T, et al. Ther Adv Endocrinol Metab 2024
3. McCormick N, et al. Arthritis Care & Research. 2024
4. Ferguson LD, et al. Lancet Rheumatol 2024
5. McCormick N, et al. Jama 2024
6. Tedeschi SK, et al. Ann Rheum Dis 2024
7. Ea H-K, et al. Ann Rheum Dis 2024
8. Cipolletta E, et al. Jama 2022
9. Lopez D, et al. ACR Open Rheumatology 2023
10. Li Z, et al. Atherosclerosis 2023
11. Stamp L, et al. Annals of the Rheumatic Diseases 2023
12. McCormick N, et al. Jama Intern Med 2024.13. Wei J, et al. Jama Network Open 2023
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