LE QUOTIDIEN : Quel bilan peut-on faire de l’arrivée des médicaments biosimilaires en rhumatologie ?
Pr THIERRY THOMAS : La rhumatologie est une des spécialités les plus concernées par l’arrivée des biosimilaires. Elle a même une particularité : c’est la première spécialité qui les a utilisés pour le traitement spécifique d’une maladie, en l’occurrence les rhumatismes inflammatoires chroniques. Ces biosimilaires étaient bien sûr ceux de l’infliximab. Ils étaient utilisés dans un cadre uniquement hospitalier. L’étape suivante a été l’arrivée des biosimilaires de l’étanercept, un traitement biologique dont la prescription hospitalière est exécutée en ville (PHEV). À la fin de cette année, on verra arriver dans le même cadre de la PHEV ceux de l’adalimumab. Ce cadre impose des démarches nouvelles favorisant le recours aux biosimilaires, notamment des mécanismes incitatifs spécifiques pour faciliter la prescription en ville.
Ces mécanismes incitatifs existent-ils déjà pour la délivrance des biosimilaires à l’hôpital ?
Oui, les établissements ont des accords avec les caisses d’assurance-maladie pour qu’une part de l’économie faite (l’écart médicament indemnisable, EMI) leur revienne. L’article 51 de la nouvelle loi de financement de la sécurité sociale met l’accent sur d’autres dispositifs incitatifs, cette fois pour les produits de la PHEV, avec notamment un système de reversement pour les hôpitaux ayant signé un contrat d’amélioration de la qualité et de l’efficience des soins (Caqes). La question est maintenant de savoir comment ces mécanismes incitatifs vont bénéficier à ceux qu’il faut inciter, c’est-à-dire aux prescripteurs, alors que les interlocuteurs sont avant tout les établissements de santé, et que par ailleurs rien n’est prévu pour les médecins de ville, responsables du renouvellement des prescriptions initiales hospitalières des traitements biologiques, et donc maintenant de leurs biosimilaires.
La responsabilité du rhumatologue est-elle engagée de manière particulière s’il prescrit un biosimilaire ?
L’année dernière, la Haute Autorité de santé a modifié sa position sur les biosimilaires, en introduisant le terme d’interchangeabilité et en soulignant que le médecin avait le même devoir d’information qu’il prescrive un biosimilaire ou un traitement biologique original. Il n’est pas donc pas tenu à une information supplémentaire spécifique vis-à-vis du patient. Prescrire un traitement biologique original ou son biosimilaire ne devrait donc, en théorie, rien changer à la relation médecin-patient. On peut imaginer que ce soit le cas pour l’introduction d’un traitement nouveau chez un patient non traité jusque-là. En revanche, dans les situations de switch, de remplacement d’un traitement biologique original par son biosimilaire, il faudra bien que le prescripteur fasse avec suffisamment de persuasion un peu d’éducation pour expliquer cette modification de traitement, dont la motivation est économique et citoyenne. On va en effet parler de biosimilaire, et le patient va entendre « générique ».
Il faut aussi informer les autres professionnels de santé…
Oui, tous les professionnels de santé impliqués dans le parcours de soins du patient doivent comprendre les raisons de ce switch : le médecin traitant, le rhumatologue de ville, les pharmaciens. Pour favoriser le développement des génériques, les autorités de santé ont permis aux pharmaciens, selon leurs propres critères économiques, de donner aux patients un autre médicament que celui prescrit par le médecin. Beaucoup de prescripteurs et de patients l’ont ressenti comme une certaine rupture de confiance. Ce qui est intéressant avec les biosimilaires, c’est que l’acteur est le prescripteur lui-même. Nous verrons à l’usage l’efficacité de la démarche, alors que nous avons d’ores et déjà beaucoup de données rassurantes sur l’utilisation large des biosimilaires – et encore quelques zones d’ombre.
Lesquelles ?
Aujourd’hui, nous savons que le fait de passer une fois d’un traitement biologique original à un biosimilaire ne pose pas de problème. Cela ne crée pas particulièrement d’immunogénicité vis-à-vis de la molécule. Mais, à l’avenir, on aura peut-être cinq ou six biosimilaires différents pour un même traitement original. Que se passera-t-il si on passe d’un médicament A à un produit B puis à un produit C avant de revenir au médicament A ? Plusieurs publications ont récemment souligné la nécessité de bien évaluer ces situations dites de multiswitches pour en mesurer les risques, notamment sur une potentielle perte d’efficacité induite par une immunogénicité accrue.
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