J’ai connu l’époque du « calcium-phosphore-nandrolone », qui faisait pousser la barbe de nos grands-mères sans nécessairement leur donner des os plus solides ou leur éviter la fracture du col fémoral. Mais aussi, celle de la calcitonine seule ou combinée, supposée contrer l’emballement de la résorption et du remodelage osseux, mais qui ne nous a jamais réellement convaincus… J’ai également vécu le développement, l’agonie et l’enterrement du fluor, puissant anabolique augmentant spectaculairement la masse osseuse. Sa fenêtre thérapeutique très étroite n’a pas permis d’éviter les effets toxiques sur la minéralisation, rappelant bien trop vite les fluoroses toxiques et leurs fissures multiples…
L’essor de l’arsenal thérapeutique
Les premiers bisphosphonates sont ensuite arrivés : d’abord l’étidronate, avec son schéma thérapeutique compliqué et son niveau de preuve étriqué, avant l’émergence des deux premiers « vrais médicaments » contre l’ostéoporose : l’alendronate en 1996 puis le risédronate en 2000. Ces derniers avaient déjà bénéficié des progrès méthodologiques d’évaluation et démontré une efficacité pour diminuer l’incidence de nouvelles fractures chez les femmes ménopausées ostéoporotiques. Par la suite, deux nouveaux bisphosphonates sont venus compléter notre panoplie : l’ibandronate, météore éphémère rapidement disparu, puis l’acide zolédronique dont le niveau de preuve solide et l’intermittence d’administration en font une référence en 2021.
Entre-temps, d’autres molécules ont été développées : deux anti-ostéoclastiques, le raloxifène et le dénosumab, un anabolique, le tériparatide, et un agent intermédiaire (anabolique et anti-résorption), le ranélate de strontium.
Le raloxifène, modulateur sélectif des récepteurs œstrogéniques a l’intérêt d’une action double, œstrogène-like sur l’os (diminuant résorption et remodelage) et anti-œstrogène sur le sein (réduisant le risque de cancer). Il est particulièrement adapté à la prise en charge de l’ostéoporose vertébrale chez la femme à partir de 60 ans.
Le tériparatide est très précieux par son mécanisme d’action anabolique. Il est pour l’instant le seul médicament prometteur de cette classe pour les développements à venir. Son administration un peu compliquée et les limites réglementaires à son utilisation ont limité ses indications. Mais sa prescription doit être encouragée en première intention chez un patient ayant au moins deux fractures vertébrales ostéoporotiques.
Le dénosumab, première biothérapie de l’os, est un anticorps monoclonal humain anti-ligand de RANK, avec une action anti-ostéoclastique très puissante. Son développement est l’illustration du « tournant des biologiques » qui a permis, à partir de l’identification d’une cible dans les études expérimentales, de développer assez rapidement des médicaments, répandus en quelques années en rhumatologie et plus largement en médecine.
Le ranélate de strontium a eu un triste destin, qui illustre la nécessité d’évaluer sur la durée et une population assez dense les effets indésirables graves. Après avoir démontré son efficacité, il a été largement prescrit pendant quelques années, le temps de voir émerger les syndromes d’hypersensibilité (DRESS-syndrome), puis les événements thromboemboliques et cardiovasculaires qui ont mené à son abandon.
Des toxicités pénalisantes
Les événements indésirables (ostéonécroses de mâchoire, fractures atypiques, événements thromboemboliques ou cardiovasculaires, rebonds de perte osseuse ou de fractures vertébrales) sont scrutés par les investigateurs, les agences, mais aussi de plus en plus par les patients et les médias… Ils ont retenti soit sur le développement de nouvelles molécules, soit sur les modalités de prescription de médicaments existants (séquences bisphosphonates de 3 ans suivies de « vacances thérapeutiques », prévention par un bisphosphonate du rebond de fractures vertébrales après arrêt du dénosumab). Ainsi, plusieurs nouveaux médicaments prometteurs ont été abandonnés en cours de route : l’odanacatib à cause d’un risque cardiovasculaire accru, l’abaloparatide dont l’efficacité était insuffisante sur la prévention des fractures non vertébrales. Les anticorps anti-sclérostine se font attendre. En effet, le blosozumab a été abandonné après la phase 2. Autorisé aux États-Unis, le romosozumab devrait l’être en Europe, mais a été retardé par des effets indésirables cardiovasculaires…
Mais il ne faut pas non plus s’abandonner à la sinistrose ! Nous disposons de traitements efficaces. Le risque de fragilité osseuse – chez les femmes après la ménopause, les sujets vieillissants, les patients sous dérivés cortisoniques et ceux qui présentent des ostéopathies fragilisantes – est beaucoup plus important que celui de souffrir d’un effet indésirable grave. Les progrès ont été immenses en 40 ans et une prise en charge adaptée de nos patients ostéoporotiques doit leur permettre de vieillir sans fracture. Les objectifs et perspectives sont multiples : respecter les indications thérapeutiques et les recommandations, développer la recherche de traitements plus efficaces et mieux tolérés, de stratégies plus performantes, d’une prise en charge personnalisée en fonction d’un profil de risque voire, rêvons un peu, d’un profil génétique. Vivement 2060 !
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