Le ministre de la Santé, Olivier Véran, et le directeur général de la Santé, le Pr Jérôme Salomon, se sont émus, dans leurs interventions respectives devant la presse la semaine passée, de la dégradation de la santé mentale des Français pendant la crise sanitaire.
Malgré une amélioration de la santé mentale (états dépressifs et anxieux) depuis la première vague, les indicateurs de suivi mis en place Santé publique France (SPF) restent préoccupants, en cas de difficultés financières, d'antécédents de trouble psychologique, chez les femmes, les 18-34 ans ou encore les inactifs.
Ce constat est confirmé par des résultats préliminaires de l’étude internationale COH-FIT (Collaborative Outcomes study on Health and Functioning duringInfection Times), lancée en avril dernier dans plus de 40 pays et dans 25 langues. Plus de 100 000 participants (adultes, adolescents et enfants de 6 ans et plus) ont rempli le questionnaire en ligne. Les premières données publiées portent sur 14 pays*.
Des soignants en souffrance dans tous les pays étudiés
En France, 2 580 personnes (de 33 à 59 ans, 67 % de femmes) ont participé. Une hausse des états de stress, de solitude et de colère est observée chez 20 à 25 % des répondants par rapport aux deux semaines précédant l’enquête et la crise sanitaire. Les femmes et les jeunes apparaissent plus sensibles aux effets de la crise : 27 % des femmes ressentent un stress accru (contre 14 % des hommes) et 25 % des jeunes évoquent une solitude accrue. Ces données sont similaires à celles recueillies dans les autres pays de l’étude.
Une autre population à risque se dégage de l’étude : « Chez les soignants, le niveau de souffrance est élevé, explique au « Quotidien » le Pr Philip Gorwood, chef de service au GHU Paris psychiatrie et neurosciences de l'hôpital Sainte-Anne (AP-HP) et l’un des trois coordonnateurs français de l’étude. Les sentiments de frustration, de colère, de mal-être se retrouvent chez les professionnels de santé de tous les pays étudiés. »
Les soignants en première ligne dans la lutte contre la pandémie, dans les hôpitaux notamment, ne sont pas nécessairement les plus concernés. « La souffrance la plus marquée apparaît chez les professionnels confrontés aux conséquences de la réorganisation du système de soins, avec plus de patients dans un contexte de risque infectieux et sans reconnaissance ou gratification pour ce travail supplémentaire », souligne le Pr Gorwood.
Transeuropéen, le phénomène semble s’amplifier avec la deuxième vague de l’épidémie. « La première vague a été vécue comme une parenthèse, intense mais délimitée dans le temps. Avec la deuxième, on comprend que d’autres vagues sont possibles, poursuit le psychiatre. Cette perspective joue sur le niveau de stress : un stress aigu mais circoncis est beaucoup moins difficile à gérer qu’un stress d’intensité moindre mais dont on ne voit pas la fin. On entre alors dans un processus de désespoir. » Cet effet cumulatif du stress peut se retrouver dans d’autres catégories de population, comme les personnes financièrement précaires ou les indépendants.
Repérer les facteurs de risque pour des interventions adaptées
À ces populations dont la santé mentale est vulnérable pendant cette crise, l’Académie de médecine ajoute les patients atteints de Covid-19 : « Au-delà de l’épisode infectieux, au moins 20 % d’entre eux portent des séquelles psychiques : trouble anxieux chronique, état de stress post-traumatique, pathologie dépressive », souligne un communiqué citant une étude du « Lancet Psychiatry ».
Afin d’affiner la liste des facteurs de risque et mieux repérer l’ensemble des populations vulnérables, l’étude COH-FIT se poursuit. Ses promoteurs cherchent à recruter de nouveaux volontaires. « Plus l’enquête intégrera de sujets, plus nous serons en mesure d’identifier des facteurs de risque parfois indirects, souligne le Pr Gorwood. En croisant l’âge, le sexe et le métier, on peut repérer les risques et délivrer des soins adaptés. »
Des stratégies de prise en charge dématérialisées, pour être compatibles avec le contexte épidémique, sont développées en parallèle de l’enquête pour répondre aux besoins spécifiques des différentes catégories de la population impactées.
Cette démarche est similaire à celle prônée par l’Académie, qui invite à distinguer « l’expression d’une souffrance psychique » et un « trouble psychiatrique avéré », soulignant que « les personnes inactives ou en situation financière précaire, les étudiants, les personnes avec antécédents de troubles psychiques ou porteuses de handicap sont particulièrement exposées au risque de trouble dépressif ».
L’Académie plaide en faveur d’une « attention particulière aux situations de précarité et d’isolement capables de mettre à mal les capacités de résilience et de révéler les fragilités individuelles », via notamment les réseaux associatifs. À côté d’un accroissement des capacités de la psychiatrie, elle incite également les soignants de première ligne à une « vigilance concernant l’état psychique de leurs patients, notamment au décours d’une infection par le coronavirus, afin d’identifier les perturbations justifiant une démarche diagnostique et thérapeutique ».
* Dix pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Italie, France, Grèce, Hongrie, Royaume-Uni), mais aussi le Brésil, les États-Unis, la Turquie et l’Australie.
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