« Il y a 30 ans, on a commencé à parler de crise de la psychiatrie, puis d’état d’urgence et maintenant de catastrophe. Les discours sont de plus en plus alarmants. Si le constat est partagé, il n’y a pas de consensus sur les réformes à engager », introduit le Dr Lopez. Psychiatre spécialisé en santé publique, il a mené en parallèle une carrière de clinicien et de fonctionnaire de l’État. Médecin inspecteur de santé publique, il a occupé des fonctions d’inspecteur régional et a été inspecteur général des affaires sociales.
Les difficultés traversées par la psychiatrie sont identifiées par l’ensemble des acteurs, comme il le développe dans son ouvrage : des taux d’occupation en hospitalisation qui flirtent avec les 100 %, des difficultés d’accès aux soins, des hospitalisations sans consentement qui ne cessent d’augmenter, un enfermement des patients multiplié par trois ces 30 dernières années, des équipes soignantes qui souffrent au point de quitter l’hôpital (et en conséquence, entre 25 et 40 % de postes vacants), des moyens inégalement répartis entre les secteurs et une recherche en psychiatrie insuffisamment développée.
Le Dr Vincent Delaunay, chef du pôle de psychiatrie au CHU de Nantes, présent aux côtés du Dr Lopez, parle quant à lui d’« ouragan ». « La situation est de plus en plus intenable. Depuis 2022, 242 lits de psychiatrie ont été fermés en région Pays de la Loire, en raison du manque constant de personnel. Cette situation nous oblige à penser des réorganisations des soins tout en préservant ce qui peut encore l’être. Cela va nécessiter l’implication de tout le monde, donc l’ouvrage du Dr Lopez tombe à point ».
Des divergences sur les causes de la crise
Selon le Dr Lopez, la raison la plus souvent invoquée est le manque de moyens. Or, « l’Assurance-maladie consacre en moyenne 24 milliards d’euros par an aux troubles psychiques, ce qui est supérieur aux dépenses consacrées aux cancers et aux pathologies cardiovasculaires. La psychiatrie n’est donc pas si mal dotée. La véritable question est celle de la répartition de ces moyens », analyse-t-il. Avant d’ajouter : « Les dotations au secteur privé ont augmenté ces dernières années à un rythme deux fois supérieur à celles du public ; par ailleurs, elles sont très variables selon les régions et les départements ».
Selon lui, les principales causes de cette crise profonde sont liées aux changements majeurs qui secouent la spécialité. À savoir des demandes exponentielles qui s’adressent à la psychiatrie, comme par exemple celle que tous les « fichés S » soient vus par un psychiatre ; mais aussi l’évolution de la place des usagers. « La sectorisation a voulu faire croire que le malade mental était un malade comme les autres alors qu’il existe une spécificité de la maladie mentale et des soins psychiatriques », souligne-t-il. Ou encore le développement rapide du secteur privé en psychiatrie, alors que la circulaire de 1960 n’en faisait pas mention.
Pour les réformes d’ampleur, la volonté politique n’est jamais première. C’est aux acteurs d’apporter de la matière et des propositions de solution
Dr Alain Lopez, médecin de santé publique
Comment réformer les secteurs ?
« Le modèle de la sectorisation prend l’eau de toutes parts. Depuis 2011, les organisations se sont tellement transformées que l’on ne peut plus comparer les activités des différents secteurs », pointe le Dr Lopez. Dans les années 1970, la mise en place de la sectorisation a été une grande avancée pour les prises en charge, se traduisant par une nette diminution de la durée d’hospitalisation des malades. Les moyens se sont diversifiés pour une prise en charge hors hospitalisation des patients, selon leurs troubles et leurs besoins (addictions, troubles du comportement alimentaire, etc.).
Aujourd’hui, comment réformer les secteurs tout en maintenant une réponse adaptée aux besoins de la population ? Des pistes sont avancées, telles que redéfinir la place du secteur privé - qui ne peut plus être considérée comme secondaire aujourd’hui -, dépasser l’animosité public/privé et renforcer l’évaluation des actions menées au sein des secteurs. Mais le Dr Lopez invite avant tout à des réponses collectives : « Pour les réformes d’ampleur, la volonté politique n’est jamais première. C’est aux acteurs d’apporter de la matière et des propositions de solution, c’est ce que j’ai pu observer en travaillant 30 ans dans le domaine de la santé publique ».
*La psychiatrie dans la tourmente, Dr Alain Lopez, postface de Franck Bellivier, éditions Hygée, 2023.
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