Dix années avant
Les principales études portant sur les troubles présents avant le diagnostic relèvent que près de la moitié des futurs patients schizophrènes présentent des troubles du comportement et de l’adaptation dans les dix années précédant la première hospitalisation, mais ces troubles sont peu spécifiques : anxiété, humeur dépressive, perte d’énergie, difficultés scolaires, agressivité, retrait, conduites suicidaires (14 fois plus que la population générale) et toxicomaniaques (environ 40 % des sujets). Des symptômes positifs, c’est-à-dire de nature délirante, à type d’idées fixes, de distorsions sensorielles, peuvent également survenir, initialement de façon intermittente ou atténuée. La chronologie et la reconnaissance du caractère pathologique de cette période par le sujet et son entourage sont souvent difficiles à déterminer, surtout quand le changement est progressif, d’autant que ces symptômes surviennent durant l’adolescence, période marquée « physiologiquement » par de profondes mutations.
Détection précoce
L’enjeu des programmes de détection précoce est de déterminer, a priori, les symptômes qui doivent alerter et aider à leur reconnaissance, afin de mettre en place les mesures de prise en charge adéquates.
Une prévention ciblée s’adresse donc à des sujets considérés comme étant « à haut risque », c’est-à-dire présentant des signes évocateurs à minima, pouvant précéder l’apparition d’un trouble mental caractérisé. Cette notion d’état mental à risque (At Risk Mental State, ARMS) a été retenue et développée par plusieurs équipes internationales. Il s’agit de cerner des états psychiques susceptibles d’évoluer vers un premier épisode psychotique, sans préjuger de l’évolution ultérieure de ce premier épisode. La préoccupation majeure des cliniciens demeure bien sûr celle d’une évolution vers la schizophrénie. La stratégie ( « close in » ; littéralement « cernement » ) consiste à combiner des traits (des signes précoces de psychose connue) et des facteurs de risque connus tels que l’existence d’antécédents familiaux de psychose, d’antécédents personnels d’épisodes psychotiques brefs spontanément résolutifs ou la détérioration du fonctionnement social. Les critères de définition de trois groupes de patients considérés comme « à très haut risque » (Ultra High Risk ou UHR) de développer à brève échéance une psychose sont indiqués ci-dessous.
Très haut risque
Critères de définition des sujets à très haut risque
Les sujets appartiennent à l’un au moins de ces trois groupes :
1 - Symptômes psychotiques atténués
a) Présence d’au moins un des symptômes suivants : idées de référence, croyances bizarres ou pensée magique, troubles des perceptions, idées de persécution, propos et pensées étranges, comportement et apparence étrange ;
b) fréquence des symptômes : au moins plusieurs fois par semaine ;
c) caractère récent : au cours de l’année écoulée ;
d) durée : présents pendant au moins une semaine et pas plus de cinq ans.
2- Symptômes psychotiques brefs limités et intermittents (Brief Limited Intermittent
Psychotic Symptoms ou BLIPS)
a) Symptômes psychotiques transitoires : présence de l’un au moins des symptômes suivants : idées de référence, pensée magique, troubles des perceptions, idées de persécution, bizarreries de pensée et de propos ;
b) durée des épisodes de moins d’une semaine ;
c) fréquence des symptômes : au moins plusieurs fois par semaine ;
d) résolution spontanée des symptômes ;
e) Caractère récent : les BLIPS doivent être survenus au cours de l’année écoulée.
3- Facteurs de risque à type de trait ou d’état
a) Trouble de la personnalité de type schizotypique chez le sujet ou chez un parent du 1er degré qui présente un trouble psychotique ;
b) détérioration significative de l’état mental ou du fonctionnement, pendant plus d’un mois et moins de cinq ans ;
c) caractère récent : la détérioration du fonctionnement est survenue au cours de l’année écoulée.
Cette stratégie augmente la valeur prédictive et maximise les chances de prédire l’évolution vers une psychose ultérieure, comme par exemple en combinant un facteur de risque familial (antécédent psychiatrique familial de psychose) et la présence de symptômes prodromique non spécifique.
Une autre approche est celle de l’école allemande de Bonn, qui s’inscrit dans la suite de travaux effectués de longue date sur les troubles cognitifs, affectifs et relationnels ressentis par les patients avant le début de leur premier épisode schizophrénique. Klosterkotter émet une hypothèse de construction sur le déroulement de la phase prépsychotique. Il constate que les symptômes psychotiques évoluent en fait à partir d'une expérience subjective de troubles préexistant de la perception, de la pensée, de la mémoire, du langage et du contrôle cognitif des actions. Ces modifications apparaissent selon un certain ordre : une phase« d’irritation » où le patient est confronté aux symptômes de base correspondant à l'augmentation des anomalies perceptives de base ainsi qu'à la déréalisation qui s'ensuit, une phase « d'externalisation » où les phénomènes de base sont considérés par lui comme venant de l'extérieur et une dernière phase dite de « concrétisation » où les symptômes psychotiques présents sont acceptés par le patient comme faisant entièrement partie de son vécu.
L’intérêt des travaux de l’école de Bonn est d’offrir une approche plus phénoménologique de l’évaluation des symptômes prépsychotiques, plus attentive à l’expérience vécue des sujets en phase prodromique.
Références bibliographiques
P.D. McGorry, A.R. Yung. Early intervention in psychosis : an overdue reform. Aust N Z J Psychiatry. 2003 Aug ; 37(4) : 393-8.
J. Klosterkotter, F. Schultze-Lutter, G. Gross, G. Huber. Early self-experienced neuropsychological deficits and subsequent schizophrenic diseases : an 8-year average follow-up prospective study. Acta Psychiatr Scand 1997 ; 95 (5) : 396-404.
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