Réussir à distinguer sans ambiguïté deux pathologies psychiatriques, en l’occurrence la dépression caractérisée et le trouble bipolaire, grâce à la médecine de précision : tel est le pari de la société Alcediag, fondée en 2013, qui lance le test myEdit-B en France, dès ce mois d’avril 2024.
Quelque 1,6 million de personnes souffriraient de trouble bipolaire en France (2,5 % de la population), une pathologie qui survient entre 15 et 25 ans. Mais le retard au diagnostic serait en moyenne de 7 ans. Distinguer les troubles bipolaires de la dépression caractérisée (dite unipolaire) est pourtant capital pour adapter les traitements. « Un patient bipolaire sera sous thymorégulateurs ; des antidépresseurs peuvent y être associés, mais la base reste les stabilisateurs de l’humeur. Un patient avec des troubles dépressifs aura plutôt des antidépresseurs au long cours. Le problème, en cas d’erreur diagnostique : les antidépresseurs au long cours sans thymorégulateur peuvent aggraver la pathologie bipolaire », explique au Quotidien la Pr Chantal Henry, psychiatre au GHU Paris psychiatrie et neurosciences et directrice scientifique de la Fondation Pierre Deniker. L’importance du diagnostic différentiel est d’autant plus grande que les antidépresseurs peuvent provoquer chez des patients bipolaires sans thymorégulateur un virage de l’humeur, une mauvaise réponse aux antidépresseurs, ou encore une aggravation de la symptomatologie dépressive.
Le diagnostic est actuellement fondé sur un entretien clinique et l’observation des comportements, sans confirmation par des biomarqueurs ou examens complémentaires. « Il n’existe pas de test distinguant les deux types de troubles aujourd’hui, ni même de test sanguin qui permette un diagnostic différentiel en psychiatrie », observe la Pr Henry. Les recherches en neuroimagerie, qui laissent espérer l’objectivation de différences structurelles ou fonctionnelles, ne permettent pas (encore) de poser de diagnostic individuel.
Spécificité et sensibilité supérieures à 80 %
Le test sanguin myEdit-B, destiné aux patients majeurs traités pour un épisode dépressif caractérisé (EDC), modéré ou sévère, repère les modifications épigénétiques de l’édition d’ARN grâce au séquençage de nouvelle génération (NGS) des laboratoires Synlab. Huit séquences en particulier sont examinées, sélectionnées par des technologies d’intelligence artificielle d’Alcediag. « Comparés à des biomarqueurs génétiques, qui mettent en évidence une vulnérabilité héréditaire, les biomarqueurs épigénétiques développés par Alcediag sont dynamiques : ils identifient à la fois la maladie à un moment donné ainsi que son évolution dans le temps », précise la société. « Notre objectif avec myEDIT-B est d’aider les psychiatres à réduire le temps de diagnostic des troubles bipolaires, de plusieurs années à quelques semaines (dans un premier temps) puis nous l’espérons à quelques jours », déclare Alexandra Prieux, présidente d’Alcediag.
Une première étude réalisée en France avec le département d’urgences psychiatriques du CHU de Montpellier, auprès de 255 patients, a montré une sensibilité de 90,9 % et une spécificité de 84,6 %. Une deuxième est en cours de publication, à partir d’une cohorte suisse indépendante de 143 patients et montrerait des performances similaires, ce qui a permis au test d’obtenir un marquage CE en 2022.
« Dans ces essais, le praticien connaissait le diagnostic du patient. Il s’agit, dans les études à venir, d’éliminer les facteurs confondants et d’identifier des cibles de patients, pour savoir par exemple si le test garde toute sa sensibilité chez les jeunes, avec une pathologie moins avérée et moins longue dans la durée », commente la Pr Henry.
Lancement d’une étude d’utilité publique en mai
La spécialiste est l’investigatrice principale de l’étude d’utilité publique qui devrait commencer en mai en France, dans cinq ou six centres, avec l’objectif d’inclure sur deux ans 400 patients dépressifs chez qui une bipolarité est suspectée. C’est à l’aune de ces futurs résultats que la Haute Autorité de santé se prononcera sur la pertinence d’un éventuel remboursement. Aujourd’hui, le test, déjà disponible en Italie depuis la fin 2023, coûte 900 euros, précise Alexandra Prieux au Quotidien.
« Au-delà de l’amélioration du diagnostic, le test pourrait aussi être utile pour les médecins dont le patient, bipolaire mais équilibré, aurait du mal à entendre la nécessité d’un traitement par thymorégulateur. Le test validerait ainsi les dires du médecin après l’entretien clinique », souligne la Pr Henry.
Plus largement, ce test cristallise tous les espoirs autour de la médecine de précision en psychiatrie. Notamment pour réduire les erreurs diagnostiques et les différences entre les médecins. « Même en utilisant les critères du Diagnostic and Statistical Manual (DSM) ou de la classification internationale des maladies (CIM) , pour un épisode dépressif caractérisé (EDC), la fiabilité inter-cotateur est mesurée à 0,25, alors qu’elle devrait être de 1, pour qu’il y ait 100 % de correspondance entre deux psychiatres », rappelle la Pr Henry. De son côté, Alcediag poursuit ses recherches sur des tests pour la schizophrénie, la dépression post-partum, ou encore la réponse aux traitements.
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?