LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN : La prise en charge médicale des personnes détenues en France est-elle satisfaisante ?
ADELINE HAZAN : Non, elle est même plutôt défaillante, avant tout par manque de moyens. Il faut absolument renforcer les effectifs médicaux en prison. Actuellement, si un détenu est hospitalisé, le parcours prévoit sa prise en charge dans des unités spéciales des hôpitaux de rattachement. Or, il n'y en a pas partout sur le territoire et les besoins ne sont pas couverts. De ce fait, les personnes détenues sont souvent hospitalisées dans des services classiques. Les conditions ne sont alors pas satisfaisantes.
Le constat est similaire pour les personnes détenues atteintes de troubles psychiques. Elles devraient être hospitalisées en unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) mais il n'y en a que 9 en France et la deuxième tranche d'ouverture prévue n'a pas été lancée. Ces détenus présentant des troubles mentaux se retrouvent dans des hôpitaux psychiatriques « lambda ». Leurs services ne sachant pas les gérer, ils sont systématiquement placés à l'isolement.
Un volet entier de votre dernier rapport est consacré à la santé mentale des personnes détenues et leur prise en charge. Quels constats dressez-vous ?
ADELINE HAZAN : Un de nos principaux sujets de préoccupation, déjà souligné l'an dernier, est l'augmentation du nombre d'hospitalisations sans consentement (à la demande d'un tiers), observée par l'ensemble des acteurs sans qu'aucun chiffre ne soit disponible. Cette augmentation est liée, en grande partie, à l'introduction de la notion de « péril imminent » : cette nouvelle procédure spécifie qu'en cas de menace pour la santé de la personne ou de besoin de soins immédiats assortis d'une surveillance, les médecins peuvent se passer du recours à un tiers pour décider de l'hospitalisation d'une personne sans son consentement.
Un autre constat porte sur le passage des détenus aux urgences générales des hôpitaux avant une hospitalisation sans consentement, alors même que trop peu de médecins de ces services sont formés à la psychiatrie. De ce fait, ces passages se déroulent en général dans de mauvaises conditions. Nous l'avons déjà souligné et émis, en mars 2018, une recommandation en urgence pour le CHU de Saint-Étienne. Nous avons observé, au cours d'une visite, une violation grave des droits fondamentaux des personnes avec des conditions d'accueil indignes et des pratiques abusives d'isolement et de contention. Cela ne se passe évidemment pas de cette façon systématique, mais ce cas est l'exemple le plus marquant des dérives constatées. Les conditions ne sont pas réunies pour une « bonne » hospitalisation. Mais face à des services de psychiatrie saturés, les patients restent aux urgences.
Ces constats sont-ils les symptômes de la crise que vit actuellement la psychiatrie ?
C'est en effet une conséquence de cette crise. L'insuffisance des effectifs s'accompagne de difficultés de recrutement de psychiatres. Cette question a été illustrée par les nombreuses grèves et les mouvements de médecins et de soignants.
Par ailleurs, un autre sujet relève de l'encadrement des mesures d'isolement et de contention dans les prisons. La loi du 26 janvier 2016 vise la restriction de ces pratiques. Toutefois, ses conséquences ne sont pas encore visibles. Certains établissements se sont mis en ordre de bataille pour respecter la loi, mais d'autres non. Malgré l'adoption de la loi il y a 3 ans et de sa circulaire d'application il y a 2 ans, des personnes détenues souffrant de maladies mentales sont encore placées à l'isolement par commodité des soignants, parfois comme pratique punitive. Les règles qui encadrent ces mesures, comme le fait que l'isolement soit le dernier recours et que sa durée soit limitée, ne sont tout simplement pas assez appliquées.
Au-delà de ces pratiques excessives, les droits des patients, dans le quotidien de leurs placements, ne sont pas respectés. Nous avons constaté un port du pyjama presque systématique les premiers jours, des restrictions de la liberté d'aller et venir qui ne sont pas liées à des impératifs thérapeutiques. Cette dernière mesure doit pourtant être réduite et étudiée au cas par cas en fonction de la pathologie de la personne.
Ces pratiques se retrouvent-elles dans les autres pays européens ?
Comparée à nos voisins, la France est le pays qui enferme le plus ses malades mentaux. La France développe une philosophie de l'enfermement que nous dénonçons. Dans tous les secteurs qui relèvent de la compétence du CGLPL, c'est-à-dire les prisons, les hôpitaux psychiatriques, les centres de rétention, les centres éducatifs fermés pour les mineurs, cette logique est à l'œuvre alors même que les textes envisagent l'enfermement comme un dernier recours après l'exploration de toutes les autres possibilités.
Cela est dû à un manque de moyens, c'est une évidence. Dans le cas de la psychiatrie par exemple, la présence, près de l'hôpital, de structures ouvertes de prise en charge, comme les CMP et les appartements thérapeutiques, permet de réduire et d'éviter les hospitalisations sans consentement. L'exemple italien est éclairant : avec la suppression des hôpitaux psychiatriques il y a 40 ans, les personnes sont prises en charge dans des structures ouvertes et il n'y a pas d'hospitalisations sans consentement. Mais le manque de moyens impacte le secteur extra-hospitalier et conduit à des hospitalisations sous contrainte.
Quelles sont vos pistes de réflexion ou vos propositions en réponse à ces différents constats ?
La question est d'abord celle des moyens. La priorité doit être de renforcer les effectifs médicaux présents en prison. Les unités sanitaires qui travaillent toujours à flux tendu doivent également disposer de plus de moyens. Les personnes détenues attendent des semaines voire des mois pour voir un spécialiste. Une logique différente pourrait être appliquée dans l'application des peines : le juge pourrait accorder davantage de permissions de sortie pour que les personnes puissent consulter à l'extérieur. C'est une option possible qui reste peu employée.
En parallèle, la psychiatrie ne doit plus être considérée comme le parent pauvre de la médecine. Cette spécialité a besoin d'une autre philosophie et de moyens. Les quelques millions promis ne sont pas à la hauteur des moyens nécessaires.
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