Entre débat sur la cigarette électronique et session dédiée au nez électronique, le Congrès européen de pneumologie a fait cette année la part belle à la technologie. Plus classiquement, cette édition 2014 a été aussi été l’occasion de revenir sur l’actualité plutôt riche de l’asthme sévère entre nouvelles recommandations dédiées et nouveautés thérapeutiques.
Aide précieuse pour lutter contre le tabagisme ou dispositif potentiellement dangereux ? Alors que Marisol Touraine vient d’annoncer de nouvelles mesures pour encadrer de façon plus stricte le vapotage en France, la cigarette électronique continue de faire débat sur le plan scientifique.
En témoignent, les vifs échanges qui ont eu lieu sur le sujet lors d’une session plénière du récent Congrès européen de pneumologie (Munich, 6-10 septembre 2014). Avec, d’un côté, des tabacologues plutôt pragmatiques pour qui les ravages du tabac justifient de sauter le pas et, de l’autre, des pneumologues prudents qui mettent en exergue les incertitudes qui persistent quand à l’intérêt et à l’innocuité de la e-cigarette.
Principe de précaution
Le Pr Christina Gratziou (Athènes) a ainsi réitéré, au nom de la Société Européenne de Pneumologie (ERS), les appels à la prudence. Dans la lignée de l’OMS, la société savante s'oppose à l'utilisation non réglementée de la e-cigarette. Et plaide pour qu’en matière de sevrage, priorité soit faite aux traitements « scientifiquement validés ». Les pneumologues européens soulignent par ailleurs la pauvreté de la littérature sur cette question et appellent à mettre en œuvre de nouvelles études menées de façon indépendante.
« Bien que l'impact négatif à court terme de la e-cigarette sur la santé ne semble pas aussi grand que celui du tabac, les effets à long terme ne sont pas connus », estiment-ils, considérant par ailleurs qu’il n’y a pour le moment aucune preuve scientifique permettant d’affirmer l’impact bénéfique de la e- cigarette sur le tabagisme. « En tant que société scientifique, L’ERS estime donc que le principe de précaution devrait être appliqué tant que les preuves scientifiques ne sont pas concluantes ».
Des souris… et des hommes !
Une petite étude américaine présentée à Munich tend à apporter de l’eau à leur moulin. Dans ce travail expérimental, les auteurs ont fait « vapoter » des souris (grâce à une chambre d’inhalation miniature) une heure par jour, 5 jours par semaine. Certaines ont inhalé un simple excipient sans nicotine (groupe témoin) tandis que d’autres ont respiré de véritables liquides de cigarette électronique. Après 4 mois d’un tel régime, l’expression pulmonaire des cytokines et des protéases étaient augmentées chez les souris du groupe nicotine (par rapport au groupe témoin) avec l’apparition d’une hyperréactivité bronchique et de lésions d’emphysème non retrouvées chez les souris témoins.
Pour les auteurs, cette étude « montre donc pour la première fois in vivo que l’exposition à la e-cigarette favorise l’asthme et l’emphysème » et prouve « qu’il n’y aura jamais de e-cigarette sans danger ».
Une conclusion sans concession loin de faire l’unanimité. « Il est surprenant de voir que dans cette étude l’inhalation de l’excipient n’a aucun effet », a commenté le Pr Bertrand Dautzenberg (hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Paris) pointant par ailleurs des temps d’inhalation très importants qui ne correspondent pas à la réalité des vapoteurs.
Même scepticisme pour le Dr Ricardo Polosa (Catane) qui dénonce une étude de parti pris. Pour ce tabacologue italien, l’usage de la e-cigarette pourrait même, au contraire, améliorer les symptômes de l’asthme chez les patients tabagiques. Dans une petite étude rétrospective portant sur 18 asthmatiques fumeurs ayant utilisé la e-cigarette pendant au moins 12 mois, il montre que le recours au vapotage permet de limiter l’altération de la fonction respiratoire avec une amélioration du contrôle de l’asthme sans effets indésirables rapportés.
« L’usage de la e-cigarette semble avoir des effets bénéfiques sur la physiologie respiratoire et la symptomatologie de l'asthme, résument les auteurs, ce qui suggère que ces dispositifs pourraient être une option valable et sûre pour les asthmatiques fumeurs n'ayant pas l'intention ou ne réussissant pas à arrêter de fumer. » Mais, là encore, les conclusions de l’étude font débat et, de l’avis même des auteurs, « des études contrôlées plus importantes sont nécessaires pour étayer ces conclusions ».
La « success story » française controversée
La présentation du Pr Dautzenberg sur la « succes story française » (ou comment la e-cigarette aurait permis un recul des ventes de tabac dans l’Hexagone) n’a pas non plus totalement convaincu à Munich. Selon les chiffres présentés par le Pr Dautzenberg les ventes de tabac ont enregistré un fort coup de frein ces derniers mois avec une diminution de -6,7 % entre janvier et juillet 2014 et un recul global de -18,3 % depuis 2012.
Dans le même temps, le vapotage a explosé en France. Le nombre d'adultes ayant essayé est passé de 7 % en mars 2012 à près de 20 % en novembre 2013, tandis que le nombre de magasins spécialisés a été multiplié par 15 en 2013, pour atteindre 1 500 points de vente en fin d’année. En parallèle, les ventes de substituts nicotiniques se sont effondrées.
Pour le Pr Dautzenberg, ces données suggèrent que l'arrivée massive des e-cigarettes en France en 2013 aurait contribué, du moins en partie, à la baisse des ventes de cigarettes. « L’attitude proactive des experts français et du gouvernement pour réguler l’usage de la e-cigarette tout en permettant son utilisation chez les fumeurs pourrait expliquer ce succès et l’impact de la e-cigarette sur la consommation de tabac. » Mais, pour certains, le lien entre les deux phénomènes est loin d’être démontré. « Vous nous dites que les ventes de cigarette ont baissé depuis 2012, argumente le Dr Constantine Vardavas (Boston) qui coprésidait la session de l’ERS, or l’Europe connaît justement depuis 2012 une dégradation de sa situation économique et la baisse des ventes de cigarettes pourrait tout autant être liée à cette crise qu’à l’avènement de la e-cigarette… »
Des praticiens de plus en plus sollicités
Autant d’arguments et de contre-arguments qui soulignent le flou qui persiste autour de la e-cigarette. En fait, « nous n’avons aucune certitude, reconnaît volontiers le Pr Dautzenberg, et pour le moment c’est la pratique clinique qui nous guide ». Pour autant, « face à la demande croissante des patients, on ne peut pas rester sans réponse, estime ce spécialiste, sous peine, sinon, de voir les patients se tourner d’eux-mêmes vers la cigarette électronique en considérant que le médecin n’est plus un interlocuteur compétent en matière de tabac ».
Et ce d’autant, que les professionnels de santé sont de plus en plus confrontés à la question comme le souligne une étude britannique présentée par le Dr Rajesh Raju (Leeds). Selon ce travail réalisé à l’hôpital de Leeds, la majorité des praticiens (70 %) voient en consultation des patients concernés par la e-cigarette, que ce soit de façon occasionnelle (52 %) ou plusieurs fois par semaine (47 %). Dans près d’un cas sur deux, les patients leur demandent leur avis. Or seul un gros tiers (39 %) répond favorablement à ces sollicitations et s’autorise à donner des conseils tandis que 61 % expliquent qu’ils sont incapables de donner un avis médical. Lorsque les praticiens se mouillent, 25 % conseillent à leurs patients de poursuivre le vapotage tandis que 14 % prônent plutôt l’arrêt du vapotage Dans ce contexte, « il devient urgent de proposer des recommandations » conclut le Dr Raju. L’OFT s’est d’ailleurs déjà jetée à l’eau avec la publication cet été d’un premier avis d’expert sur « la prise en charge de l’arrêt du tabac à l’heure de la cigarette électronique »…