Dénommées naguère Composées, les Astéracées (Asteraceae) sont une très grande famille de plantes monocotytlédones comportant 23 500 espèces et 1 600 genres (1). Très vivaces, elles se développent bien dans les terrains secs. Diverses et nombreuses, on les classe en 4 groupes : i) liguliflores (chicorée, pissenlit, laitue) ; ii) tubuliflores (chardon) ; iii) labiatiflores (plantes ligneuses tropicales) ; iv) radiées (marguerite, aster).
Parmi les Astéracées, les ambroisies et les armoises sont particulières par le caractère très allergisant de leurs pollens. Toutefois, le pollen d’autres Astéracées peut être allergisant, dans certaines conditions d’expositions de proximité (2).
Armoise : de nombreuses allergies végétales croisées
L’armoise (Artemisia vulgaris, angl. : mugwort) est une plante herbacée qui peut atteindre 2 mètres, le plus souvent haute de 60 à 70 cm. Elle a plusieurs noms particuliers à certains pays ou régions (noms vernaculaires) comme armoise commune, armoise citronnelle, herbe à Saint Jean (etc.). On la trouve dans les terrains vagues et au bord des chemins. En une trentaine d’années, l’armoise est presque à égalité avec l’ambroisie dans la vallée du Rhône, même si cette dernière y demeure très abondante, envahissant depuis une dizaine d’années la plupart des régions françaises. Comme les autres Composées, l’armoise pollinise de la fin de l’été jusqu’en automne (de mi-juillet à mi-octobre (3,4). En France, l’allergie au pollen d’armoise concernerait 10 à 14 % des individus atteints d’allergie pollinique (4).
Très allergisants, les pollens d’armoise provoquent des rhinites, des rhino-conjonctivites et de l’asthme. Le diagnostic est basé sur l’anamnèse (circonstances cliniques, saisonnalité), la positivité des prick-tests (PT), et celle du dosage des IgE sériques spécifiques (IgEs). Les dosages d’IgEs (“Rasts”) sont w6 (Artemisia vulgaris) et w1 (Ambrosia artemisiifolia) mais, de même que les PT, ces Rasts usuels manquent de spécificité en raison de réactions croisées avec les autres Composées et avec d’autres allergènes végétaux. C’est pourquoi les allergologues demandent un dosage des IgEs contre les allergènnes recombinants de l’armoise, voire un dosage des IgEs vis-à-vis de différents composants allergéniques par la technique des biopuces (4).
Pour l’armoise il existe 6 allergènes moléculaires qui sont Art v 1 (protein PR-10), Art v 2, Art v 3 (LTP ou Lipid Protein Transfer), Art v 4 (profiline), Art v 5 (polcalcine), Art v 6 (pectase lyase homologue de Amb a 1, allergène de l’ambroisie) (5). La plupart des patients allergiques à l’armoise ont des IgEs dirigées contre Art v 1 (allergène majeur) et Art v 3 (allergène majeur dans la région méditerranéenne) (2). Ainsi, jusqu’à 85 % des Espagnols allergiques à l’armoise ont des IgEs sontre Art v 3 (6). Pour ces patients, les Rasts utilisant des sources naturelles d’allergènes d'armoise (nArt v 1 et nArt v3) devraient suffire pour le diagnostic (« n » pour « naturel » ou « normal », c’est-à-dire un allergène issu de sources naturelles).
L’armoise est l’un des acteurs de nombreux syndromes de sensibilisations et d’allergies croisées “pollens-aliments” tels que “céleri-armoise-épices”, “céleri-armoise-épices-mangue”, armoise-pêche” (etc.). Il existe une homologie entre les allergènes de l’armoise et ceux de la pariétaire (Par j1) et de la pêche (Pru p3). Il en est de même entre un allergène de 9 kilodaltons (kDa) de la pêche et une protéine de transfert lipidique (LTP pout Lipid Protein Transfer) de PM 9 kDa de l’armoise (Art v3). Les patients sensibilisés à la protéine de 9 kDa de l’armoise ne présentent pas de symptômes de pollinose, cette sensibilisation étant interprétée comme la conséquence d’une sensibilisation primitive à la pêche.
En général, ces réactions croisées “pollens-aliments” se manifestent par un syndrome d’allergie orale (SAO), le plus souvent bénin (prurit des lèvres, de la bouche, picotements pharynges, oedeme labial), mais certains patients peuvent être atteints de symptômes sévères à type d’anaphylaxie (jusqu’à 10 % des SAO en général) (7). L’allergie à l’armoise peut aussi se traduire par des symptômes très graves, en particulier au cours du syndrome “armoise-mangue”. Kurzen et coll. (8) ont rapporté un cas d’œdème glottique pré-létal IgE-dépendant (PT et dosages d’IgEs positifs) chez un fleuriste qui avait été en contact avec de l’armoise. Auparavant, ce patient avait présenté une allergie au pollen de tournesol. Ce patient était également sensibilisé à l’estragon, à la carotte, au fenouil, au céleri et à l’anis.
En pratique, il existe des relations étroites entre les allergènes des pollens et ceux des aliments végétaux. Ces sensibilisations et allergies s’expliquent par le fait que des allergènes polliniques appartenant à des familles végétales très différentes possèdent des allergènes moléculaires communs (par exemple ici les protéines PR-10 et les protéines de transfert lipidique (LTP). C’est pourquoi ces patients doivent bénéficier de l’expertise d’allergologues rompus au diagnostic biologique moléculaire de l’allergie.
Ambroisie : un fléau de santé publique
L’ambroisie (Ambrosia artemisiifolia, Ambrosia trifida, angl. : ragweed) est une Composée originaire d’Amérique du Nord. Aux États-Unis, le ragweed est l’un des principaux pollens allergisants de la côte Est. En 2014, l’Anses (Agence de sécurité sanitaire, de l’environnement et du travail) confirmait (ce que l’on savait depuis longtemps) que les pollens d’ambroisie étaient particulièrement allergisants provoquant des symptômes sévères de rhinite, de conjonctivite, de rhino-conjonctivite, d’asthme, d’urticaire par contact avec les pollens aéroportés, et même d’eczéma (3, 9). Les allergiques à Ambrosia (rhinite et/ou d’asthme) sont souvent sensibilisés au céleri. Des cas d’allergie croisée entre Ambrosia et litchis ont été décrits.
Les allergènes de A. artemisiifolia sont actuellement au nombre de 10, listés de Amb a1 à Amb a10. L’allergène principal est Amb a1, qui est reconnu par plus de 90 % des patients allergiques à l’ambroisie. C’est une protéine non glycosylée de PM 38 kDa, de la famille des pectases-lyases. Les autres allergènes sont reconnus par les individus allergiques à l’ambroisie tells que Amb a2 (70 % des patients), Amb a3 (30-50 %,) Amb a7 (15-20 %) (10). Tous ces allergènes ont entre eux des réactivités croisées, ainsi qu’avec l’armoise (Art v1). Dans l’avenir, des techniques de diagnostic précises s’appliquant au plus grand nombre de patient seront mises au point. Pour l’instant le diagnostic est basé sur la notion d’exposition, le degré d’exposition pollinique regional (comptage des pollens par le RNSA), la positivité des PT et celle des dosages d’IgEs dirigées contre les allergènes naturels (w1 et w6) et surtout les allergens moléculaires (Amb a1). Le diagnostic doit être précis en vue, comme pour l’armoise, d’une éventuelle immunothérapie spécifique.
L’ambroisie est le prototype des plantes envahissantes. À la suite de son implantation dans la région lyonnaise, vers les années 1960 (autrefois on avait imputé cette « contamination » par l’importation de semences d’Ambrosia pendant la seconde guerre mondiale, via les avions-cargos américains et leurs parachutages. En fait l’ambroisie s’est dispersée dans tous les continents en raison des activités humaines : transport de denrées et de graines contaminées par des semences d’ambroisie), on a assisté à une progression de la plante du nord au sud, dans la vallée du Rhône où elle a supplanté l’armoise. Elle se multiplie dans les terrains en friches, le long des routes. Au cours de la saison pollinique, les symptômes des allergies au pollen d'ambroisie sont tardifs, commençant en général vers la mi-août, avec un maximum d'intensité en septembre, et se prolongeant parfois jusqu’en octobre. Des variations peuvent exister selon les régions.
L’ORS (Observatoire Régional de la Santé) de la région Rhône-Alpes a publié en 2014 un important rapport d’où ressortent les faits suivants (11) :
— La région Rhône-Alpes est la plus touchée de France ;
— Un quart des ménages comporte au moins une personne atteinte d’allergie à Ambrosia (étude effectuée sur 2502c foyers représentant 7 024 personnes) ;
— La prévalence individuelle de cette allergie est passée de 9,2 % en 2014 à 13 % en 2014 ;
— Le poids médicoéconomique est important puisque l’ORS Rhône-Alpes estime que 284 604 habitants de la région sont affectés par l’allergie à l’ambroisie ;
— Plus de la moitié de ces personnes ont eu recours à des soins médicaux.
D’autres études montrent que la plupart des régions sont touchées et on estime que 6 à 12 % de la population française serait sensibilisée à Ambrosia. À titre d’exemple, à la mi-août le RNSA (Réseau National de Surveillance Aérobiologique) détectait une quantité de 1 000 grains de pollens d’Ambrosia/m3 dans l’Yonne, la Nièvre, le Rhône, l’Ardèche et la Drome. Plus encore ces pollens, très légers, sont aérotransportés et peuvent se retrouver par temps venteux à plus de 100 km (ou davantage) de l’endroit où ils ont été émis.
Les risques liés à sa prolifération ont justifié la création de l’Association Française d’Études des Ambroisies (AFEDA). Dès 1995, une campagne d’éradication a débuté, s’appuyant sur des arrêtés des préfets de la région et des départements concernés. En 2017, l’observatoire des ambroisies a rédigé un document intitule “Agir contre l’ambroisie à feuilles d’armoise”(12). Les points à retenir sont les suivants : i) en raison des activités humaines, l’ambroisie s’est dispersée sur tous les continents ; ii) c’est une plante qui entre en concurrence avec les cultures ; iii) le guide donne des photographies pour reconnaître Ambrosia à ses différents stades (plantule, stade végétatif, stade de floraison) ; iv) une seule plante peut produire jusqu’à 3 000 semences par an ; v) ses zones de prédilection pour se développer sont les terrains remaniés par les activités humaines (déplacement des terres, travaux publics), le bord des routes, etc.
Le HCSP (Haut Conseil de la Santé Publique) a émis quelques recommandations individuelles pour se protéger : i) éviter les activités extérieures en période de pollinisation ; ii) éviter de faire sécher le linge dehors ; iii) fermer les vitres des véhicules ; iv) se rincer les cheveux le soir ; v) aérer l’habitation la nuit.
L’aspect le plus important concerne la législation et la réglementation. À défaut de réglementation européenne, il existe une réglementation nationale : i) trois espèces d’ambroisies sont concernées (ambroisie à feuille d’armoise, ambroisie trifide, ambroisie à épis lisses) ; ii) les mesures de prévention et de lutte sont mises en œuvre au niveau local et national, en particulier l’information et la destruction des plantes ; iii) tous les acteurs sont concernés (préfet, maires et collectivités territoriales, propriétaires, locataires, exploitants, maîtres d’ouvrage) ; iv) il existe des plateformes de signalement de l’ambroisie en vue de sa cartographie, de son signalement et de sa destruction) (12).
Face à ces dispositifs, la prévention passe par l’arrachage manuel, le fauchage/broyage, le pâturage (ovins, caprins, bovins), le désherbage thermique, mécanique ou chimique et, in fine, la végétalisation des sites propices au développement de l’ambroisie (12).
Toulouse
(1) Stewart GA, Robinson C. Allergènes de l’intérieur et de l’extérieur des maisons et polluants. In : O’Hehir, Holgate ST, Sheikh A. Allergologie : Le Middleton. Traduction Guy Dutau. Elsevier-Masson, Paris, 2017, pp. 51-98
(2) Lavaud F, Jonvel AC, Fontaine JF, Sabouraud D, Lebargy F. Les pollinoses de proximité ne sont-elles que des cas cliniques ? Rev Fr Allergol Immunol Clin 2007; 47(3) : 51-516
(3) Dutau G. Dictionnaire des allergènes. Phase 5 Édit., Paris, 2010 (6ème édition)
(4) Bienvenu F. L’allergie à l’armoise. Diagnostic biologique. IgE spécifiques. Réactions croisées. XVIe Journées d’études du RNSA, 25 et 26 novembre 2011. Voir : https://www.pollens.fr/uploads/media/default/0001/01/33dbe3e1ae6b36dc46… (consulté le 22 septembre 2019)
(5) Wopfner N, Gadermaier G, Egger M, Asero R, Ebner C, Jahn-Schmidt B, Ferreira F. The spectrum of allergens in ragweed and mugwort pollen. Int Arch Allergy Immunol 2005 ; 138(4) : 337-46
(6) Sastre J. Momecular diagnosis in allergy. Clin Exp allergy 2010 ; 40(10) : 1442-60
(7) Amlot PL, Kemeny DM, Zachary C, Parkes P, Lessof MH. Oral allergy syndrome (OAS): symptoms of IgE-mediated hypersensitivity to foods. Clin Allergy 1987; 17(1) : 33-42
(8) Kurzen M, Bayerl C, Goerdt S. Occupational allergy to mugwort. J Dermatol Ges 2003 ; 1(4) : 285-90
(9) Ambroisie et allergies. https://www.anses.fr/fr/content/ambroisie-et-allergies (consulté le 22 septembre 2019)
(10) Girodet B. Allergènes moléculaires de l’ambroisie. https://docplayer.fr/50904063-Allergenes-moleculaires-de-l-ambroisie.ht… (consulté le 24 septembre 2019)
(11) Étude de la prévalence de l’allergie à l’ambroisie dans la région Rhône-Alpes. https://www.pollens.fr/uploads/media/default/0001/01/d7f2343f07da181720… (consulté le 23 septembre 2019)
(12) Bilon R, Chauvel B, Mottet M. Agir contre l’ambroisie à feuilles d’armoise. Inra, 2017, 30 pages. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/guide_gestion_agir_contre_l_a… (consulté le 24 septembre 2019)
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024
La myologie, vers une nouvelle spécialité transversale ?