Si à l'approche de l'hiver les services de pédiatrie sont sous tension, la discipline a connu récemment plusieurs progrès. Mucoviscidose, bronchiolite, cancers ou encore autisme : que ce soit en matière de diagnostic ou de traitement, ces derniers mois se sont ainsi fait l’écho de différentes avancées concernant des pathologies de l’enfant, suggérant une nouvelle dynamique en pédiatrie. De la recherche aux politiques de santé, les plus jeunes bénéficient de plus en plus d’approches spécifiques, même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir.
« Dans la morosité ambiante, il faut le souligner, la santé des enfants est globalement de mieux en mieux prise en compte ». Alors que les moins de 15 ans représentent 17,5 % de la population au dernier comptage de l’Insee, la prise en charge de leur santé s’est améliorée, se félicite le Pr Christèle Gras-là Guen, présidente de la Société française de pédiatrie (SFP). Et même si des progrès restent à faire, notamment en matière de parcours de soins et d’inégalités de santé, plusieurs avancées peuvent être soulignées, estime la pédiatre.
Chez le tout-petit, le dépistage néonatal est en pleine mutation. Grâce aux nouvelles technologies d’analyse moléculaire, la détection des maladies métaboliques par un test de Guthrie s’étoffe régulièrement. En 2022, la détection du déficit en acyl-CoA déshydrogénase des acides gras à chaîne moyenne (MCAD) est ainsi venue s’ajouter aux cinq maladies recherchées jusque-là et le dépistage devrait encore s’élargir avec la détection de sept erreurs métaboliques innées supplémentaires au 1er janvier prochain.
La prévention des maladies infectieuses en progrès
Autre point positif : la prévention des maladies infectieuses a été améliorée par l’extension de l’obligation vaccinale, qui a porté de 3 à 11 le nombre de vaccins obligatoires chez le jeune enfant, en janvier 2018. Cette mesure « n’a pas rencontré de freins et la couverture vaccinale est désormais d’excellente qualité, juge la présidente de la SFP. L’introduction du vaccin anti-méningocoque B, notamment, est un grand sujet de satisfaction : touchant souvent les familles défavorisées, ces infections pèsent sur les inégalités en santé ».
Des progrès grevés par l'organisation des soins ?
L’Inspection générale des affaires sociales en mai 2021, la Cour des comptes en décembre, le Haut Conseil de santé publique en avril dernier… Coup sur coup, trois rapports ont fait le même constat : l’organisation de la prise en charge des enfants mériterait une sérieuse réorganisation. Et si l’état de santé des enfants français se situe dans la moyenne des pays comparables, il pâtit d’inégalités, sociales surtout et/ou territoriales, dès le plus jeune âge. Un défaut d’organisation des parcours de soins et/ou de moyens humains fragiliserait ainsi les améliorations enregistrées ces dernières années dans le champ de la pédiatrie.
Toujours en infectiologie, la pédiatre salue aussi l’avis de la Haute Autorité de santé du 12 juillet dernier, qui réhabilite la vaccination contre le rotavirus entre 6 semaines et 6 mois, au vu des données d’efficacité et de tolérance des deux vaccins disponibles (Rotarix et RotaTeq). « On attend désormais de le voir suivi d’un remboursement », espère la pédiatre, qui attend aussi beaucoup de l’étude en vie réelle du nouvel anticorps monoclonal anti-VRS, le nirsevimab. « Si les résultats des études cliniques se confirment, cela révolutionnerait les épidémies hivernales de bronchiolite », qui pèsent particulièrement sur les moins de 3 mois. La présidente de la SFP salue aussi « l’important travail mené par la Haute Autorité de santé pour réviser en 2019 les recommandations sur la bronchiolite », ce qui a permis notamment de pointer les pratiques et les traitements qui n’ont pas prouvé leur efficacité (radios du thorax, antitussifs fluidifiants, kinésithérapie, antibiotiques).
Autre motif de satisfaction : la douleur et sa sémiologie spécifique chez l’enfant sont mieux connues et beaucoup a été fait, sous l’impulsion de l’association Pediadol, pour bousculer les idées reçues. « On ne concevrait plus, comme encore entendu lors de mes études il y a trente ans, de traiter une otite séreuse par une paracentèse pratiquée sans anesthésie ! », s’exclame le Pr Gras-là Guen. « Solution sucrée pour les tout-petits, prescription de patches anesthésiants avant tout bilan sanguin ou certains vaccins plus douloureux, comme le HPV » : la prévention de la douleur fait aussi son chemin en ville, même si les gestes douloureux y sont moins fréquents, recense le Dr Andreas Werner, président de l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA).
La mucoviscidose en mutation
La prise en charge des pathologies lourdes bénéficie aussi d’un certain nombre d’avancées. Le bilan 2021 du registre français de la mucoviscidose fait ainsi apparaître des évolutions positives, notamment depuis l’arrivée de la trithérapie Kaftrio. Combinant ivacaftor, tezacaftor et elexacaftor, ce premier traitement étiologique permet d’agir sur la protéine CFTR, qui régule la composition des sécrétions des glandes exocrines. En 2021, alors que le nombre de nouveaux cas diagnostiqués (144) reste stable, le nombre de patients qui vivent avec la mucoviscidose augmente, avec des malades de plus en plus vieux (25 ans en moyenne contre 19 il y a dix ans). Les données du registre mettent aussi en évidence une diminution drastique du nombre de patients greffés (17 en 2021 contre 86 en 2019) et un allègement notable des traitements avec notamment une baisse de la prescription d’antibiotiques IV de 19 %. « Malheureusement, encore 60 % des patients sont exclus de ces nouveaux traitements », soulignait récemment l’association Vaincre la mucoviscidose, soit qu’ils présentent un profil génétique sur lequel ces traitements sont inopérants, soit qu’il s’agisse de patients greffés pour lesquels ces modulateurs CFTR sont contre-indiqués.
Les lignes bougent également pour les cancers pédiatriques. Les 30 centres d’oncologie pédiatrique offrent un bon maillage territorial de prise en charge des enfants et six sont labellisés par l’Inca pour faire bénéficier les jeunes patients de traitements innovants. Plus généralement, l’essor de la médecine de précision, le séquençage moléculaire des tumeurs pédiatriques désormais pris en charge par France Génomique et des programmes comme l’étude observationnelle Sacha (pilotée par l’IGR en collaboration avec l’ANSM pour collecter les données de tolérance et d’efficacité des thérapies innovantes délivrées sous ATU aux enfants) sont un véritable progrès pour mieux comprendre et traiter leur cancer. Même si, pour le moment, du chemin reste à faire pour développer des études cliniques et surtout des anticancéreux spécifiques, souligne Patricia Blanc, présidente de l’association Imagine for Margo, qui soutient activement – et financièrement – de nombreux programmes de recherche. Car « avec 70 pathologies différentes, les cancers pédiatriques restent considérés comme des “maladies rares”, financièrement peu intéressantes pour l’industrie pharmaceutique ».
Du côté des troubles neurodéveloppementaux, la stratégie nationale pour l’autisme, lancée en 2018, a mis la priorité sur le repérage, possible dès l’âge de 18 mois dans l’une des 91 plateformes de coordination d’orientation réparties sur le territoire. 30 000 enfants en bénéficiaient en juillet dernier contre seulement 150 en février 2020. Des livrets adressés aux généralistes et pédiatres ont aussi été élaborés pour les aider à ce repérage précoce. Ce mieux, sur le papier, se heurte toutefois à la réalité du terrain. « Avec la meilleure volonté du monde, les besoins sont toujours supérieurs à l’offre, pour les troubles développementaux comme pour tout handicap en général », déplore Christèle Gras-là Guen. Et malgré tous les livrets du monde, « les troubles du spectre autistique englobent des symptômes si larges que le repérage est loin d’être évident sans formation spécifique », renchérit le Dr Andreas Werner.
Encore des bémols
Si les choses vont plutôt dans le bon sens en matière de santé des enfants, les pédiatres pointent certains bémols :
> Le médecin traitant n’est pas encore la règle. Sa désignation a été étendue en 2017 aux moins de 16 ans, recommandée mais non obligatoire. Près de six ans plus tard, un enfant sur deux seulement a un médecin traitant, alors qu’il « constitue un levier pour mieux structurer le parcours de soins de l’enfant, en lui confiant notamment la réalisation des examens obligatoires », observe la Cour des comptes dans son rapport de 2021. Actuellement, la prise en charge médicale des enfants repose majoritairement sur les médecins généralistes – les pédiatres n’assurant que 33 % des consultations des moins de 12 ans.
> La mort subite touche encore un peu plus de 300 nourrissons chaque année. « Après avoir diminué dans les années 1990, les chiffres stagnent depuis 2000 », déplore le Pr Gras-là Guen, présidente de la SFP, qui invite à insister sur les conditions de couchage optimales pour l’éviter.
> Le suivi des adolescents, contrairement à celui des plus petits, pour lesquels les parents se plient assez volontiers aux visites régulières et examens clés, souffre de lacunes, déplore le Dr Andreas Werner, président de l’AFPA, qui n’est « pas sûr que la compétence vaccinale accordée aux pharmaciens soit d’une grande aide de ce point de vue. Le rendez-vous vaccinal, entre 11 et 13 ans, est en effet l’un des rares moments de consultation dans cette tranche d’âge, qui offre l’occasion d’aborder des problèmes spécifiques : acné, dépression, prévention des MST et des comportements à risque ».
> La consommation des médicaments reste excessive chez les enfants. « Les petits Français sont ceux qui en consomment le plus en Europe », met en garde le Pr Gras-là Guen. Antibiotiques et inhibiteurs de la pompe à protons figurent en tête des prescriptions abusives.