PAR LE Pr FRANÇOIS LEGENT*
JUSQU’À NOTRE XXIe siècle, la spécialité ORL n’avait pas connu de débat éthique majeur concernant les modalités d’exercice ou les innovations techniques, chacun prenant pour guide le serment d’Hippocrate. Mais dans ce ciel serein survinrent plusieurs coups de tonnerre, le premier déclenché par une décision de la Haute Autorité de santé (HAS) d’interdire de fait l’utilisation de la pince de Sluder pour l’énucléation des amygdales palatines. Depuis deux tiers de siècle cette pince, considérée lors de son apparition comme un progrès majeur, avait permis d’opérer par énucléation des millions (!) d’enfants dans les meilleures conditions de sécurité vis-à-vis du risque hémorragique si redouté. André Lemariey, un grand nom de l’ORL pédiatrique, son créateur en France, avait prouvé en comparant des cohortes de plus de 10 000 enfants, sa supériorité sur l’amygdalectomie par dissection, l’autre technique d’amygdalectomie totale. Pour des raisons obscures, la Caisse Nationale d’Assurance-maladie (CNAM) éprouva le besoin de demander à la HAS en 2006 un avis sur le service rendu sur son emploi, après avoir baptisé cette pince du nom d’amygdalotome, évocateur de couperet, peut-être pour mieux effaroucher.
Les tenants du savoir de la docte institution, n’écoutant pas les spécialistes consultés, condamnèrent la pince à quitter les blocs opératoires pour gagner les musées. Une des raisons invoquées était le manque de publication concernant son efficacité (!).
Que vient faire l’éthique dans cette galère ? Il suffit de demander aux chirurgiens habitués au maniement d’un instrument qu’ils maîtrisent parfaitement, s’ils doivent l’abandonner au profit d’une technique qu’ils ne connaissent pas, pour simplement satisfaire les décisions de la CNAM qui s’abrite derrière la HAS, sans aucune donnée scientifique ou économique.
Le dépistage néonatal de la surdité.
L’autre secousse provint en 2007 du Comité Consultatif National d’Éthique (CCNE) qui avait émis l’avis n° 103 « Éthique et surdité de l’enfant : éléments de réflexion à propos de l’information sur le dépistage systématique néonatal et la prise en charge des enfants sourds ». Alors que le dépistage de la surdité à la naissance paraissait s’imposer pour tous les ORL, le CCNE affirmait que « la question éthique du dépistage néonatal de la surdité dépasse largement la seule dimension fonctionnelle et organique ». Le réveil a été brutal pour beaucoup. Comment, des philosophes s’immisçaient dans nos pratiques de la recherche du mieux être auditif des jeunes enfants ! Pourtant, il est difficile de nier que cette alerte fut salutaire. Une réflexion éthique s’imposait pour envisager une politique de dépistage généralisé de la surdité à la naissance. D’ailleurs, d’autres instances comme l’Académie nationale de médecine s’y attelèrent, éclaircissant le chemin parcouru depuis par la mission parlementaire qui va proposer une loi sur ce dépistage, permettant ainsi de rattraper l’important retard de notre pays dans ce domaine.
Après de telles secousses, le Comité d’éthique de la SFORL (CEORL) allait se mettre au travail. Le Secrétaire général demandait une structure simple et de bons sens qui soit susceptible d’être saisie dès qu’un problème éthique se pose. Une dizaine de membres furent pressentis et acceptèrent de se pencher sur le bébé et d’élaborer un règlement réduit au minimum. S’il fallait des membres libérés d’activités professionnelles très prenantes, le comité devait comporter aussi des membres encore confrontés aux
problèmes quotidiens de la profession. Au grand nombre fut préférée une composition à géométrie variable, faisant appel à des compétences particulières le moment venu. Ce fut le cas lorsqu’il fallut étudier les 147 propositions de recommandations de la HAS de février 2009 concernant la « Surdité de l’enfant : accompagnement des familles et suivi de leur enfant sourd de 0 à 6 ans ». Un important travail réalisé par le CEORL, qui avait sollicité la collaboration d’une ORL phoniatre et d’une orthophoniste reconnues pour leur compétence dans ce domaine, a permis d’adresser des remarques constructives à la HAS qui a depuis ramené à taille raisonnable le nombre de ses recommandations.
Publications internationales.
L’autre raison d’être de ce comité d’éthique de la SFORL concernait les publications scientifiques internationales qui exigent parfois l’avis d’un comité d’éthique, même pour des études dites observationnelles pour lesquelles les traitements ne sortent pas de leurs indications, modes de prescription et surveillance habituels. Pour ce type d’études, aucune soumission à un Comité de Protection des Personnes (CPP) n’était jusqu’à maintenant demandée puisqu’il ne s’agit pas à proprement parler de recherche sur le corps humain. En revanche, ces études visent à collecter des données personnelles de
santé, recourant à des méthodes épidémiologiques pour analyser les données recueillies et comportent donc un volet éthique. Certains CPP refusant ce type de dossiers ou demandant un temps démesuré, il a paru important d’aider les cliniciens à publier leurs recherches. Une rapide enquête sur Internet montra que d’autres spécialités, confrontées aux mêmes difficultés, avaient trouvé une solution efficace. On pouvait ainsi découvrir le Comité d’Evaluation des Protocoles de Recherche observationnels de la Société de
Pneumologie de Langue Française, et le Comité d’éthique de la recherche en obstétrique et gynécologie. Le CEORL a donc créé une Commission d’Évaluation de Recherche Observationnelle et proposé une procédure recourant uniquement à la messagerie électronique pour répondre aux demandes dans les meilleurs délais. La commission se cantonne à l’aspect éthique de l’information des patients et vérifie qu’il s’agit bien d’une recherche strictement observationnelle. Elle ne se prononce pas sur la pertinence de la recherche ni sur les modalités d’exploitation des résultats. En fait, notre CE n’eut à examiner qu’un dossier pour lequel il demandait des précisions sur les conditions d’examen pour s’assurer qu’aucune modification n’était apportée à la surveillance habituelle des patients. Mais l’élan de notre CE a été brisé en voyant poindre le cheminement parlementaire de la nouvelle loi relative aux recherches sur la personne qui semble imposer le passage par les CPP pour toutes les recherches, interventionnelles ou non. Aux dernières nouvelles, les « comités éthiques de la recherche » de sociétés savantes garderaient toute leur place pour donner un avis sur les recherches portant sur les données. Quoi qu’il en soit, le CEORL restera vigilant et toujours disposé à aider la profession et les chercheurs dans les cadres réglementaires.
*Président du CE de la SFORL, membre de l’Académie nationale de Médecine.
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