En matière de recherche et de traitement des troubles de l’audition et de la compréhension du langage, « on part vraiment de zéro, on a 30 ans de retard par rapport à la vision ! », regrette le Dr Alain Londero, ORL et spécialiste de la chirurgie cervico-faciale. Ce retard, l’institut hospitalo-universitaire (IHU) reConnect, l’un des 12 nouveaux IHU annoncés en mai 2023 et officiellement inauguré ce lundi 5 novembre, entend bien le rattraper.
Dirigé par la neuroscientifique Anne-Lise Giraud, reConnect s'inscrit dans la continuité de l’Institut de l'audition, dont elle occupait la tête jusqu'en avril dernier. Cette structure est d'ailleurs l’un des piliers du nouvel IHU, au même titre que l'université Paris Cité et le Centre de recherche et d'innovation en audiologie humaine (Ceriah), créé en 2021.
Une boîte à outils face au défi de la démographie médicale
L'Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu'un quart de la population mondiale souffrira de déficience auditive en 2050. En France, 65 % des plus de 65 ans sont touchés par un trouble auditif. « Nous sommes face à un défi de démographie médicale dont les solutions résident dans l'IA, la portabilité des appareils et l'auto-utilisation des dispositifs de mesure, explique le Pr Paul Avan, PU-PH, biophysicien et directeur du Ceriah. Pour tout cela, l'IHU reConnect est une véritable boîte à outils. »
L'objectif : passer d'une médecine encore purement compensatoire à une médecine curative. « On sort du registre ORL pour élargir à d'autres compétences comme la neurochirurgie ou la génétique », résume Anne-Lise Giraud. Environ 300 chercheurs et cliniciens vont collaborer, répartis dans cinq groupes de recherche (1) ou « work package », forts d'un financement étatique de 40 millions d’euros et du soutien de l'Institut Pasteur et de l'Inserm.
ReConnect s'implante progressivement à l’hôpital Lariboisière. Entre 2025 et 2027, commenceront la planification et des levées de fonds pour un nouveau bâtiment doté de nombreux plateaux techniques (neurostimulation, neuro-imagerie…), dont la livraison est espérée en 2030.
Des programmes de recherche transversaux
La transversalité de l'IHU s'illustre à travers les thématiques de recherche. Ainsi, la Dr Mariette Vinurel, psychiatre et chercheuse clinicienne spécialiste des troubles audiophonologiques, va explorer l’hypothèse selon laquelle le dysfonctionnement sensoriel propre à l'autisme puisse être lié à des dysfonctionnements dans le champ auditif. « Nous nous intéressons à la question des caractéristiques partagées entre autisme et troubles du développement, explique-t-elle. Le langage est le support du développement des pensées complexes et de leur partage avec l'entourage. En temps normal, il existe un calage du rythme d'activation de la partie du cortex chargée du décodage du langage, et celui de la parole. Il a été récemment démontré que ce calage ne se fait pas dans l'autisme ».
Un autre programme de recherche va tenter de comprendre les liens entre exposition sonore, apparition des acouphènes et détresse induite. « Une personne sur six a des acouphènes, mais seulement 20 % en souffrent et 1 % de façon insupportable. Nous n'avons pas d'explication physiopathologique pour comprendre cette inégalité face aux altérations de la qualité de vie », détaille le Pr Londero.
Ces dernières années, les chercheurs suggèrent que les acouphènes pourraient constituer une réponse mal adaptée du cerveau à une perte auditive. « Il y a une cooccurrence entre perte auditive et acouphènes, mais s'agit-il d'une cause ou d'une conséquence ? », interroge Séverine Samson, professeur au laboratoire de psychologie de l’Université de Lille. La réponse est d'autant plus difficile à trouver qu'il n'existe pas, à ce jour ni de modèle animal pertinent, ni de stratégie curative, ni même de définition opérationnelle et théorique de ce que sont les acouphènes.
Musique et Alzheimer
Un essai est également en cours de recrutement pour évaluer l’utilisation de sons dits « rugueux » comme outils diagnostics prédictifs de l'évolution de patients Alzheimer. Une autre étude se concentrera sur la compréhension des déconnexions fonctionnelles ente les aires chargées du traitement de l'information auditive et celles de production de la parole, à l'origine du bégaiement.
Enfin, deux enfants atteints de surdité DFNB9 ont déjà bénéficié d'une thérapie génique dans le cadre d'un essai de phase 1 mené en partenariat avec le laboratoire Sensorion. « Cette maladie est très rare, mais elle va nous servir de modèle pour traiter des pathologies plus fréquentes comme la maladie de Usher », espère le Dr Saaid Safieddine de l’Institut de l'audition et découvreur dans les années 90 du gène responsable du DFNB9.
(1) « Nouveaux traitements et prise en charge de la surdité soudaine et fluctuante », « Prévention et traitement de la perte progressive de l'audition », « Caractérisation et traitement des troubles de la perception auditive (acouphènes, hyperacousie et misophonie) », « Audition et maladie neurodégénératives : des mécanismes pathologiques aux traitements » et « Reconfigurer les réseaux audio-phonologiques perturbés ».
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