DE NOTRE CORRESPONDANTE
« Contrairement à la reconstruction conventionnelle, la greffe du visage vise à corriger des difformités sévères en une seule opération, de façon à redonner une apparence presque normale et une fonction qui ne peuvent être obtenues avec les techniques chirurgicales de reconstruction plastique conventionnelle. C’est vraiment une procédure qui redonne une vie à ces patients », souligne le Dr Bohdam Pomahac, qui dirige depuis 2007 l’équipe spécialisée en transplantation du visage au Brigham and Women’s Hospital à Boston (États-Unis).
Ce jeune chirurgien d’origine tchèque, fortement encouragé par le succès de la première greffe de visage partielle réalisée en 2005 par l’équipe du Pr Lantiéri à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, sut convaincre ses collègues et l’institution médicale de Harvard de la nécessité d’entreprendre ce type de greffe. L’hôpital reçut du Département de la Défense américain, une bourse s’élevant à 3,4 millions de dollars pour réaliser ces greffes.
En mars 2011, Pomahac et coll. réalisaient la première greffe totale de visage aux États-Unis (la troisième dans le monde, après celles effectuées en Espagne et en France). Le premier bénéficiaire, Dallas W. âgé de 25 ans, avait été défiguré en 2008 en touchant une ligne de haute tension.
En avril et mai de la même année, l’équipe réalisait deux autres greffes complètes du visage. D’abord sur un homme de 30 ans, Mitch H., défiguré en 2001 par un courant de haute tension, puis sur une femme de 57 ans, Charla N., victime d’une attaque d’un chimpanzé devenu fou.
L’équipe décrit maintenant dans le « New England Journal of Medicine » ces procédures complexes et l’évolution des trois patients.
Chaque patient a été sélectionné au terme d’un processus rigoureux d’évaluation par une équipe multidisciplinaire (incluant un éthicien), et chacun a du signer un consentement éclairé.
Une fois le candidat approuvé, l’équipe a du collaborer étroitement avec la « New England Organ Bank » (banque d’organe New England) afin d’identifier un donneur approprié en mort cérébrale et obtenir le consentement de sa famille.
Chaque greffe du visage faisait intervenir plusieurs équipes de chirurgiens. Une équipe récupérait chez le donneur les tissus du visage, en isolant les principaux nerfs moteurs et sensitifs et les vaisseaux artériels et veineux, ainsi que des tissus sentinelles ; puis ces tissus étaient transportés dans un mélange d’eau et de glace.
Des lambeaux sentinelles.
Une seconde équipe préparait le visage du receveur puis greffait les nouveaux tissus, paupières, nez, lèvres, joues et menton compris, en reconnectant de chaque coté des nerfs sensitifs et moteurs et simplement une veine et une artère. Cette intervention durait entre 14 et 19 heures. Une troisième équipe greffait des lambeaux de peau sentinelles.
Tous les patients recevaient une immunosuppression ajustée au fil du temps, et le rejet de greffe était surveillé régulièrement par des biopsies cutanées des allogreffes sentinelles et faciales.
Ils recevaient en outre une prophylaxie antibactérienne et antifongique périopératoire, et une trachéotomie retirée dans les 3 mois.
Les principales complications au cours du suivi de six mois - une infection chez les 3 patients et un épisode de rejet de greffe chez le deuxième et le troisième patient - ont été traitées avec succès.
L’immunosuppression a pu être réduite à une bithérapie par mycophénolate mofétil et tacrolimus, de façon à minimiser les effets secondaires.
Fonction motrice.
Les trois patients vont bien. Bien qu’ils présentent un nouveau visage (quelque part entre leur visage original et celui du donneur car les tissus s’adaptent à la morphologie osseuse du receveur), les patients restent facilement identifiables par leur parole et leur langage corporel. Tous ont retrouvé une certaine sensibilité du visage, et le premier patient a récupéré la fonction motrice du côté droit tandis que le deuxième patient est capable de bouger ses lèvres. Seule la troisième patiente n’a pas encore récupéré de fonction motrice.
« En dépit de complications importantes et du suivi à court terme, cette étude vient étayer l’idée selon laquelle la greffe totale du visage est capable de restaurer des déficits majeurs, en utilisant une immunosuppression conventionnelle avec retrait précoce des corticoïdes », concluent les chercheurs.
« Les patients vont bien, il n’y a pas eu de complications au cours des derniers mois. Ils devront rester sous immunosuppresseurs à vie, mais il semble que de très faibles dosages sont suffisants pour prévenir le rejet. L’un de nos patients n’a jamais présenté de rejet », précise au « Quotidien » le Dr Bohdam Pomahac. « La première greffe de visage française a vraiment ouvert la voie. Sans ce superbe travail et cette préparation méticuleuse, nous ne serions peut-être pas la ou nous en sommes maintenant », souligne-t-il. « Nous projetons de réaliser d’autres greffes du visage, et nous avons plusieurs patients inscrits et en attente de donneur, ou dans les étapes finales de préparation », confie-t-il.
Pomahac et coll. New England Journal of Medicine, 23 février 2012.
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