En 2019, les armes sublétales (LBD 40, grenades de désencerclement…) ont causé 15 blessures. Elles étaient 25 en 2018, contre seulement 3 en 2017 et 2016. « Depuis l’introduction des armes sublétales dans les années 1990, on voyait bien quelques rares patients, mais ce nombre a explosé », depuis le début du mouvement des « Gilets Jaunes », explique le Pr Bahram Bodaghi, chef du service d’ophtalmologie de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (AP-HP) à Paris.
Dans une correspondance publiée dans « The Lancet », 18 ophtalmologues français font le bilan du nombre et de la gravité de ces blessures (1). Entre février 2016 et août 2019, 43 cas (38 hommes et 5 femmes) ont été identifiés, dont 25 plaies ouvertes et 18 traumatismes à globe fermé. Les localisations des lésions non pénétrantes étaient les suivantes : hématomes sous-rétiniens (10 cas), hyphéma (10 cas), iridodialyses traumatiques (3 cas), dislocation partielle d’un cristallin (1 cas) et cataracte (2 cas). Dans 25 cas, la lésion oculaire se doublait d’une fracture de plancher orbitaire, et dans 12 cas, il y avait également une fracture de la face. Enfin, une lésion cérébrale était observée chez 2 patients.
Un premier recensement
Pour le Pr Bodaghi, un registre recensant ce genre de blessures serait le bienvenu. « Je ne sais pas si notre propre recensement est exhaustif, mais nos chiffres sont proches de ceux qui circulent dans la presse », estime-t-il. C’est la première fois que des médecins français procèdent à un tel inventaire. Le Pr Bodaghi et ses collègues se sont adressés à tous les grands CHU de France pour leur demander un recensement rétrospectif et une description des cas. Après une première description remise au « Lancet » en avril, la prestigieuse revue avait demandé une mise à jour des données. C’est cette dernière, couvrant une période de février 2016 à août 2019, qui a été publiée samedi 2 novembre.
Ces blessures, « rappellent celles observées chez les gens atteints par un tir de balle de golf, explique le Pr Bodaghi. Ce qui est particulier, en revanche, c’est qu’un grand nombre de patients est arrivé en ne percevant plus aucune lumière ou avec une acuité inférieure à 2 sur 10. Dans ces cas-là, les chances de récupération sont minimes. »
Neuf énucléations
Une opération chirurgicale a dû être réalisée dans la majorité des cas (30 cas sur 43), dont 9 énucléations. En cas de plaies ouvertes, « la chirurgie est très délicate, surtout quand la plaie est associée à des fractures du plancher de l’orbite ou à une fracture du massif facial, explique le Pr Bodaghi. Elle demande une coopération entre plusieurs spécialités : ophtalmologiste, chirurgien maxillo-facial et parfois un neurochirurgien. »
Ces données sont à rapprocher de l’article publié en août dernier dans lequel les membres du service de chirurgie maxillo-faciale de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, décrivaient les problématiques liées à la prise en charge des traumatismes de la face causés par les lanceurs de balles de défense (2). Ils y estimaient qu’un CT scan est systématiquement nécessaire pour évaluer l’étendue des lésions, et qu’une chirurgie est souvent nécessaire pour améliorer le pronostic de récupération de l’acuité visuelle et/ou le rendu esthétique. Ils préconisaient en outre un suivi à long terme pour prévenir le risque de séquelles.
En janvier dernier, des médecins et urgentistes questionnés par « Le Quotidien », signalaient des impacts évoquant « les chocs subis lors d’une activité sportive ». Les blessures les plus délabrantes concernant l’orbite, avec une possible perte du globe oculaire.
Appel renouvelé pour un moratoire
Entendus ce jeudi 9 novembre par la commission du ministère de l’Intérieur chargée d’analyser et de redéfinir les doctrines de maintien de l’ordre, le Pr Bodaghi, le Pr Gaudric et leurs collègues ophtalmologistes hospitalo-universitaires ont de nouveau préconisé la mise en place d’un moratoire sur l’utilisation des armes sublétales lors des manifestations.
La démarche ne se veut pas politique mais médicale et humaniste. « La décision de maintenir ou non la place des armes sublétales dans l’arsenal des forces de l’ordre ne nous appartient pas, précise-t-il, mais nous avons un rôle en tant que lanceur d’alerte. Nous devons prévenir les pouvoirs publics de l’augmentation du nombre de blessures ». En mars dernier, des ophtalmologues avaient écrit au président de la République pour demander la mise en place d’un moratoire, en réaction à une « épidémie de blessures gravissimes ».
(1) A. Chauvin et al, The Lancet, 394, 1616, 2019
(2) R. Lartizien et al, The Lancet, 394, 469, 2019
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