« Il va casser le brancard ! », « Il n’a pas mangé son repas ? Ce n’est pas grave, il a de la réserve ». Lors de leur passage à l'hôpital, il n'est pas rare que les patients obèses entendent ce genre de phrase. Elles témoignent d'un état d'esprit : pour certains membres du personnel soignant, l'obésité est un problème de volonté avant d'être une pathologie.
Or « la stigmatisation affecte directement le rapport au patient et, in fine, ses capacités d'accès au soin, note le Pr François Patou, chef du service de chirurgie générale et endocrinienne du CHRU de Lille. Si on prend l'exemple de la cancérologie, les patients obèses cumulent un surcroît de facteurs de risque et un diagnostic plus tardif, soit parce que les services de radiologie ne sont pas adaptés, soit parce que ces patients sont réticents à consulter ».
Le Pr Jean-Michel Oppert dirige le service de nutrition de l'hôpital de la Pitié Salpêtrière (AP-HP). S'il observe que « les obèses sont mieux accueillis qu'avant dans les structures de soins », il mesure le chemin qu'il reste à parcourir : « des études montrent que les attitudes de rejet des étudiants en médecine ont tendance à augmenter au cours de leur cursus », rappelle-t-il.
L'obésité a de multiples causes, pas toujours liées aux comportements. Les données de l'étude française Esteban indiquent ainsi une surreprésentation d'un IMC supérieur à 30 chez les adultes ayant un niveau d'étude inférieur au baccalauréat : 21,1 % des hommes et 25,2 % des femmes les moins diplômés. Plusieurs études ont en outre mis en évidence l'importance du contexte familial et génétique, sans oublier les obésités induites par l’état dépressif, la prise de médicaments (anxiolytiques, antiépileptiques, antidiabétiques…) ou des pathologies comme l'hypothyroïdie. « Il y a en France une double injustice de l'obésité, ajoute le Pr Pattou. Si la prévalence de l’obésité en général est stable, elle continue d'augmenter chez les populations les plus défavorisées. » Et le département du Nord dans lequel le professeur exerce est de loin le plus touché de France (25,6 % de la population y est obèse), devant la Meurthe-et-Moselle (22,9 %).
Un mètre de tour de taille et 25 kg de plus
Pour désamorcer les préjugés, les centres de simulation en santé de Rouen (Medical training center de Rouen) et de Lille (plate forme PRESAGE) plongent les soignants en situation d’obésité en leur faisant revêtir un équipement qui augmente leur corpulence le temps d'une journée. À Lille, les stagiaires enfilent d'abord un tablier et des jambières plombés, puis une combinaison en mousse. Ils gagnent en quelques secondes un mètre de tour de taille et 25 kg, pour un IMC temporaire supérieur à 35. À Rouen, la mutation est encore plus radicale, avec une tenue plus volumineuse et lourde.
« Les patients obèses se déplacent peu et souffrent d'une importante fonte musculaire qui se conjugue au surpoids pour rendre tout déplacement encore plus difficile », explique le Pr François Pattou, à l'origine de la formation lilloise. C'est ce sentiment général d'impuissance que découvrent les stagiaires. De fait, les élèves sont mis dans des situations classiques de consultation de médecine générale ou de séance de préparation à un acte chirurgical. Ils comprennent la gageure que représente le simple fait d'enfiler un pantalon, de monter sur une balance sans gêner la lecture des résultats ou d'aller au bloc à pied sans craquer les blouses qu'on leur propose.
La journée est une alternance de cours théoriques - rappels généraux sur les types d'obésité et sur les causes possibles - et de jeux de rôle. Au cours de ces derniers, les stagiaires endossent à tour de rôle la combinaison du malade ou la blouse du soignant. Chaque séquence est filmée et analysée par les accompagnateurs, qui soulignent les maladresses à éviter.
Une approche fondée sur l'empathie
Ce type d'initiative est récent. Le CHU de Rouen a mis sa formation en place en 2015, et celle de Lille n'a pour l'instant connu que 2 séances en 2018, destinées aux aides-soignants, aux infirmiers et aux étudiants en médecine. Il est envisagé d'inclure cette journée de formation au cursus de tous les internes passant par le service de chirurgie de l'obésité du CHRU de Lille.
À la Pitié Salpêtrière, des groupes de travail ont été organisés avec des étudiants en médecine et des représentants de patients obèses. La présidente du Collectif National des Associations d'Obèses, Anne-Sophie Joly, y explique aux soignants la manière de se comporter : « ils ne savent pas comment s'y prendre alors que c'est tout simple : il suffit d'être naturel, de regarder le patient dans les yeux, et de prendre le temps de l'empathie ».
Ces formations basées sur l'empathie portent-elles ses fruits ? Les stagiaires croisés à Lille estiment en tout cas que l'expérience leur a ouvert les yeux. « Je comprends mieux leur gène, et pourquoi ils sont si essoufflés quand ils tentent de nous suivre dans les couloirs », reconnaît Salima, aide soignante dans un service d'endocrinologie. Pour le Pr Pattou, l'intérêt de cette approche ne fait pas de doute : « Dans notre service, cela fait des années que nous faisons de gros efforts pour que les patients se sentent acceptés, avec l'installation d'une salle de sport, d'une salle de jeu et d'une cuisine. Résultat : notre taux de suivi de bonne qualité après une chirurgie bariatrique est de 80 % alors qu'il est de 14 % à 5 ans dans le reste de la France ».
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