LE QUOTIDIEN : Une nouvelle version du Nutri-Score devait entrer en vigueur en France le 1er janvier 2024. En quoi consiste cette évolution du logo nutritionnel ?
Pr SERGE HERCBERG : La mise à jour du Nutri-Score était prévue dès sa création pour prendre en compte les avancées scientifiques et les reformulations des produits par les industriels. Après quelques années d’usage, l’enjeu était aussi de corriger certaines imperfections. Cette mise à jour a été conduite par un groupe d’experts indépendants sans lien d’intérêt.
Les modifications proposées pour améliorer les performances du Nutri-Score visent à pénaliser plus fortement les produits trop sucrés, trop salés et trop gras. C’est le cas des céréales du petit-déjeuner, de certains yaourts, de plats composés comme les pizzas ou de boissons contenant des édulcorants, dont les notes sont dégradées. Des produits sont en revanche mieux classés : les huiles d’olive et de colza et certains fromages à pâte dure qui contiennent moins de gras et de sel.
La mise en application du nouveau Nutri-Score est suspendue à la publication d’un arrêté. Si les ministres Catherine Vautrin (Travail, Santé, Solidarités, Famille) et Yannick Neuder (Santé, Accès aux soins) l’ont signé, la ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, s’y refuse. Comment analysez-vous sa position ?
La décision de la ministre de l’Agriculture suit la ligne des lobbies, capables par leur proximité avec le ministère de bloquer la mise en place d’une mesure de santé publique. Jusqu’à présent, le ministère n’assumait pas l’obstruction et invoquait un retard. C’est désormais assumé, le blocage est purement politique. Ce n’est pas la prise en considération d’éléments scientifiques qui justifie sa décision. Au contraire, elle se positionne clairement comme la défenseure de lobbies actifs contre le Nutri-Score.
Partout où le Nutri-Score est adopté, les industriels essaient d’interférer. Dans les six autres pays où l’outil est en place (Belgique, Allemagne, Luxembourg, Pays Bas, Espagne et Suisse), la nouvelle version a été introduite à la date prévue, le 1er janvier 2024. C’est donc en France, pays où il a été développé et le premier à le mettre en place, que la puissance des lobbies réussit à influer.
Comme aux États-Unis où s’installe un mouvement anti-science, nous nous retrouvons dans une situation où le politique méprise la science et nie la santé publique, au profit des seuls intérêts économiques. Il reste à espérer que les voix de Catherine Vautrin et de Yannick Neuder porteront dans les arbitrages interministériels.
Huit ans après son lancement, où en est-on dans le déploiement du Nutri-Score ?
Lors de son adoption en 2017, seules six marques avaient fait le choix d’apposer le Nutri-Score sur leurs emballages. Aujourd’hui, plus de 1 450 marques l’ont adopté, ce qui représente 62 % des produits alimentaires vendus en France. Cela démontre que des industriels ont compris la demande des consommateurs et des professionnels de santé.
Mais de grands acteurs refusent toujours cette transparence. À l’aide de fake news, véhiculées malheureusement par la ministre de l’Agriculture, ils essaient de faire croire que le logo pénalise les produits du terroir. C’est absolument faux. Le Nutri-Score ne fait que rappeler que les fromages et les charcuteries doivent être consommés en quantité modérée et raisonnable.
De plus, l’image du petit éleveur fabricant de roquefort est un mythe : 80 % de la production commercialisée de ce fromage appartient à des grands groupes comme Lactalis. L’opposition au Nutri-Score vient bien de grands acteurs. Danone a retiré le logo de ses produits, car la nouvelle version pénalise certains de ses produits laitiers comme Actimel et Activia, qui contiennent plus de sucre que les sodas, malgré leurs allégations en faveur de la santé.
Que sait-on des retombées du Nutri-Score et de sa perception par la population ?
Aujourd’hui, plus de 150 études démontrent l’intérêt du logo nutritionnel, y compris dans sa nouvelle version. Parmi les travaux les plus récents, une étude de modélisation de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), publiée en 2024, montre qu’une application du Nutri-Score dans l’ensemble des 27 États membres de l’UE permettrait d’éviter près de 2 millions de cas de maladies non transmissibles d’ici à 2050. L’application en Europe de cette mesure simple, qui ne coûte rien, permettrait aussi de réduire les dépenses de santé du continent tout en améliorant la productivité.
Le Nutri-Score est aussi un outil bien compris et bien utilisé par les consommateurs. Selon Santé publique France, plus de 90 % des Français le soutiennent et souhaiteraient qu’il soit obligatoire. Et 57 % ont déjà modifié leurs comportements d’achat du fait du logo. Le Nutri-Score ne règle pas tous les problèmes liés à la nutrition, mais il contribue à améliorer la qualité des produits consommés et à réduire un certain nombre de risques.
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