PAR EMMANUEL BARBEAU*
LA TAXINOMIE actuelle distingue cinq grands systèmes : la mémoire procédurale, la mémoire des représentations perceptives, la mémoire de travail, la mémoire sémantique et la mémoire épisodique. Ces systèmes sont dits anatomo-fonctionnels dans le sens où ils sont organisés de manière relativement indépendante fonctionnellement et dans l’espace cérébral. Par exemple, la mémoire sémantique et la mémoire épisodique dépendent principalement des structures temporales internes. Des lésions isolées de ces structures entraîneront des troubles de ces mémoires sans affecter les autres. Dans le cadre de la maladie d’Alzheimer, il est particulièrement important de comprendre quel système mnésique est altéré afin de guider correctement le diagnostic.
La mémoire épisodique fait référence aux événements vécus personnellement par le sujet, précisément situés dans le temps et dans l’espace. Par exemple, se souvenir ce qu’on a fait le soir de Noël avec suffisamment de détails, en ayant l’impression de revivre cet événement, fait appel à la mémoire épisodique. On peut ainsi demander au patient ce qu’il a mangé la veille ou ce qu’il a fait le week-end précédent. Il s’agit d’une mémoire strictement personnelle dans son essence. La mémoire sémantique, quant à elle, fait référence au savoir général sur le monde, sur les objets et sur les personnes, comme par exemple savoir ce que sont devenus les Jackson Five ou les Spice Girls, quels ont été les présidents de la cinquième république, à quoi sert une girouette, quel est le plus long mot de la langue française, etc. Au contraire de la mémoire épisodique, la mémoire sémantique est partagée au sein d’une même communauté. Elle est culturelle.
La mémoire épisodique n’est pas la seule touchée.
Pendant longtemps, on a pensé que seule la mémoire épisodique était altérée dans la maladie d’Alzheimer, et cela précocement. La mémoire épisodique dépend de l’hippocampe et d’un circuit étendu qui passe par le diencéphale et le cortex cingulaire postérieur (circuit de Papez hippocampo-mamillo-thalamo-cingulaire). Comme les dégénérescences neurofibrillaires qui entraînent les troubles cognitifs dans la maladie d’Alzheimer prédominent dans l’hippocampe, cette interprétation faisait sens.
Néanmoins, un nombre important d’études (plusieurs dizaines maintenant) ont rapporté de manière très reproductible des troubles de la mémoire sémantique dans la maladie d’Alzheimer, y compris au stade prédémentiel (stade des troubles cognitifs légers, ou Mild Cognitive Impairment, MCI). Tous les domaines de la mémoire sémantique évalués jusqu’à présent, comme les connaissances culturelles (« Quel est le plus haut sommet d’Afrique ? »), les connaissances sur l’histoire et la géographie, sur les personnes célèbres et même sur les objets si on utilise des objets pas trop fréquents, sont déficitaires. Une étude récente de collègues de Saint-Etienne a même montré que la connaissance des nouveaux mots entrés dans le dictionnaire ces dernières années était moins bonne chez les patients au stade prédémentiel que chez des sujets témoins (1). Une étude de la cohorte PAQUID à Bordeaux suggère que ces difficultés sémantiques pourraient débuter au moins dix ans avant la démence (2). Bien-sûr, toutes ces études requièrent un appariement soigneux des patients et des sujets témoins en termes de niveau socio-culturel.
Les conséquences de ces troubles ne sont pas similaires.
Au total, les troubles de la mémoire dans la maladie d’Alzheimer au stade prédémentiel concernent la mémoire épisodique et la mémoire sémantique, et non uniquement la mémoire épisodique comme on le simplifie parfois. Lors du bilan, il peut donc être utile de faire passer des tests de la mémoire sémantique. Il en existe maintenant de nombreux en langue française qui sont assez simples à utiliser. Il est aussi facile de découper quelques photos de visages célèbres et de les garder dans son tiroir pour les sortir lors d’une suspicion de maladie d’Alzheimer.
Néanmoins, il est clair que les conséquences de ces troubles ne sont pas similaires. L’atteinte de la mémoire épisodique est invalidante. Ne pas se souvenir où on a garé sa voiture, si on a pris ses médicaments ou pas, qu’on a un rendez-vous avec l’ophtalmologiste, a des conséquences concrètes dans la vie quotidienne. A l’inverse, avoir oublié que le Kilimandjaro est le plus haut sommet d’Afrique ou ce que sont devenus les Jackson Five n’a pas beaucoup d’importance et peut facilement être caché à son entourage.
*Neuropsychologue, chercheur au Centre de recherche Cerveau et Cognition, université de Toulouse – CNRS.
(1) Thomas-Anterion C, Borg C, Basaglia-Pappas S, Laroche L, Minvielle B, Bedoin N. Connaissance des nouveaux mots de la langue française dans les troubles cognitifs légers de type amnésique et la maladie d’Alzheimer. Revue Neurologique (Paris) 2010;166:419-27.
(2) Amieva H, Le Goff M, Millet X, et al. Prodromal Alzheimer’s disease: successive emergence of the clinical symptoms. Ann Neuro 2008;64:492-8.
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