Par les Drs LUC TAILLANDIER (a), LUC BAUCHET (b), HUGUES DUFFAU (b) et JOHAN PALLUD (c).
JUSQU’À RÉCEMMENT l’interaction gliome-grossesse reposait majoritairement sur un « accident » : gliome découvert à l’occasion d’une grossesse ou grossesse imprévue chez une femme traitée pour un gliome. Les progrès, notamment pour les gliomes diffus de bas grade (GDBG), autorisent de plus en plus de couples à envisager une conception.
De récentes cohortes sont venues éclairer l’interaction entre hormones et gliomes.
Kabat GC et coll (1) évoquent l’imputabilité de l’âge tardif des premières règles d’après une enquête concernant l’alimentation (plus de 200 000 femmes ; 174 cas de gliomes ; suivi médian > 7 ans.
Michaud DS et coll (2), également au sein d’une enquête concernant l’alimentation, éliminent un lien entre facteurs hormonaux et gliomes (plus de 250 000 femmes ; 193 cas de gliomes ; suivi médian > 8 ans).
Benson VS et coll (3), s’appuyant sur le suivi de plus d’1 million de femmes (durée médiane > 5 ans) bénéficiant d’un traitement hormonal substitutif (1 266 tumeurs cérébrales dont 557 gliomes), éliminent sa responsabilité dans la genèse des tumeurs.
Quelques enquêtes cas/témoins sont également accessibles (4, 5, 6). Les seuls facteurs favorisants suggérés ont été un allaitement prolongé et un âge tardif des premières règles.
En ce qui concerne les interactions entre gliome et grossesse, de rares séries rapportent un nombre limité de cas. Il n’existe aucune donnée d’incidence (7, 8). Certains évoquent une interaction négative via l’augmentation de l’œdème et du rôle de la gestation (8, 9). Sont alors invoquées l’immunotolérance et les hormones impliquées (10), sans qu’aucune étude expérimentale ne valide ces hypothèses.
Aspects neuro-oncologiques : une étude rétrospective intergroupe.
Le peu de données accessibles nous a conduits à effectuer un travail au sein du réseau d’étude des gliomes (REG) puis collaboratif. Une première analyse de notre base de données GDBG a permis d’isoler, au sein d’une population de 443 femmes âgées de 18 à 50 ans, 8 cas de grossesse (11). Dans 3 cas, les femmes étaient entrées dans la maladie pendant la grossesse, dans les 5 autres, le gliome était connu. Une interaction négative a été observée dans 3 cas (épilepsie, pente), alors que dans 2 cas (radiothérapie préalable), la tumeur est demeurée stable.
Dans la seconde partie du travail (en collaboration avec la Société Française de Neuro Chirurgie et l’Association des Neuro-Oncologues d’Expression Française) nous avons, au sein de 17 centres, colligé 57 cas de grossesse (55 femmes). Dans 24 cas les gliomes étaient connus avant la grossesse (groupe A) et dans 33 cas les femmes sont entrées dans la maladie pendant (groupe B). Pour le groupe A, une majorité de GDBG a été observée (17 contre 7 hauts grades). L’âge médian au diagnostic de gliome était de 26,5 ans. Le délai diagnostique médian de gliome/grossesse était de 21,3 mois. Avant de débuter la grossesse, deux patientes n’avaient bénéficié que d’une surveillance, neuf d’un seul traitement (chirurgie dans 8 cas), sept de deux traitements et six de trois traitements. Au moment de la conception, vingt et une étaient dans une phase de surveillance, deux venaient de terminer une radiothérapie et une patiente terminait une chimiothérapie. Dans 15 cas, l’épilepsie était contrôlée. Une augmentation des crises a été observée dans 7/18 cas, des signes d’hypertension intracrânienne (HTIC) dans 1 cas sur 18 et un déficit neurologique dans 1 cas sur 18. Aucune patiente n’a été opérée. Le terme médian de l’accouchement a été de 38 semaines. Il s’est fait par césarienne dans 55 % des cas (pas de complication obstétricale ou pédiatrique). Quarante pour cent des femmes ont bénéficié d’un traitement oncologique dans les 6 mois suivant l’accouchement. Nous avons pu suivre l’évolution volumique longitudinale dans 17 cas de GDBG (11) et avons observé un doublement ou plus de taux de croissance radiologique (évolution dans le temps du diamètre tumoral moyen) avec un retour aux valeurs d’avant la grossesse dans le post-partum. Pour le groupe B, la répartition s’est révélée équilibrée (15 GDBG et 17 hauts grades). L’âge médian au moment de la grossesse était de 29,5 ans. Dans 20 cas, la tumeur a été découverte suite à la survenue de crises épileptiques alors qu’un tableau d’hypertension intracrânienne a été observé dans 8 cas. La tumeur a été découverte lors du premier trimestre (T1) dans 7 cas, du T2 dans 7 cas, du T3 dans 12 cas et dans le post-partum immédiat dans 6 cas. Cinq patientes ont été opérées pendant la grossesse. L’accouchement a eu lieu à un terme médian de 40 semaines et il y a eu 50 % de césariennes, sans complications obstétricales ni pédiatriques.
La collecte via le recensement national des tumeurs se poursuit et des recherches sur les causes de l’interaction sont en cours.
Du point de vue obstétrical.
La règle a longtemps été de proposer une césarienne en début de troisième trimestre (maturité pulmonaire) suivie d’un geste chirurgical (8). Actuellement, des attitudes moins systématiques sont suggérées avec accouchement déclenché par voie basse dès la maturité fœtale (10, 12, 13) suivi d’une intervention réglée pour la tumeur, voire d’une intervention et même d’une irradiation pendant la grossesse (14, 15). Les césariennes demeurent indiquées pour les HTIC non contrôlées (16).
(a) Unité de neuro-oncologie, CHU de Nancy.
(b) Département de neurochirurgie, CHU de Montpellier et Recensement National des Tumeurs Primitives du Système Nerveux Central.
(c) Département de neurochirurgie, hôpital Sainte-Anne, Paris.
(1) Kabat GC, et coll. Reproductive factors and exogenous hormone use and risk of adult glioma in women in the NIH-AARP Diet and Health Study. Int J Cancer 2011;128:944-50.
(2) Michaud DS, et coll. Reproductive factors and exogenous hormone use in relation to risk of glioma and meningioma in a large European cohort study. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev. 2010;19:2562-69.
(3) Benson VS, et coll. Million Women Study Collaborators. Hormone replacement therapy and incidence of central nervous system tumours in the Million Women Study. Int J Cancer. 2010;127:1692-98.
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(7) Isla A et coll. Brain tumor and pregnancy. Obstet Gynecol 1997;89:19-23
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(10) Depret-Mosser S, et coll. Cerebral tumors and pregnancy. Apropos of 8 cases. J Gynecol Obstet Biol Reprod 1993;22:71-80.
(11) Pallud J, Duffau H, Razak RA, Barbarino-Monnier P, Capelle L, Fontaine D, Frenay M, Guillet-May F, Mandonnet E, Taillandier L. Influence of pregnancy in the behavior of diffuse gliomas: clinical cases of a French glioma study group. J Neurol. 2009;256:2014-20.
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