« De tout temps, l’homme a cherché à améliorer ses capacités cognitives », a déclaré Jean-Claude Ameisen, de sa voix venue du haut des épaules de Darwin, lors de la présentation le 12 février du dernier avis du CCNE. Licite (café) ou illicites (drogues), parfois recommandé (sommeil), certains outils pour modifier nos fonctionnements psychoaffectifs et cognitifs sont à la portée de tous. D’autres ne cessent de gagner en sophistication : les médicaments détournés de leur indication thérapeutique (anxiolytiques, antidépresseurs, inhibiteurs de la cholinestérase et stimulants cognitifs) et la stimulation cérébrale transcrânienne, non invasive ou invasive.
Sous l’impulsion des neurosciences et du développement des NBIC*, on assiste aujourd’hui à un changement d’échelle. La neuro-amélioration, initialement circonscrite aux états pathologiques, tombe dans les mains du tout-venant : l’étudiant qui souhaite doper sa mémoire, le voyageur qui lutte contre un jet-lag...« Culte de la performance, engouement médiatique, enjeux financiers considérables », ce phénomène a de beaux jours devant lui, estime le CCNE.
Changement de normes
Pourtant, le rapport bénéfices-risques à court et long terme est méconnu, les études épidémiologiques sont difficiles à mener, et le risque d’addiction semble probable. Plus profondément, la neuro-amélioration soulève des questions sociales, philosophiques et éthiques cruciales.
D’abord, elle participe à brouiller les frontières entre le normal et le pathologique. Où poser la limite entre la restauration de la santé, et l’augmentation de certaines fonctions ? N’y-a-t-il pas à l’horizon la création de nouveaux manques ?
Dans quelle mesure le sujet est-il autonome lorsqu’il recourt à la neuro-amélioration ? Il peut y avoir coercition implicite, nourrie par la compétition scolaire et la pression du marché, ou explicite, lorsque des parents donnent du méthylphénidate à leurs enfants en dehors de toute indication thérapeutique, ou dans les milieux de la sécurité et de la justice.
En terme de projet de société, la neuro-amélioration met à mal l’égalité sociale. « Le risque est grand d’aboutir à une classe sociale "améliorée" constituée d’une petite minorité d’individus bien informés et disposant des ressources financières suffisantes pour y accéder », écrit le Comité. L’écart entre riches et pauvres « non augmentés » n’en serait que creusé. À l’échelle nationale ou mondiale, le risque de distorsion des priorités de santé s’aggraverait dans un contexte de pénurie des ressources, les recherches sur la neuroamélioration menaçant le développement de moyens basiques (nutrition, activité physique, éducation). « Il doit y avoir coexistence entre la recherche sur les neurosciences, qui ouvrent des espaces inconnus et celle sur le handicap », tempère Jean-Claude Ameisen.
La médecine interpellée
Les médecins ne peuvent se détourner de ces problématiques encore émergentes, qui font l’objet de guide de bonne pratique dans certains pays. « C’est la conception même de la médecine qui est mise en cause », juge plus le CCNE, distinguant une mission préventive et curative, d’une action sur le bien-être. « Il est indispensable que tous, notamment le corps médical, soit informé des enjeux de la neuro-amélioration biomédicale. Le rapport bénéfice/risque à long terme du recours, chez la personne non malade, aux
techniques biomédicales en vue de neuro-amélioration est totalement inconnu mais l’exemple des
amphétamines suggère un risque probable d’addiction. Ce constat d’ignorance et ce risque potentiel
méritent une attention particulière des institutions comme l’école et l’université et incitent à être
réservés vis-à-vis du recours à ces techniques et à en déconseiller fortement l’utilisation chez
l’enfant, l’adolescent et les personnes vulnérables » conclut la rapporteur Marie-Germaine Bousser.
*NBIC : nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives.
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