Faut-il, comme l’a fait le voisin français en août 2018, dérembourser les médicaments anti-Alzheimer ? La Belgique a décidé de se poser sérieusement la question et pourrait, à son tour, franchir le pas. Le Comité de l’assurance de l’Inami − la Sécurité sociale belge − qui réunit représentants de médecins et mutuelles, le suggère avec insistance, proposant de rendre effectif ce déremboursement en juillet 2020. Deux médicaments sont ciblés : les inhibiteurs de cholinestérase et la mémantine.
Cinq millions d’euros par an
Poids lourd dans ce débat, la Mutualité chrétienne (première mutuelle du pays avec 4,5 millions de membres, pour 11,4 millions de Belges) a marqué des points mi-octobre, en rendant publique une étude abondement relayée par la presse nationale. Elle y explique que, sur les 103 801 de ses membres concernés par la démence, près d’un sur cinq s’est vu prescrire, en 2018, des médicaments anti-Alzheimer, dont 64 % de manière continue. Et la mutuelle de chiffrer le coût global de ces traitements : 5 millions d’euros annuels pour l’assurance obligatoire et 1 million pour les patients.
Or, rappelle-t-elle, citant les conclusions du Centre belge d’information pharmacothérapeutique, une association indépendante : « Il n’y a pas d’arguments en faveur d’un effet neuroprotecteur ou préventif sur le développement de la maladie » et « rien ne permet de montrer qu’ils améliorent la qualité de vie des patients ni qu’ils retardent le placement dans une institution spécialisée ». Un constat proche de l’avis émis en 2016, en France, par la Haute Autorité de santé (HAS) qui évoquait alors « un intérêt médical insuffisant pour justifier leur prise en charge », et même des « effets indésirables potentiellement graves ». Pour la Mutualité chrétienne, qui recommande un arrêt « partiel » (les patients actuellement sous traitement continueraient d'être remboursés), les économies réalisées permettraient d’investir davantage de moyens dans l'accompagnement des patients et de leurs proches.
Des oppositions chez les professionnels
Reste que les médicaments anti-Alzheimer ont leurs partisans. Chez les professionnels, d’abord. Dans une tribune parue dans le grand quotidien Le Soir, une quarantaine de médecins et de spécialistes dénoncent une mesure purement budgétaire et défendent « les effets bénéfiques des inhibiteurs de la cholinestérase », validés par « de nombreuses études cliniques ». Chez les associations, ensuite. Comme la Ligue Alzheimer, qui monte au créneau : « Un tiers des personnes prenant ces médicaments rapportent un soulagement des symptômes, tandis qu’un autre tiers ressent une amélioration réelle, au moins à court terme », argue sa présidente, Sabine Henry.
Philippe Meeûs, président d’Alzheimer Belgique, défend lui aussi le remboursement de ces médicaments, tout en reconnaissant leurs limites : « Prescrits à des stades intermédiaires de la maladie pour des patients vivant à domicile, ils se montrent efficaces sur les problèmes de comportement et transitoirement sur le déclin cognitif. C’est à des stades plus avancés, et en particulier chez des personnes vivant en institution que leur efficacité est à discuter, d’autant que chez ces personnes plus vulnérables, les effets indésirables, tels que l’inappétence, les troubles digestifs ou la diminution du rythme cardiaque peuvent prendre le pas. »
Rupture du lien thérapeutique ?
Les associations pointent par ailleurs les effets pervers du déremboursement. « Il pourrait induire un suivi médical irrégulier des patients et de leurs aidants proches, et accentuer les inégalités entre les patients pouvant accéder financièrement aux traitements et les autres », explique Philippe Meeûs. Un argument que semblait valider, en février dernier, l’association France Alzheimer : dans une enquête menée fin 2018 auprès de 2 463 aidants et 84 malades, elle s’alertait d’une « rupture du lien thérapeutique », estimant que l’arrêt des traitements avait conduit 38 % des patients à ne plus consulter leur spécialiste.
En Belgique, environ 130 000 personnes sont aujourd’hui touchées par la maladie d’Alzheimer. Elles pourraient être, si la maladie progresse au même rythme, deux fois plus nombreuses en 2050.
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