La maladie rénale est encore méconnue du grand public, et pourtant elle coûte cher ! Selon la Cour des comptes, plus de 87 000 patients étaient traités pour insuffisance rénale chronique terminale en France en 2017 (dont 55 % par dialyse) pour un coût de prise en charge pour l’Assurance-maladie de plus de 4 milliards d’euros. Pour les spécialistes réunis ce 13 juin par l’Alliance pour la santé rénale, ces dépenses sont largement évitables en prévenant l’évolution de l’insuffisance rénale jusqu’au stade 5 d’une part et en développant l’activité de greffe d’autre part.
« Mais pour y parvenir, il faut un plan opérationnel destiné à sensibiliser le grand public », affirme Jean-Marc Charrel, président de France Rein, qui plaide pour « un parcours de soins solide et structuré, un dépistage organisé et un suivi efficace des personnes à risque. Lorsque la maladie arrive au stade 5, elle sort du silence, souvent dans le stress, la douleur et la précipitation. Il faut mieux anticiper pour que les patients puissent choisir leur traitement de suppléance. »
Les acteurs qui réclament de longue date un plan maladie rénale chronique disposent désormais de solides arguments médico-économiques. « Un programme optimisé de la maladie rénale chronique pourrait faire économiser de l’ordre de 720 millions d’euros avec un investissement initial de 340 millions d’euros, chiffre Jean-Marc Charrel. Ce sont des chiffres qui parlent aux politiques ! »
Prévenir l’évolution jusqu’au stade 5
La prise en charge de la maladie rénale chronique (MRC) a en effet bien changé ces deux dernières décennies. « Jusqu’à présent, les différentes composantes du parcours étaient considérées séparément et ne se parlaient pas, se souvient Jean-Marc Charrel. Le forfait MRC crée en 2019, le premier jamais déployé pour la prise en charge d’une maladie chronique, a été une grande avancée à ce niveau-là. » Du point de vue clinique, le Pr François Vrtovsnik, du service Néphrologie, hémodialyse de l’hôpital Bichat-Claude Bernard, a été le témoin d’une vraie révolution. « Il y a 20 ans, la MRC était rare et de très mauvais pronostic, se souvient-il. C’est devenu un véritable enjeu de santé publique de parvenir à dépister tôt pour éviter d’arriver à la phase avancée. Surtout avec un test qui ne coûte que 7,50 euros. »
Le dépistage des maladies rénales chroniques est devenu un véritable enjeu de santé publique
Pr François Vrtovsnik, hôpital Bichat-Claude Bernard (AP-HP)
Le Dr Olivier Obrecht, responsable du département des patients atteints de pathologies chroniques à la Cnam, met toutefois en garde contre le coût d’une telle opération. « Si on prend tous les patients à risque, c’est déjà 11 millions de personnes. Multiplié par 7 euros ce n’est pas l’épaisseur du trait !, calcule-t-il. Avec la transition démographique, la population concernée va encore augmenter. » Il reconnaît cependant qu’il y a des efforts à faire dans le suivi des patients afin de prévenir de coûteuses aggravations. « Seulement 60 % des patients atteints de MRC font un examen tous les ans, si on élargit à tous les patients atteints de pathologies chroniques, ça fait un peu plus de 28 % », ajoute-t-il.
Des coûts qui pourraient être compensés par la prévention. Selon une étude d’AstraZeneca en 2023, jusqu’à 12 milliards d’euros pourraient être économisés sur 10 ans grâce à un dépistage précoce et une prise en charge adaptée des patients à risque de MRC. En particulier, l’introduction des gliflozines chez ces patients offre de réelles chances de ralentir la progression de la pathologie. Le Pr Vrtovsnik préconise une extension du forfait MRC en amont. « On estime que davantage de patients devraient avoir accès de manière précoce à un traitement conservateur, avec accès à des soins de support », insiste-t-il.
Également partisane d’un plan dédié aux MRC, Agnès Firmin Le Bodo, députée de la 7e circonscription de la Seine-Maritime et ancienne ministre déléguée chargée de l'Organisation territoriale et des professions de santé, rappelle qu’il y a « également un enjeu majeur sur la recherche, la xénogreffe est quelque chose qu’il nous faudra regarder de près ». Autre bénéfice attendu d’un plan : la promotion de l’éducation thérapeutique. « Il y a quelques ateliers qui existent sur la dialyse, mais rien pour la greffe », constate Jean-Marc Charrel.
Les plans greffes successifs décevants
Pour l’heure, seule la greffe de rein est intégrée à un grand plan national : le plan greffe dont la cinquième itération est en cours (2022-2026). « Aucun de ces plans n’a atteint son objectif », a rappelé le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, le Dr Jean-Louis Touraine. La France accuse un retard par rapport à d'autres pays européens, avec seulement 44 % des patients atteints de maladie rénale chronique greffés, contre 56 % en Espagne ou 60 % en Europe du Nord. « Nous sommes désormais derrière l’Espagne qui a commencé à greffer des reins 20 ans après nous », s’insurge le Dr Touraine. Le plan greffe 2016-2021 visait 4 950 greffes, dont 1 000 de donneurs vivants, or seulement 3 251 greffes, dont 502 de donneurs vivants ont été réalisées en 2021. En 2023, on atteignait péniblement 3 525 greffes, dont 557 de donneurs vivants.
Une partie de l’explication réside dans la dégradation des pratiques en centres de dialyse, accusés de mises sous suppléance trop précoces et d’inscriptions sur liste d'attente trop tardives : selon la Haute Autorité de santé (HAS), moins de 50 % des patients de moins de 60 ans sont inscrits sur la liste d'attente un an après le début de leur dialyse. Au cours des différents débats de la journée, l’unanimité s’est dégagée autour des nécessaires changements du mode de financement des centres de dialyse et du conditionnement d’une partie de leur rémunération sur la pertinence et la qualité des soins. Même la directrice générale de l’offre des soins, Marie Daudé, se joint à l’appel, qualifiant de « très importante » cette réforme du financement de la dialyse.
« Dans les prochains plans greffe, il ne faudra plus partir des moyens actuels mais construire les moyens à partir des besoins des patients, résume le Dr Touraine. Il faut arrêter de se satisfaire de faire + 2 % par rapport à l’année dernière alors même qu’on fait moins bien qu’en 2017. Pour des dépenses minimes, quelques postes de néphrologues en plus, on ferait économiser un milliard à l’Assurance-maladie », affirme-t-il. Le Dr Touraine évoque le fait que certaines salles de greffes ne sont pas accessibles la nuit ou le dimanche, que des CHU ne disposent pas de garde en néphrologie. « Tout cela nous fait perdre des greffons, et j’ai l’impression qu’on s’y résigne », se désespère-t-il.
Les représentants de l’État défendent leur action
Présents lors de ces réquisitoires, le Dr Olivier Obrecht et la directrice générale de l’offre des soins, Marie Daudé, ont défendu l’action publique. « On est en train de construire un plan de communication nationale pour qu’il y ait une prise de conscience du risque après de la population, a indiqué le Dr Obrecht. On s’inspirera des campagnes “Know your number” déployées dans les pays anglo-saxons (1). Les transitions démographiques et épidémiologiques exposent à un risque majeur aux maladies chroniques dans les 10 à 15 ans qui viennent. »
« Il n’y a pas de plan MRC, mais cela ne nous empêche pas de poser des briques pour renforcer la prise en charge des patients la plus précoce possible, ajoute pour sa part Marie Daudé. Le forfait MRC a amélioré le suivi des stades 4 et 5. Avec l’Agence de la biomédecine, nous sommes en train d’améliorer le recueil de données. Cela nous donnera des perspectives d’évolution du forfait. » Ces deux représentants des pouvoirs publics ont ajouté qu’ils travaillaient à favoriser la culture du don chez les professionnels de santé.
(1) Ces campagnes consistent à communiquer auprès du grand public et des personnes à risque sur les données chiffrées cibles de leur glycémie, poids ou encore pression artérielle.
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