Repérer et accompagner les patients qui pourraient être sensibles aux faux espoirs de traitements miracles est essentiel pour éviter d’éventuels renoncements aux soins, synonymes de pertes de chance. Pour aider les praticiens, une session du 17e Congrès de médecine générale s’est penchée sur la prévention des dérives sectaires.
Parce qu’ils sont en situation de fragilité et de vulnérabilité, les malades, et tout particulièrement les patients atteints de cancer, sont des cibles privilégiées pour les gourous et leurs faux espoirs de guérison. Si toutes les pratiques de soins non conventionnelles ne relèvent pas de dérives thérapeutiques voire sectaires, la frontière peut être ténue.
Une session du 17e Congrès de médecine générale le 22 mars a donné des clés pour repérer les premiers signes d’emprise et accompagner les patients atteints de cancer afin d’éviter qu’ils ne renoncent aux soins. La tentation de céder aux promesses des gourous prend de l’ampleur dans un contexte post-pandémique et de désertification médicale.
Selon le dernier rapport de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes), les signalements liés aux médecines dites alternatives ont bondi de 25 % entre 2020 et 2021 (date des dernières données disponibles). Sur les 4 020 saisines enregistrées en 2021 (+ 33 % par rapport à 2020 et + 86 % par rapport à 2015), 744 concernaient directement la santé. Et 70 % de ces dernières portaient sur des pratiques de soins non conventionnelles. Toujours selon la Miviludes, quatre Français sur 10 ont recours aux médecines dites complémentaires, dont 60 % parmi les malades du cancer.
Les signalements liés aux médecines dites alternatives ont bondi de 25 % entre 2020 et 2021
Plus de 400 pratiques non conventionnelles
Ostéopathie, naturopathie, reiki, chiropraxie… L’Organisation mondiale de la santé (OMS) recense plus de 400 pratiques non conventionnelles, classées dans quatre catégories : les méthodes à base de produits naturels (phytothérapie, aromathérapie), les techniques axées sur la manipulation (ostéopathie, chiropraxie), les thérapies « spirituelles » (hypnothérapie, méditation, sophrologie) et les approches appuyées sur des théories propres (acupuncture, homéopathie).
Certaines de ces activités peuvent apporter une amélioration de la qualité de vie des patients. Une fois le bénéfice démontré dans une indication, elles peuvent même intégrer un « panier » de soins de support en oncologie (lire page 12). Mais d’autres (produits miracles, régimes dangereux, coaching pseudoscientifique, etc.) peuvent constituer « une porte d’entrée vers une mise sous emprise », alerte Chantal Gatignol, conseillère santé de la Miviludes. « Dans 20 % des cas, on observe un passage de dérives thérapeutiques à sectaires ».
L’adhésion à des « fake news » marque aussi les prémices d’une bascule. Les fausses informations « visent à placer les pratiques alternatives au même niveau voire au-dessus de la médecine. C’est un premier pas vers la croyance et potentiellement vers l’abandon d’une prise en charge appuyée par une démonstration scientifique », analyse le Pr Claude Linassier, directeur du pôle Prévention de l’organisation et des parcours de soins à l’Institut national du cancer (Inca).
Des stages propices aux dérives
Les « stages » sont les plus propices aux dérives. Ces « retraites » permettent de développer un effet de groupe et un sentiment d’appartenance qui masquent un « processus d’emprise mentale, de captation financière et de prosélytisme agressif », décrit le journaliste Étienne Jacob, dans La France des gourous. Journal d’un infiltré (éditions du Rocher).
Ces stages monnayés sont l’occasion de créer « des états d’hypersubjectivité qui favorisent l’emprise », un « phénomène d’hypersyntonie », explique le Dr Pierre de Bremond d’Ars, généraliste et président du collectif No FakeMed. Cet « isolement » se traduit par une rupture avec l’environnement familial et/ou amical, « des éléments communs aux situations d’addiction et de violence », souligne-t-il. Il est « compliqué » de s’émanciper de ce carcan : « quand ils en sortent, ils n’ont plus rien », lâche-t-il.
Comment repérer alors un patient sensible aux promesses des gourous ? Plusieurs éléments doivent alerter : un questionnement, voire un dénigrement de la médecine ; une perte de discernement ; une forme de dépendance ; un détournement des traitements en faveur de « solutions alternatives miraculeuses » plébiscitées par le biais de croyances, liste Chantal Gatignol. Les « solutions » proposées sont souvent « onéreuses », précise-t-elle.
Le généraliste peut proposer des alternatives moins chargées de croyances
Dr Pierre de Bremond d’Ars, président du collectif No FakeMed
Pour éviter la captation, percevoir les premiers signes d’adhésion préjudiciable à une croyance est essentiel mais délicat. « Les patients informent rarement leur praticien qu’ils ont recours à des médecines alternatives », souligne le Pr Linassier. Aussi, la bascule peut-elle se faire « très vite ou très lentement », ajoute le Dr de Bremond d’Ars. En présence d’un patient vulnérable, il encourage à ouvrir le dialogue, sans jugement, avec une question simple : « utilisez-vous des médecines complémentaires ? ». Face à une réponse positive, le généraliste peut « proposer des alternatives moins chargées de croyances », poursuit-il.
Écouter sans juger
La meilleure lutte reste « l’esprit d’ouverture », abonde le Pr Ivan Krakowski, oncologue médical et ancien président de l’Association francophone des soins oncologiques de support (Afsos). Lui aussi incite à interroger le patient sur ses attentes, sans jugement ou stigmatisation, pour l’orienter vers des pratiques sans risque. Chantal Gatignol préconise une « écoute bienveillante », car les gourous y ont recours pour « mieux exploiter les failles » des patients.
La conseillère santé de la Miviludes invite à « réhabiliter les vérités scientifiques » et à « alerter sur la désinformation ». Mais, « face aux patients, le débunk ne s’est pas montré efficace », nuance le Dr de Bremond d’Ars. Il recommande plutôt de « ne pas faire la promotion de pratiques qui n’ont pas fait leurs preuves » pour ne pas alimenter l’équivalence entre médecine et pratiques non conventionnelles.
Pour faciliter le repérage, le ministère de la santé travaille à l’élaboration d’un « dérivomètre », qui, à l’image du violentomètre pour les violences faites aux femmes, place les différents signes de dérive sur une échelle graduée pour en évaluer la dangerosité. L’Ordre des masseurs-kinésithérapeutes propose aussi un tableau des techniques « illusoires ». Et pour accompagner les patients, le site américain « about herbs » liste un grand nombre de plantes et leurs interactions médicamenteuses. Une analyse similaire est disponible sur le site de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). Les praticiens peuvent orienter leurs patients vers le guide « Cancer info » de l’Inca qui alerte sur les risques associés aux « traitements miracles ». Un outil précieux pour maintenir le lien de soins.
Provocation à l’abandon de soins… bientôt un délit ?
Les débats autour du projet de loi (PJL) « visant à renforcer la lutte contre les dérives sectaires et à améliorer l’accompagnement des victimes » sont marqués par son article 4. Celui-ci instaure un délit de provocation à l’abandon ou à l’abstention de soins. Soutenu par l’Ordre des médecins et une grande partie de la profession, il n’a toutefois pas fait l’unanimité à l’Assemblée, qui a organisé une seconde délibération (permettant un amendement de rétablissement) mi-février pour finalement le faire adopter. Car, la veille, elle avait, après le Sénat, voté contre cet article 4.
« La santé est devenue un enjeu majeur dans la lutte contre les dérives sectaires », a martelé la secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, vantant la réécriture de l'article 4 « dans un esprit transpartisan » le 20 mars en nouvelle lecture. Cette version revue indique que le délit ne serait pas constitué « lorsqu'il est apporté la preuve du consentement libre et éclairé de la personne ». De même, des dispositions sur la protection des lanceurs d’alerte ont été ajoutées : « l’information signalée ou divulguée » par leurs soins ne constitue pas une « provocation » au sens de l'article 4.
Face à une opposition de LFI et du RN, qui lui opposait que la pneumologue Irène Frachon, qui avait révélé les effets secondaires du Mediator, serait menacée par cette mesure, la rapporteure du texte, Brigitte Liso (Renaissance), a recadré avec force. « Elle n'aurait à aucun moment été incriminée à cause de cet article 4 : Mme Frachon n'a jamais demandé à quelqu'un d'arrêter sa chimiothérapie et de la remplacer par du jus de carotte. »
Sous réserve de l’adoption définitive, ce nouveau délit sera passible d'un an d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende ; peines portées à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende si la provocation est suivie d'effet.