L’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) évalue en ce moment les services de santé au travail français. Son rapport, prévu fin décembre, devrait relancer les discussions autour d’une nouvelle réforme de la santé au travail. La dernière, en 2017, a changé l’organisation des médecins du travail et de leurs équipes. Entre soulagement et sentiment de nivellement par le bas, les médecins racontent son impact sur leur exercice.
Devant le manque de médecins et les besoins grandissants du monde du travail, la tendance est à la délégation et à la dérégulation. Dans le cadre de la loi Travail, le décret du 27 décembre 2016, en vigueur depuis le 1er janvier 2017, a réformé la médecine du travail en profondeur.
Pour les salariés nécessitant un suivi hors risque particulier, l’examen médical d’embauche a été remplacé par une visite d’information et de prévention. Une infirmière de santé au travail peut mener cet entretien simplifié. Les visites périodiques de ces salariés, auparavant fixées tous les deux ans, peuvent être, depuis 2017, espacées de cinq ans. Les salariés affectés à des postes à risques doivent effectuer un examen médical avant la prise de poste, puis un second quatre ans après. Le médecin peut déclarer une inaptitude après un seul examen, et non plus deux, mais avec obligation d’une étude de poste et fiche d’entreprise. De nouvelles règles du jeu diversement commentées par les acteurs.
« Cette réforme n’est pas parfaite mais nous donne un peu d’air. Elle nous a au moins permis de réaliser les visites dans les délais impartis. Nous observons depuis plusieurs années une forte augmentation des reprises et des avis d’inaptitude. Les anciens délais étaient impossibles à tenir et la surveillance de la santé des travailleurs en pâtissait », estime Dr Muriel Legent, médecin du travail au service de santé au travail interentreprises Médisis, à Beauvais.
La médecin se félicite de travailler de la dynamique à l'oeuvre désormais au sein de son équipe pluridisciplinaire composée d’assistantes de santé au travail, d’hygiénistes, d’ergonomes et d’infirmières. « Le travail en équipe, enrichissant, donne lieu a du travail rendu, utilisable par les employeurs ou les représentants du personnel pour une meilleure prévention. Je peux envoyer un ergonome et une infirmière faire de la cardiofréquencemétrie dans une entreprise où il y a du travail à la chaleur, alors qu’avant je ne l’aurais pas réalisé faute de temps. Même si cela exige une grande communication et demande à garder la main sur tout, on est davantage au courant des problématiques dans les entreprises ».
Un travail d’équipe à préparer
Tout le monde n'a pas une vision aussi positive. Selon d’autres praticiens, l’équipe pluridisciplinaire peut certes représenter un atout mais le flou qui entoure le rôle de l’infirmière suite à la réforme de 2017 menacerait le suivi des travailleurs. Pour le Dr Murielle Lucchesi, de l’association AMET à Champigny, « les infirmières peuvent se retrouver face à des situations où il est nécessaire de faire un diagnostic médical, ce qui n’est pas en adéquation avec leur formation initiale. La médecine du travail doit rester un lieu où les salariés peuvent exprimer leurs difficultés et leur vécu au travail à des professionnels qui peuvent s’occuper d’eux. Cocher un questionnaire ne me semble pas un progrès mais plutôt une régression. »
Après un essai de trois mois, Dr Lucchesi a décidé de se passer des services d’une infirmière : « Travailler avec une infirmière n’est pas simple car nous leur déléguons nos responsabilités, ce qui demande une relation de confiance. » Mêmes réticences concernant le rythme des visites périodiques ; elle le fixe tous les deux ou trois ans, bien que la réforme laisse la possibilité de les espacer davantage. « Tous les cinq ans, c’est trop long. Les travailleurs râlent et avec le turnover, ça ne sert à rien », observe-t-elle.
Un lien distendu avec le travailleur
L’avis du syndicat CFE-CGC Santé au travail rejoint celui du Dr Lucchesi. Sa présidente, le Dr Anne-Michèle Chartier, par ailleurs médecin du travail dans un service interentreprises, voit les visites périodiques tous les cinq ans comme une dégradation de la prévention et interroge la formation des infirmières du travail : « Suite à leur attribution de ces visites d’information et de prévention, les infirmières n’ont pas eu de formation supplémentaire ajoutée à leur socle de 150 heures fixé en 2011. Pour une réelle prévention et un rôle à part entière, les infirmiers doivent être mieux formés. »
Selon Dr Chartier, l’idée de la réforme 2017 d’impliquer davantage les infirmiers est pourtant bonne mais pour l’instant mal appliquée. « Une application minimaliste, loin d’être progressiste, est faite de la réforme dans un objectif de doublement des effectifs suivis par les médecins. Cette hausse de l’effectif distend le lien avec les entreprises », alerte-t-elle. Dans son service, les objectifs affichés sont passés de 3 000 travailleurs par binôme médecin-infirmier à 6 000.
Au sein des services autonomes, la réforme de 2017 a aussi eu un écho retentissant. Denis Viard, chef de la direction Santé Sécurité et Performance au Travail à EDF, le souligne : « Nous vivons actuellement une phase essentielle d’appropriation des nouveaux périmètres pour les infirmiers et les médecins. Nous avons proposé aux équipes médicales de travailler de manière collaborative sur leur organisation et leur communication interne », détaille-t-il.
EDF emploie 180 infirmiers, déjà présents avant la réforme, 40 assistantes médicales et 85 médecins du travail. Parmi eux, le Dr Pascale Cheval témoigne des défis de la réforme de 2017 : « La veille sanitaire impose une vision exhaustive des salariés et de leurs risques. Cette mission essentielle est aujourd’hui partagée et nous devons trouver des modes d’échanges et d’action pour la faire perdurer. »
Pour cela, elle a défini avec les membres de son équipe un protocole pour les visites effectuées par les infirmiers. Un document désigne aussi les missions de chacun et des réunions sont organisées régulièrement. « La réussite de cette nouvelle organisation passe par une équipe stable, bien formée, permettant la confiance nécessaire », ajoute-t-elle.
Cependant, même si elle a réussi à appliquer la réforme de manière fluide, le Dr Cheval redoute ses conséquences : « Cette réforme ne permet plus au médecin la proximité qu’il avait avec les salariés, ni une vision globale du fonctionnement d’un collectif de travail. On parle de plus en plus de la prévention des risques psychosociaux mais mon sentiment est que nous avons encore à investiguer pour garantir la proximité avec les salariés. » Faudra-t-il une énième réforme pour que tous les acteurs s'y retrouvent enfin ?
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