« De manière générale, les médecins consultent malheureusement très peu la médecine du travail. Et les oncologues ne font pas exception à la règle. C’est même certainement une des spécialités qui consulte le moins alors que la souffrance au travail peut y être particulièrement forte », indique le Pr Philippe Colombat qui a une certaine légitimité pour s’exprimer sur ce sujet. En effet, il a non seulement été chef du pôle de cancérologie urologie du CHRU de Tours, mais préside également l’Observatoire national de la qualité de vie au travail, installée en juillet 2018 par le ministère de la santé. « Cet observatoire a pour mission de produire des contributions opérationnelles permettant d’aider les professionnels à améliorer leur pratique en termes de qualité de vie au travail, tant à titre individuel que collectif. Il doit aussi rassembler toutes les connaissances sur le sujet, les partager et les diffuser largement, notamment par l’organisation d’un colloque annuel ».
Une discipline à risque
L’oncologie est une discipline à risque de souffrance au travail, notamment en raison de la proximité importante avec la mort. « Chez les infirmières et les aides-soignantes, il a été établi que le nombre de décès par mois était un facteur prédictif d’épuisement professionnel. Et même si je n’ai pas connaissance de travaux sur ce sujet concernant les médecins, il est évident que le fait de traiter au quotidien des maladies graves avec des décès fréquents fait de l’oncologie une discipline un peu à part », indique le Pr Colombat.
Mais cette proximité avec la mort n’est pas le seul facteur de souffrance au travail. « C'est aussi une spécialité où la charge de travail est considérable. Et ce qui est crucial, pour l’oncologie comme pour d’autres spécialités, c’est surtout l’organisation du travail et la façon dont est géré le collectif. Les médecins ont plus de risques d’avoir une souffrance professionnelle dans les structures où le collectif ne fonctionne pas bien. Le fait de se sentir isolé dans sa pratique, sans possibilité d’échanges fructueux avec les autres membres de l’équipe, est un facteur de risque important », souligne le Pr Colombat. A priori, on pourrait avoir le sentiment que cet isolement est moins important dans une structure entièrement dédiée à la lutte contre le cancer, où les oncologues sont forcément en plus grand nombre. « Mais cela ne veut rien dire. Le fait d’être une grosse structure dédiée n’implique pas obligatoirement que l’ambiance parmi les médecins soit bonne, ni que le sentiment d’isolement n'existe pas. Ce qui compte, c’est la façon dont sont managées les équipes et la place du collectif », indique le Pr Colombat.
Un déni du mal-être
L’autre écueil est que bien souvent, les oncologues ne se rendent pas compte qu’ils peuvent aller mal. Comme si le fait de côtoyer au quotidien des patients atteints de maladies graves faisait passer au second plan la question de leur propre santé, ou leur faisait relativiser la gravité potentielle de certains symptômes pouvant être évocateurs d’épuisement ou de mal-être au travail. « En général, c’est plutôt l’entourage qui se rend compte que la personne va mal », indique le Pr Colombat.
Ces dernières années, des mesures ont été prises pour diminuer certains facteurs de risque. L’annonce de la maladie, qui est souvent un moment émotionnellement fort dans la relation médecin-patient, est désormais mieux enseignée. « On travaille de plus en plus sur ce sujet dans les facultés de médecine notamment avec des simulations d’annonce pour mieux préparer les futurs médecins », indique le Pr Colombat. D’autres pistes peuvent aussi minimiser les facteurs de risque : un accompagnement adapté pour certaines situations difficiles (comme les fins de vie), une meilleure reconnaissance au travail, une attention plus forte au collectif, sans oublier le rôle de la médecine du travail. Selon le Pr Colombat, il faut aussi inviter les oncologues, notamment les plus jeunes, à avoir une certaine distanciation par rapport à certaines situations. Et il reconnaît que l’attitude, parfois un peu froide ou technique que peuvent avoir les oncologues dans leurs consultations, « est aussi une façon pour eux de se protéger ».
D’après un entretien avec le Pr Philippe Colombat, président de l’Observatoire national de la qualité de vie au travail et ancien chef du pôle de cancérologie-urologie du CHRU de Tours.
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