DES MODIFICATIONS substantielles de l’organisation du travail intervenues au cours des dernières décennies entraînent une profusion de contraintes psychosociales. En d’autres termes, le travail serait-il en voie de perdre ses vertus bénéfiques sur l’état de bien-être, si tant est qu’il en ait jamais eu ? Nombre de médecins d’entreprise notent de plus en plus de problèmes relevant de la santé mentale qui se traduisent par des symptômes de type anxiodépressifs, de la fatigue, des troubles du sommeil ou encore des troubles digestifs fonctionnels. Les employeurs multiplient les observatoires du stress, à l’instar de Renault, La Poste ou France Telecom-Orange. Et les pouvoirs publics ont transcrit un accord-cadre européen du 8 octobre 2004 sur la lutte contre la pression/agression dans le droit français, le 2 juillet 2008, dans l’attente de la grande enquête sur le sujet demandée dans le rapport Nasse-Légeron (« le Quotidien » du14 mars2008).
Un quart des hommes, un tiers des femmes.
De son côté, la littérature épidémiologique offreun important corpus d’études suggérant « des liens entre des expositions professionnelles psychosociales et une altération de la santé psychique », indiquent Ellen Imbernon et le Dr Christine Cohidon, de l’Institut de veille sanitaire, dans le « BEH » (9 juin). Ici, l’Américain Karasek décrit, dès 1980, une situation délétère lors d’une exposition prolongée à la combinaison d’une forte charge de travail et d’une faible latitude décisionnelle. Là, le Suisse Dominique Chouanière met l’accent sur le déséquilibre « effort-récompense ». En revanche, on enregistre « encore un déficit de connaissance » sur les effets associés à la durée/intensification des expositions en jeu.
À Paris, l’InVS, à travers son programme SAMOTRACE (SAnté Mentale Observatoire Travail Rhône-Alpes et CEntre), dirigée par le Dr Cohidon, s’emploie à nommer depuis 2006 les troubles de santé mentale et à appréhender la question au vu de signalements de maladies à caractère professionnel (MCP). Dans un échantillon de 6 056 salariés (57 % d’hommes), le mal-être touche 24 % des hommes et 37 % des femmes. Le déséquilibre « effort-récompense », le surinvestissement, l’exposition à des violences physiques ou psychologiques et au fait de travailler d’une manière qui heurte la conscience peuvent être en cause, principalement chez des cadres et des professions intermédiaires, quel que soit le sexe. Mais, pour l’heure, rien ne permet d’affirmer la présence de liens causaux, reconnaissent Christine Cohidon, Bernard Arnaudo et Marie Murcia.
Une autre étude, réalisée en région PACA (2004), auprès de 7 694 personnes, estime que 13 % des salariées et 11 % des hommes sont exposés à la violence psychologique sur une année, les professions intermédiaires étant plus affectées que les cadres. De même qu’une exposition passée peut présenter un danger pour la santé mentale, être témoin de violence envers autrui augmente l’apparition de symptômes dépressifs, « l’effet pathogène des environnements de travail favorisant les comportements agressifs », commentent les auteurs, Isabelle Niedhammer, Simone David et Stéphanie Degioanni.
Enfin, SUMER (Surveillance médicale des risques), mise en place par le ministère de l’Emploi en 1987, intégrera dès cette annéeune échelle des symptômes anxiodépressifs.
Un cadre pour une démarche préventive
Dans ce contexte, Dominique Chouanière, de l’Institut universitaire romand de santé au travail (Lausanne), définit une démarche de prévention des risques psychosociaux. Unprédiagnostic devrait être réalisé « dès lors que la prise en charge des salariés en souffrance est assurée, par exemple en cas de suicide d’un collègue à son poste », dit-il. À cette fin, il propose deux outils. L’un permet d’évaluer le poids des facteurs psychosociaux dans l’entreprise, l’autre renvoie à des données quantifiées sur les risques psychosociaux fournies par les rapports annuels du médecin du travail. Pour un diagnostic approfondi, il convient d’emprunter à des questionnaires clés en main sur les symptômes physiologiques de stress et leur ressenti psychologique : MSP de Lemyre et Tessier, Fondation de Dublin, Club européen de la santé, S. Cohen et CM. Williamson, etc. Pour les populations à risque d’épuisement professionnel, l’auteur suggère d’utiliser une échelle spécifique, le Malach Burn-Out Inventory (22 items).
Aucun questionnaire relatif aux sources des contraintes n’est disponible. Sur le terrain, à chaud, les démarches sont bien souvent empiriques (lire encadré). Le programme APRAND (Action de prévention des rechutes des troubles anxieux et dépressifs), expérimenté auprès de 9 743 employés d’EDF-GDF au cours de visites médicales conduites par 21 médecins conseils, montre aussi, à sa façon, qu’il « est possible d’améliorer le diagnostic et le pronostic des épisodes dépressifs, des troubles phobiques et paniques par une approche éducative en consultation médicale non spécialisée », signalent Drs Catherine Godard, Anne Chevalier et Charles Goulfier.
Dans tous les cas, la réduction du mal-être dû au stress en entreprises ne saurait faire l’économie d’une politique plus globale de santé publique, avec des moyens à la fois légaux et financiers, afin d’inciter les dirigeants à recourir à des stratégies préventives susceptibles de contrer « cette pandémie qui frappe le monde industrialisé ».
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