S’il y a une pathologie qui fait parler d’elle dans le monde sportif ces dernières années, c’est bien la commotion cérébrale. Ce traumatisme crânien léger, parfois spectaculaire mais souvent insidieux, inquiète de par ses conséquences potentiellement sévères à court et long termes.
Autrefois négligée, la commotion cérébrale fait l’objet d’une attention particulière à la suite de la mise en lumière, au début des années 2000 par le médecin légiste nigérian-américain Bennet Omalu, d’un lien possible entre commotions cérébrales à répétition et maladie neurodégénérative, illustré par le film « Seul contre tous » avec Will Smith dans le rôle du médecin. Depuis, la communauté scientifique a pris conscience des risques des commotions, poussant les institutions sportives à évoluer. En témoigne la mise en place d’un protocole spécifique dans le rugby professionnel, avec recours à la vidéo et à un médecin de terrain indépendant.
Des progrès dont se félicite avec une certaine réserve le Dr Jean-François Chermann, neurologue à Paris et spécialiste des commotions cérébrales : « Il y a une meilleure connaissance du sujet depuis une dizaine d’années, mais encore beaucoup d’acteurs du monde sportif ne sont pas assez sensibilisés à cette pathologie, notamment dans le sport amateur. »
Pourtant, la conférence de consensus internationale de Berlin rédigée en 2016 en offre une définition claire. Il s’agit d’un traumatisme crânien léger entraînant une dysfonction cérébrale immédiate et transitoire caractérisée par une perte de connaissance, une altération de l’état mental et/ou des signes neurologiques (ataxie, crise tonique, etc.). Il peut se compliquer d’un syndrome commotionnel, défini par un ensemble de symptômes (céphalées, trouble de la concentration, irritabilité, labilité émotionnelle, etc.) régressant habituellement en moins de 15 jours.
La subtilité réside dans le fait qu’une commotion cérébrale et son corollaire, le syndrome commotionnel, correspondent à des perturbations fonctionnelles du cerveau plutôt qu’à des lésions structurelles. Ce qui explique qu’aucune anomalie n’est observée en neuro-imagerie structurelle standard. « Avec une perte de connaissance présente dans seulement 15 % des cas, cette affection n’est pas toujours simple à identifier sur le terrain, prévient le spécialiste. De ce fait, dès qu’il y a un doute sur une probable commotion, il vaut mieux envoyer le sportif au vestiaire. »
Mettre au repos
Un athlète dont la commotion est passée inaperçue et qui reste sur l’aire de jeu risque une diminution de ses performances, de se blesser ailleurs (rupture du ligament croisé par exemple) ou encore de subir une seconde commotion cérébrale. Ce dernier cas de figure est potentiellement très grave, car il peut causer « un syndrome du second impact », une pathologie rare responsable d’un œdème cérébral fulgurant pouvant aller jusqu’au décès du sportif. « Heureusement, ce syndrome du second impact est exceptionnel, rassure le Dr Chermann. A contrario, il est beaucoup plus fréquent d’observer une prolongation du syndrome commotionnel en cas de deuxième commotion cérébrale consécutive à la première ». En effet, un syndrome commotionnel durant plus de 15 jours est considéré comme « persistant » et sa prise en charge, plus complexe, nécessite alors l’intervention d’un ou plusieurs spécialistes.
« Toutefois, dans la grande majorité des cas, la commotion cérébrale est une affaire de médecins du sport et de médecins généralistes, pas de spécialiste du cerveau », tempère le Dr David Brauge, neurochirurgien à la clinique des Cèdres à Toulouse.
Il nous rappelle que, pour éviter que le syndrome commotionnel ne perdure, il faut tout d’abord reconnaître la commotion, sortir le sportif du terrain et le surveiller dans les heures suivant le choc. Ensuite, il faut le mettre au repos et ne pas hésiter à lui faire un arrêt de travail d’au moins deux jours ou une dispense scolaire si c’est un enfant.
Concernant la reprise sportive, tant qu’il y a des symptômes du syndrome commotionnel, il ne faut pas qu’il pratique de sports à risque de contacts. « Environ 90 % des commotions cérébrales avec des symptômes neurologiques persistants sont dues à une négligence par reprise trop précoce de l’activité sportive à risque de commotion, indique le neurochirurgien, qui assure depuis deux ans des consultations dédiées aux commotions. Néanmoins, une activité physique douce (running, fitness, vélo, etc.) peut être recommencée dès le lendemain, même en cas de symptômes encore présents. »
Cette reprise accélérerait même le processus de récupération, selon les dernières études.
Le Dr Brauge, qui a mis en place une formation spécifique, éligible au développement professionnel continu (DPC), plaide pour un enseignement de cette affection au sein de la faculté. « Les étudiants en médecine savent tous identifier un hématome sous-dural mais très peu une commotion cérébrale, alors qu’en pratique cette dernière est beaucoup plus fréquente, autant sur les terrains de sport que dans la vie de tous les jours », note-t-il.
Vers une harmonisation des pratiques
Outre les règles de bonne pratique, il s’agit de coordonner la mise en œuvre dans les 106 fédérations sportives en France, qui comptent autant de protocoles commotion. Fort de ce constat, le ministère des Sports a demandé en 2019 à un groupe d’experts l’établissement d’un état des lieux de la commotion cérébrale en France dans le but d’en harmoniser la prise en charge. Le Pr Philippe Decq, chef de service de neuro-
chirurgie à l’hôpital Beaujon à Clichy, et le Dr Brauge ont tous deux participé à ce travail collaboratif dont la première partie a été publiée dans la revue « Neurochirurgie » en novembre 2020. « Sur la base de la conférence de Berlin 2016, nous avons rédigé une définition claire de la commotion cérébrale avec des critères précis. Il est maintenant établi qu’elle est la même pathologie quel que soit le sport pratiqué », explique le professeur.
Le groupe de travail se préoccupe maintenant d’adapter au mieux la gestion de cette affection en fonction des différents types de sports. En effet, le risque de survenue d’une commotion n’est pas la même dans des sports à commotion occasionnelle comme le tennis, des sports de collision comme le rugby, des sports à haute cinétique comme le ski ou des sports à commotions intentionnelles comme la boxe. « Dans le cas de la boxe, la commotion fait partie du jeu, signale le Pr Decq. Vu que l’intention est de porter des coups à la tête et potentiellement de mettre hors de combat l’adversaire par commotion cérébrale, il semble illusoire d’arrêter un boxeur en plein round en cas de traumatisme cérébral léger. Notre rôle est d’encadrer et de limiter l’enchaînement des combats mais certainement pas d’interdire », ajoute-t-il.
En ce sens, le groupe d’experts travaille sur la création d’un outil en ligne, le passeport vigicommo, dont le but est de comptabiliser le nombre de commotions cérébrales chez un sportif au cours d’une saison. Ce dispositif personnalisé permettra d’éviter une reprise sportive trop précoce et limitera le risque de survenue de symptômes neurologiques à long terme.
Concernant l’encéphalopathie chronique post-traumatique (ECPT), décrite par le Dr Omalu, « le lien de causalité avec les commotions cérébrales n’est pas si simple, estime le Pr Decq. Il n’a jamais directement été établi dans les grandes études de cohorte, l’origine est probablement multifactorielle. »
Pour le professeur de neurochirurgie, la prise en charge doit être raisonnable : « S’il s’agit de ne pas minimiser ses conséquences, comme c’était le cas encore récemment, il faut éviter d’exagérer et d’entretenir les symptômes neurologiques par la multiplication d’examens coûteux, comme dans certaines cliniques privées américaines ou suisses, davantage intéressées par le profit que l’amélioration de l’état de santé des patients. »
Un travail d’harmonisation et de personnalisation s’avère ainsi d’autant plus nécessaire à l’approche des Jeux olympiques de Paris 2024, où le monde aura les yeux rivés sur la France.
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